Dans le bourbier politique américain.
A quelques heures de l’élection présidentielle américaine, Alfred Nguia Banda, connu pour ses analyses pointilleuses de la scène politique, traverse l’Atlantique pour jeter un regard circonstancié sur l’effervescence qui a cours actuellement dans une nation où naguère le débat démocratique était une coutume bien ancrée et qui prend désormais des allures de rixe publique. Il propose une analyse politique et sociologique du déclin progressif de cette démocratie américaine.
Cette petite analyse n'est pas du tout une vérité papale car elle pourrait donner lieu à des débats contradictoires et à diverses appréciations. Ce qui est tout à fait normal sur le plan intellectuel et politique.
I/ Le déclin d'un héritage démocratique.
Avec le déclin progressif de la Démocratie américaine, les premiers présidents américains Georges Washington, John Adams, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln et même l'écrivain politologue français Alexis de Tocqueville, auteur du célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique doivent se retourner dans leur tombeau. En effet, depuis l'élection officielle du 45eme Président des États-Unis Donald Trump le 20 Janvier 2017, la Démocratie américaine connaît un affaiblissement sans précédent, un dysfonctionnement politique et institutionnel impressionnant et une fracture sociale hallucinante.
La victoire électorale de Joe Biden sur Donald Trump a davantage sonné le glas du rayonnement et de la fierté démocratique américaine. En effet, les violences post électorales prétendument orchestrées par le Président sortant Donald Trump et ses partisans qui ont connu une ampleur inédite prouvent à suffisance l'effondrement de cette démocratie naguère considérée comme un modèle et une référence mondiale.
A titre d'exemples, après l'assaut du Capitole, deux des grands journaux américains, Le Washington post et Le New Yorker ont révélé que la Démocratie américaine se trouve dans un état sans précédent. Cet état pourrait se répéter. Et le Président du Eurasie group Ian Bremmer de déclarer : « Les dysfonctionnements de la politique américaine font craindre que les élections présidentielles de 2024 provoquent les violences aux États-Unis. Avec tant de problèmes brûlants qui suscitent la colère du public et remettent en cause la légitimité des institutions politiques américaines, beaucoup de gens craignent que la Démocratie américaine ne fonctionne pas dans la durée ».
Cette prédiction du Président Ian Bremmer se confirme Aujourd'hui. En effet, depuis le début de la campagne électorale, le candidat Donald Trump et ses thuriféraires ne cessent de proférer les menaces dans leurs meetings : « Nous n'accepterons plus que notre Victoire soit volée une deuxième fois ». Ces déclarations font craindre non seulement une insurrection et une prise d'otage des institutions politiques mais contribuent aussi à décrédibiliser et à dévaluer davantage l'héritage des pères fondateurs de la Démocratie américaine.
Selon un sondage du Centre de Recherche de Pew, 65 0/0 d'Américains jugent nécessaire de procéder à une réforme majeure du système démocratique américain et 57 0/0 des sondés estiment que les États-Unis ne sont plus un modèle en matière de Démocratie. D' après une étude du quotidien Washington post et l'université de Maryland, la fierté des américains pour leur Démocratie a fortement chuté, passant de 90 0/0 en 2002 à 54 0/0 en 2022.
Il/ Les Causes du désastre de la Démocratie américaine.
Sans me lancer dans des détails, mon analyse sera brève.
Je commencerai par relever ce passage pertinent du rapport de Carnegie Endowment for international peace qui montre que la Démocratie américaine se trouve à un point d'inflexion dangereux alors que son déclin s'accélère avec l'exacerbation des maux inhérents au capitalisme à l'américaine. Des multiples défis tels que la restriction de vote, les fraudes électorales et l'effondrement de la confiance dans le gouvernement accélèrent la désintégration de la Démocratie américaine.
Autres éléments de cette désintégration de la Démocratie américaine.
1/ La bipolarisation rigide de la vie politique.
