Gabon : Guy-Christian Mavioga in memoriam: Soi-même comme l’autre

Par Elzo MVOULA / 08 sep 2021 / 0 commentaire(s)
Guy Christian Mavioga

Secrétaire exécutif du Bloc démocratique chrétien (BDC), parti allié au PDG, Guy-Christian Mavioga a été emporté samedi par le coronavirus. Ce personnage haut en couleur, personnalité politique atypique, rêvait d’un Gabon débarrassé des démons de la division. Il part trop tôt, ayant creusé, à sa manière, son sillon. Dommage, il ne verra pas la terre promise.

Comme Martin Luther King, prototype de l’humanisme contemporain, ou à l’instar d’André Mba Obame – un autre Moïse gabonais – Guy-Christian Mavioga n’aura pas accosté, ni atterri, sur la Terre promise. Lui qui, toute sa vie, surtout pendant ses années d’engagement politique, aura caressé le rêve de voir les Gabonais réconciliés au-delà de leurs divergences partisanes, s’en va à la fleur de l’âge, sans avoir approché du but. Son décès, le samedi 04 septembre 2021, d’une résonance tragique, laisse la République orpheline d’un de ses serviteurs les plus désintéressés. Et prive Ali Bongo « d’une clé passe-partout », autant dans l’opposition que la majorité.

 

           Mavioga de son vivant…

Trublion mais homme de conviction

Il plane comme un parfum d’injustice sur la disparition de Mavioga. Ce qui accentue l’éternel regret nourri par un départ aussi prématuré. En effet, le 22 février dernier, au cours de son fameux appel à la « Paix des braves » - son testament politique – il reconnaissait que « la santé n’a pas de prix », et observait de manière prémonitoire que nous n’avons « tous qu’une seule vie sur terre et un seul pays, notre Gabon ». L’ironie, c’est que le Gabon « qui tient son rang » d’Ali Bongo n’ait pas pu sauver cette vie, celle d’un allié et thuriféraire, malgré les plateaux techniques, les scientifiques que le monde nous envie, etc. On dira : Patrick Devedjan aussi est mort du Covid en France. Certes, mais il avait plus de soixante-quinze ans.

La cinquantaine révolue, Guy-Christian Mavioga part en laissant à ses compatriotes, surtout à la classe politique, non pas une doctrine, ni une pensée, mais de quoi penser et réfléchir. Si son cheminement a pu être celui d’un trublion ayant fricoté autant avec l’opposition (Pierre Mamboundou, qui lui mit le pied à l’étrier dans les années 1990), qu’avec le pouvoir (Omar, puis Ali Bongo), le leader du Bloc démocratique chrétien (BDC) est resté un homme de conviction. Sans calcul, parce que d’abord préoccupé d’un Gabon où le vivre ensemble entre gouvernants et gouvernés soit pacifié, Mavioga s’engageait, avec le cœur et les tripes. Un idéal puissant le soulevait, qui voilait son regard espiègle.

Lorsqu’il crée son parti, le lundi de Pentecôte 1997 – un symbole – et le nomme Bloc démocratique chrétien, il a l’ambition de « faire du Gabon un petit paradis sur terre ». Vaste programme qu’il ne pouvait réaliser seul, utopique aux yeux des uns, mais pas impossible s’il s’alliait au PDG d’Omar Bongo. Ce qu’il fit en 1998, conservant à l’ombre du parti des nasses la place marginale d’un parti gazelle, dévoué à servir de caution, et de cache-misère, à crédibiliser l’apparat de démocratie dans notre pays.

À cet égard, le positionnement du BDC a, très tôt, intrigué quant à savoir si les valeurs chrétiennes, compatibles avec la démocratie, étaient solubles dans le brouet idéologique de la sinistrose ambiante.

  

   Un adepte de la réconciliation des Gabonais s'en est allé.

