Décrispation du climat politique au Gabon : Charles Mba en éclaireur ?
Même si sa rencontre avec Ali Bongo a divisé une opinion qui ne croît plus guère en ses acteurs politiques, la partition de l’ancien ministre délégué aux Finances d’Omar Bongo a le mérite de s’inscrire dans une tonalité républicaine. Elle pourrait augurer une pacification du champ politique, propice – pourquoi pas ? – à une nouvelle donne de gouvernement.
2022 sera-t-elle l’année politique de la magnanimité ? Rien n’est moins sûr. Tout de même, un peu partout sur le continent africain on relève la poussée sporadique de gestes d’apaisement, de réveil républicain, sinon de mansuétude, de la part des gouvernants. Vital Kamerhe acquitté en RDC, Dadis Camara et Sékouba Konaté de retour en Guinée Conakry, Blaise Compaoré autorisé à revenir au Burkina Faso : il semble que la mansuétude d’Auguste pour Cinna ait inspiré les tenants du pouvoir. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle, pour calmer les démons incontrôlables du sectarisme ambiant.
Transcender la vision immédiate des choses
En matière de clivage, la société gabonaise n’a jamais été aussi divisée qu’à l’heure actuelle, gangrenée par des rancunes politiques tenaces, comme en témoignent les anathèmes réciproques entre un régime quasi autiste et une opposition aussi revancharde à juste titre que vindicative. Dans ce contexte explosif, où les passions et furies font perdre le sens du réel, on ne sait plus distinguer le feu de la discussion de celui de l’embrasement d’une nation. Les parties en oublient même la concorde qui trône au rang des valeurs de notre hymne national. Le ciel menace de nous tomber sur la tête, comme le craignent les Gaulois de Max-Anicet Koumba.
Ces rappels pour situer, dans son heure et son utilité, la rencontre au Palais présidentiel entre Ali Bongo Ondimba et Charles Mba, le mardi 28 juin dernier. Survenant après six ans d’exil parisien du second nommé, cette entrevue fortement relayée par les médias n’est pas anodine. Bien qu’ayant suscité son comptant de réactions allant de l’indignation polie au scepticisme outré, le face-à-face s’est perdu dans des considérations par trop anecdotiques. Si l’expérience passée de la spectacularisation du pardon prête volontiers le flanc à une telle réception – la repentance étant souvent synonyme d’achat de conscience – il n’est pas interdit de substituer la vision immédiate des choses au profit d’un regard transcendant cet échange au sommet.
Pour avoir accepté le dialogue avec Ali Bongo, Charles Mba a été diabolisé. A-t-il mérité un tel traitement ? Pourquoi ? Certes, depuis qu’il a rejoint le camp de l’opposition au sortir de la présidentielle de 2016, il a toujours pourfendu la gouvernance d’Ali Bongo. Que ce soit au sein de sa plateforme politique « Pour le Gabon », ou dans les rangs de l’Union nationale qui a accueilli l’exilé de Paris, l’expert-comptable aura mené un combat avant tout situé au niveau de la critique des idées et des pratiques du pouvoir en place. En acceptant de rencontrer son adversaire, tout en lui affirmant sa disponibilité, il a agi en républicain, et cela à plusieurs titres.
Intérêt général et risque d’immobilisme
Trois raisons essentielles, que n’aurait pas manqué d’épouser le défunt Guy Christian Mavioga, peuvent être alléguées pour expliquer, sans prétendre le justifier, le geste « diplomatique » de l’ancien haut cadre d’Elf Aquitaine. Tout d’abord, la nécessité de déverrouiller le carcan dans lequel se trouve notre pays, où le climat sociopolitique est devenu irrespirable, avec au-dessus de la nation le spectre d’une implosion éclatant à n’importe quel moment. Ensuite, l’évident constat de l’échec d’Ali Bongo et des siens, accrochés au pouvoir alors que leur inhumanisme est criarde. Enfin, l’immobilisme engendré par tout cela, cause du retard accusé par le Gabon, en matière de progrès et de développement.
Parce qu’il manque une authentique culture républicaine dans notre pays, n’échappe-t-il pas souvent à l’opinion – échaudée par un demi-siècle de mensonges – que la décrispation est aussi essentielle que la nourriture, bien qu’on ne mange pas la paix ? En outre, l’échec d’Ali Bongo est si monumental que le réflexe devant toute proposition pour y remédier rencontre ipso facto l’incrédulité et le scepticisme, voire le soupçon de mercenariat intéressé. Et parce que les populations gabonaises ont été habituées à un morne quotidien qui n’évolue guère, elles se sont accoutumées à l’immobilisme que leur offre le pouvoir.