Cette bipolarisation rigide ne répond plus à l'évolution des mentalités et à l'environnement politique mondiale. Ce bipartisme politique est renforcé par un système économique ultra libéral désuet qui ne cède même pas un centimètre à une politique de solidarité nationale affirmée.
La bipolarisation, très mal gérée à présent, explique la spirale des tensions politiques. Les intérêts de chaque parti politique et des groupes d'intérêts transcendent les intérêts nationaux. Le traditionnel, compris d'opportunité interpartis, s'est complètement désagrégé, fissuré par esprit égoïste et clanique des dirigeants. Chaque parti considère l'autre et ses partisans comme des ennemis et une menace pour le pays.
Selon un article de Financial Times, les Républicains sont blancs issus de petites villes et des zones rurales et les Démocrates sont urbains et multiethniques. Plus d'un tiers des Républicains et des Démocrates estiment que la violence est justifiée pour atteindre leurs fins politiques. Lorsqu'un parti perd, ses électeurs ont l'impression que leur Amérique est occupée par une puissance étrangère.
2) Le langage idiosyncratique.
Le langage idiosyncratique se caractérise par l'intolérance manifeste des acteurs politiques qui n'hésitent plus à utiliser des mots inappropriés, indécents, obloquy, billingsgate antinomiques à la sémantique politique, à la culture démocratie et aux idiomes institutionnels.
Les invectives, les insanités relevées en ce moment dans la campagne de Donald Trump et de Kamala Harris sont la parfaite illustration de la déliquescence et du délitement de la Démocratie américaine.
Le Professeur Larry Diamond, politologue et sociologue de l'Université Stanford affirme la nécessité fondamentale dans une Démocratie pour les concurrents de faire preuve de retenue dans l'exercice du pouvoir et de rejeter la violence. Selon lui , il y a : « D'un côté, un nombre croissant de politiciens et d'officiels élus aux États-Unis sont toujours disposés à négliger ou à abandonner les normes démocratiques dans le but d'obtenir ou de conserver le pouvoir ; de l'autre, faute de consensus politique, de plus en plus d'Américains ont tendance à accepter des opinions politiques radicales.
La Démocratie américaine est fort instable".
3) L'anachronisme de la Politique identitaire.
L'anachronisme de la politique identitaire se manifeste par un clivage racial et identitaire. La société américaine est plongée dans une division destructurante.La marginalisation des minorités ethniques, considérées à tort ou à raison, comme des parias, des délinquants héréditaires entraînent des frustrations voire des conflits sociétaux. Cet état de fait entache très souvent les élections par un taux d'abstention record. Les minorités ethniques et les désœuvrés qui estiment que leur statut social ne changerait pas, refusent de voter pour l'un ou l'autre parti politique. Dans ce cas, la légitimité sociologique peut être antinomique à la légitimité constitutionnelle.
Si les acteurs politiques américains de tous bords politiques, au lieu de réfléchir sur la décadence de leur système démocratique, s'érigent lamentablement à donner de leçon de démocratie au monde entier, devront simplement adopter une posture cognitivo comportementale. Cette approche vise à remplacer les idées négatives et les comportements désuets par des pensées novatrices en adéquation avec l'évolution des mentalités. Sans cette rupture, le déclin de la Démocratie américaine va s'accélérer à une vitesse supersonique et elle deviendra irréversible.
Pour pallier les contestations électorales aux États-Unis et en Europe, l'Union africaine devrait dépêcher prochainement les observateurs africains pour superviser leurs élections. L'Afrique ne doit pas assister impuissamment à la débâcle démocratique de ces vieux mondes qui nous aident à développer notre continent.
* Alfred Nguia Banda
*Docteur en Droit de l'Université de Montpellier l,
DEA d'Histoire des Idées politiques,
Maîtrise de Sociologie politique,
Université Paul Valéry de Montpellier lll,
France.
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