Jamais trop tard pour bien faire

Dans un Gabon où toutes les libertés sont bafouées, les droits de l’homme piétinés, les faibles humiliés, et la fraternité rabaissée à de vénaux rapports de prostitution, voire de sujétion entre concitoyens, il n’a pas toujours été aisé de dégager la ligne de cohérence au fondement de l’alliance entre le BDC et le PDG. Et l’on est surpris que Guy-Christian Mavioga, qui avait été placé en garde à vue en juillet 2007 pour avoir critiqué Omar Bongo dans son journal L’Espoir, ait continué de soutenir la politique de celui-ci.

Comme beaucoup ne comprennent pas qu’après les atrocités d’août 2016, il continuait toujours de croire à « un autre Gabon », celui réconcilié avec son histoire, fusse-t-elle douloureuse. Cependant, ce chrétien de ferveur évangélique aimait se convaincre, dans presque toutes ses déclarations politiques, qu’il « n’est jamais trop tard pour faire bien ». Concentré de foi, espérance et charité, dira-t-on.

Du coup, ils sont nombreux à relever l’ambiguïté de cet homme, en se demandant comment a-t-il pu se laisser embobiner par de malodorants slogans tels que « l’Avenir en confiance » ou « l’Egalité des chances », quand, dans le même temps, ses discours pointaient une crise de confiance chronique dans une société gabonaise percluse d’inégalités en tous genres. Lui qui cultivait une certaine image iconoclaste – son fameux chapeau aux bords arrondis et costume vintage – a-t-il été dupe de lui-même ? Mavioga s’est-il amusé à feindre la naïveté pour assurer sa survie dans la mare aux crocodiles qu’est le microcosme politique gabonais ? Faisait-il trop confiance aux vertus du sentiment national, qu’il supposait sincère chez les autres ? Il est difficile, à l’heure de la séparation, de percer la part du naturel et de l’artificiel chez cet homme d’une nature franche et entière.

Ce qui, au moins, ne fait pas de doute, si l’on veut saisir un des ressorts de sa mécanique intime, aussi bien sociale que philosophique, c’est qu’il avait pour idéologie l’humain, et pour religion – sans égrener ici la croix, le chapelet ou l’encensoir – la Patrie. Au fond, n’étant pas foncièrement habité par l’esprit de parti – le BDC n’en était pas un à dire vrai – il importait peu que Guy-Christian Mavioga soit de l’opposition ou de la majorité. Dans la pratique, cela s’est traduit par sa disponibilité envers tous les bords politiques, facilitée par une capacité d’écoute rare dans un milieu d’égocentrisme et d’individualisme effrénés.

C’est ce qui explique qu’il ait été si peu récompensé par Ali Bongo – en dépit de sa nomination à la tête de Pizolub durant vingt-et-un mois – qui lui battit froid pendant longtemps, malgré les appels du pied répétés de Mavi

  

               Ancien DG de Pizolub

Le jeu démocratique : la reconnaissance de l’autre

En dépit de ce qu’il se soit fourvoyé régulièrement en mettant ses bonnes idées – apaisement du climat socio-politique, prise de conscience de notre communauté d’intérêts nationaux, appartenance à un tout transcendant nos particularismes, etc. – au service d’une cause nébuleuse et vaine comme l’Émergence, Guy-Christian Mavioga a tracé son sillon. On oubliera qu’il fut porte-parole de la Majorité républicaine et sociale pour l’émergence, pour retenir seulement son œuvre « en faveur de la paix, l’unité et la solidarité nationale » ; ses rencontres incessantes d’avec Jean Eyeghe Ndong, son voisin de quartier.

On oubliera qu’il souhaita en 2018 à Ali Bongo une année jubilaire faite de gloire et de faste, pour ne conserver que sa proposition d’une « Paix des braves soutenue par un contrat ou un pacte social ».