Il ne pèse pourtant nulle fatalité : il faut ainsi comprendre la philosophie de Charles Mba, lequel agit d’abord en homme politique dont la haine de l’immobilisme doit motiver et guider l’action. Mû aussi par la nécessité de se placer au-dessus des contingences. Il a d’ailleurs précisé sa pensée en affirmant le devoir de « tenir à l’écart nos sentiments personnels lorsqu’il s’agit du service de l’intérêt général et des populations ». Cela peut sembler pure langue de bois, mais il s’agit là d’une vertu cardinale à cultiver lorsqu’on préside aux affaires humaines. Saura-t-il tenir sa parole ?
Des clivages artificiels
Seuls l’avenir et les actes parleront. Car les Gabonais de bonne volonté veulent bien croire que sa conversion en apôtre d’un nouvel œcuménisme vise d’abord les intérêts du Gabon et des Gabonais. Et pas uniquement ceux de son clan, familial et politique, selon un scenario de « retour au bercail » - Eyeghe Ndong, Massavala Maboumba, etc. – dans la tradition du plus pur clientélisme. Aussi, les rumeurs de Primature ou de Vice- présidence de la République à lui confiées, offrent un terrain d’expérimentation pour éprouver la sincérité et le patriotisme de ses ambitions. La qualité de l’homme et ses valeurs humanistes reconnues inclinent plutôt à lui accorder le bénéfice du doute et la confiance en sa bonne foi.
Au-delà de la cuisine politique, l’épisode du 28 juin pourrait se révéler fondateur d’une donne nouvelle. Le rapprochement entre les deux hommes est, en effet, symptomatique d’une vérité profonde : le caractère artificiel des clivages en usage. Le partage de l’échiquier politique entre d’une part le PDG, et d’autre part le reste du monde, apparaît désormais telle une vaine lubie de politologue post-marxiste. Il n’a de réalité que fantasmatique, la construction du Gabon devrait se passer de ce schéma, en lui substituant un modèle proche des faits sociaux et historiques. L’avance de l’histoire sur les échafaudages théoriques – elle vient de rattraper la France d’Emmanuel Macron – impose d’inventer un régime inclusif qui promeuve l’intérêt national, un peu dans le sillage de ce que propose Edmond Okemvele Nkogho.
Le dépassement des vieilles étiquettes appelle également celui des vieilles rancunes recuites. Ali Bongo ne saurait limiter son appel au seul Charles Mba, alors que d’autres compatriotes marginalisés – et pas seulement ceux de la diaspora – ne demandent qu’à apporter leur concours à l’édification d’un Gabon qui s’impatiente devant les rails du développement. Doit-on s’attendre aux retours au Gabon de Séraphin Moundounga, Jean-Pierre Lemboumba Lépandou, Alfred Nguia Banda ? Une amnistie de Jean-Rémy Yama, Bertrand Zibi, Brice Laccruche Alihanga et consorts ? Un signal fort qui ne manquera pas d’impact sur notre destin, et relativisera rétrospectivement l’image abîmée de l’Émergence. Car, Ali Bongo doit le comprendre : le Gabon n’est pas son bien personnel mais un héritage collectif. Il n’a pas à se comporter comme s’il était le distributeur automatique de la joie ou du malheur.
Une reconstruction politique crédible et inventive
En effet, à un an d’une présidentielle qui s’annonce, paradoxalement, compliquée et ouverte pour Ali Bongo, ce dernier ne dispose pas de marge extraordinaire pour convaincre le peuple de lui confier un troisième mandat. Son bilan est encore plus famélique que le premier, et ses soucis de santé ne plaident guère en sa faveur. Dans de telles conditions, il ne lui reste plus qu’à sortir de son chapeau un coup de maître en matière de stratégie : une reconstruction politique crédible, novatrice et inventive. Sinon, en plus des milliards partis en fumée durant sa présidence, il n’aura sauvé pas grand-chose au crépuscule de sa magistrature.
Il n’est pas certain que l’ancien ministre délégué aux Finances de son père ait omis de lui présenter les deux voies de sortie vers la postérité, selon qu’on franchit un arc de triomphe ou qu’on se glisse dans une lucarne.
Virginie Lamiral
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