En off, il ne cessait de nous confier son refus de ne pas fusionner son parti dans le PDG. « Je veux rester un homme libre ; libre de dire au Patron ce qui ne va pas ; libre de lui dire toutes les manipulations dont il est victime de la part de tel ou tel autre pour l’amener à s’ouvrir davantage », aimait-il à dire.

Comme legs, Guy-Christian Mavioga a prononcé un discours historique, à défaut d’être prophétique, le 22 février. Si la faucheuse ne l’avait pas emporté, il est sûr qu’il aurait explicité sa démarche à l’intention des acteurs politiques critiques de son idée d’une nécessaire fin des hostilités entre les camps de Jean Ping et d’Ali Bongo. À l’examen, une concertation nationale pour sortir le pays d’une crise endémique présente des traits de séduction, d’un point de vue théorique. En pratique, elle se heurte à l’expérience passée : à quoi sert-elle si l’on ne se penche pas sur les causes qui engendrent les mêmes conséquences, en l’occurrence le vol des élections et les crises postélectorales subséquentes ?

Aussi, une paix des braves fonde toujours un cercle vicieux qui ne peut être brisé que si tous les protagonistes acceptent la règle et le jeu démocratique : la reconnaissance de l’autre et de ses droits.

En substance, et par un discours subtil et subliminal, où les références culturelles du terroir se bousculaient aux côtés de citations bibliques, le leader du Bloc démocratique chrétien faisait comprendre aux uns et aux autres – Ali Bongo et ses opposants – que la démocratie était un jeu de rôles dans lequel soi-même ne diffère pas de l’autre, et vice-versa. A-t-on réellement percé le fond de l’expression « paix des braves » ?

Il y est d’abord question de reconnaître en l’autre la bravoure que l’on s’attribue, pour, au final comprendre que l’intérêt de l’autre et le mien sont intimement liés. Être brave c’est cela ! Seulement, Guy-Christian Mavioga n’avait pas les coudées franches, au sein de la majorité émergente, pour tenir un discours qui eut paru subversif, sinon hérétique aux yeux des ayatollahs dont parlait encore récemment Guy Nzouba Ndama, le président du parti Les Démocrates.

Dans son « testament politique », le secrétaire exécutif du BDC évoquait la « sagesse universelle », allant jusqu’à déclarer que « les personnes sages bâtissent et les insensés détruisent ». Au milieu des ruines de notre République remplie d’« insensés », il a fallu beaucoup de témérité d’homme et une conscience patriotique décomplexée pour oser en arriver à professer publiquement un évangile aussi sulfureux.

Il fallut, également, être traversé par le courant d’une irrépressible sagesse. Car, comme les fameux Malâmatiyah orientaux qui se déguisent en « fous de Dieu » pour faire passer certaines vérités dans le peuple, Guy-Christian Mavioga a pu passer pour un bouffon, jouant – en connaissance de cause – le rôle d’un passeur d’idées constructives.

Dommage que l’artiste soit parti si tôt, bien que sa part ait été remplie, en vue d’un Gabon prospère et de partage. Minime et précieuse à la fois.

Ce matin, au moment où Ali Bongo et son gouvernement tiennent un Conseil des ministres, logiquement, une minute de silence devrait être observée en son honneur. Tant, il a beaucoup fait pour ramener les compatriotes au successeur d’Omar Bongo. Mavioga parlait vrai, agissait franc, soutenait loyalement et était incroyablement attaché à la réconciliation des enfants de cette Nation. Si le dialogue inclusif se tient un jour, ce que souhaitent les Gabonais, en face du nom de Me Louis Gaston Mayila, figurera celui de Guy Christian Mavioga. Ils ont, plus que tout le monde, œuvré pour que leurs compatriotes se parlent.

La balle est dans le camp d’Ali Bongo. Ainsi, Guy Christian Mavioga ne serait pas mort pour rien.   

Nicolas Ndong Essono

Article du 8 septembre 2021 - 10:51am
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