Gabon : Où vont les fonds des différentes lois des finances ?

Par Brandy MAMBOUNDOU / 21 oct 2021 / 0 commentaire(s)
Willy-Ontsia

Dans la tribune libre à couper le souffle ci-après, Willy Ontsia, connu pour sa plume incisive et ses prises de parole sans fard, pointe la situation invraisemblable du pays : l’adoption chaque année de colossaux budgets mais sans réel impact sur la vie des Gabonais. Toutefois, cet expert financier esquisse quelques pistes de solutions. Lecture !

En Conseil des ministres le 15 octobre 2021, le gouvernement a approuvé un projet de loi de finances et d'exécution budgétaire pour l'exercice 2 022. Le budget adopté par le gouvernement est équilibré en recettes comme en dépenses pour un montant total de 2936,6 Fcfa, contre 3127,6 milliards Fcfa en 2021, soit une contraction de 191 milliards Fcfa en raison du double choc lié à la crise économique et sanitaire internationale.

Les principales hypothèses de ce projet de budget 2022 tablent sur un taux de croissance prévisionnel du produit intérieur brut (PIB) à 3%, un maintien du taux de change du dollar américain à 543,2 Fcfa, une hausse de 7,8% de la production pétrolière arrêtée à 11 millions de tonnes, ainsi qu'un rebond du prix de l'or noir estimé à 60 dollars américains, en hausse de 9,1% en 2022 par rapport au budget de l'exercice 2021.

Concernant le secteur hors pétrole, le cadrage macroéconomique et budgétaire retenu par le Gouvernement reste très optimiste en ce qui concerne l'évolution de la production et des cours des matières premières d'exportation, telles que le manganèse, le bois ou l'huile de palme, dont les volumes et les valeurs sont évalués à la hausse par rapport à l'exercice précédent.

Les fondamentaux de l'économie gabonaise demeurent robustes

En résumé, le projet de budget 2022 adopté en Conseil des ministres du 15 octobre 2021, exprime l'idée selon laquelle les fondamentaux de l'économie gabonaise demeurent robustes, et malgré les effets de la pandémie du Covid-19, le pays devrait continuer d'engranger d'importantes ressources budgétaires estimées à 2936,6 milliards Fcfa pour l'exercice 2022.

Malheureusement pour notre pays, derrière cet îlot de richesse budgétaire se cache un océan de misère et de pauvreté, puisque selon le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) près de 37 % des Gabonais vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 500 Fcfa par jour, et ceci dans le quatrième pays le plus cher au monde.

L'état des routes au Gabon

Pour beaucoup de Gabonais, les lois de finances et la dette publique s'accumulent d’année en année, mais le quotidien des habitants reste quasiment inchangé.

Pour cause, les finances publiques de notre jeune nation luttent constamment contre un cancer appelé, au choix ou ensemble, fraude, corruption et détournement. Cette maladie qui gangrène le budget de l'Etat gabonais a pour conséquence une insuffisance chronique en infrastructures (énergétique, routière, sanitaire, éducative et scolaire, etc.) et un retard de développement criard.

Comment peut-on expliquer que le budget de l'Etat gabonais, qui devrait être le véritable fer de lance de l'expansion économique du pays, est devenu une véritable passoire, un objet de business et d'enrichissement illicite ? Et quelles solutions peut-on mettre en œuvre pour améliorer la gestion des finances publiques, et booster les performances budgétaires afin d'améliorer significativement la vie des Gabonais qui n'y voient rien ?

Primo, dans notre pays, le cadre normatif d'exécution de la dépense publique n'est pas stabilisé, ce qui affaiblit les dispositifs de contrôle de gestion et d'audit interne et externe, et accroît les risques de détournement des deniers publics.

L'ensemble des opérations financières

Une des solutions possibles serait de numériser l'ensemble des opérations financières et des engagements de l'Etat au sein d'un seul et unique système d'information, qui permettrait de connecter l'ensemble des ministères et des établissements publics.

Le type de l'habitat des Gabonais.

Cette numérisation des transactions financières de l'Etat gabonais va booster les performances budgétaires du gouvernement, car cette réforme permettra à l'exécutif d'avoir une information en temps réel, ce qui facilitera aussi la reconstitution de la piste d'audit en cas de fraude.

Secundo, il faut relever que la prolifération des opérations extrabudgétaires (hors budget) n'a cessé d'augmenter et cela crée des arriérés qui ne sont pas maîtrisés, ce qui pèse sur la trésorerie de l'Etat et perturbe l'exécution budgétaire.

Pour limiter l'usage du hors budget, le Parlement gabonais doit assurer un meilleur suivi de la loi de finances et proposer des amendements qui encadrent de manière plus restrictive le recours aux opérations extrabudgétaires, en renforçant le dispositif réglementaire en la matière.

Tertio, la sous-performance de la gestion des investissements publics inscrits au budget de l'Etat tient également de ce que la majorité des marchés publics reposent sur des ententes directes, souvent en violation du code des marchés publics.

Quarto, les mécanismes de surfacturation et de rétrocommission en vogue dans l'administration publique, favorisent les éléphants blancs qui nuisent aux aspirations des Gabonais de voir leur pays riche en ressources naturelles se développer comme c'est le cas dans d'autres pays pétroliers tels que le Bahreïn, Dubaï, le Qatar, l'Arabie-Saoudite et d'autres.

La vie des Gabonais

Pour que les lois de finance approuvées en Conseil des ministres et adoptés par le Parlement impactent en profondeur la vie des Gabonais, il est possible de prendre les mesures de rupture suivantes :

Une salle de classe d'un pays pétrolier.

- regrouper l'ensemble des opérations financières et des engagements hors bilan de l'Etat au sein d'un système d'information unique, qui garantira une meilleure traçabilité des transactions financières et assurera une meilleure gouvernance des finances publiques ;

- renforcer le corpus juridique et réglementaire relatif aux lois de finances pour tendre vers une gouvernance budgétaire plus efficiente et plus transparente, où la logique des corporations ne l'emportera plus sur les intérêts collectifs de la nation ;

- consolider la transparence et la qualité du suivi-évaluation et reporting budgétaire et comptable, en particulier la couverture budgétaire, l'intégrité des données enregistrées en comptabilité, le suivi des arriérés de dépenses et le contrôle des opérations non rapportées au budget ;

 - fusionner toutes les régies financières au sein d'une structure unique, pour un pilotage unifié des finances publiques et une meilleure coordination et cohérence de l'action gouvernementale ;

- mettre en place des tribunaux mixtes "populaires" composés d'un collège de citoyens tirés au sort et des magistrats spécialisés, pour juger les cas de corruption, de détournement et d'enrichissement illicite en lien avec les actifs de l'Etat ;

- radier de la fonction publique tout agent public condamné pour corruption et détournement des deniers publics ;

- expulser définitivement du territoire national tout étranger convaincu de faits de corruption ou d'enrichissement illicite impliquant des actifs publics ;

- déchoir de sa nationalité tout Gabonais d'adoption impliqué dans des faits de malversation financière contre les intérêts de l'Etat gabonais ;

- retirer obligatoirement tous les agréments, y compris le droit d'exercer, à toute personne physique ou morale qui serait convaincue de fraude, de corruption et d'enrichissement illégal en lien avec tout bien public.

Pour le bien du peuple gabonais, je reste convaincu que si le gouvernement applique rigoureusement les recommandations supra, le pays connaîtra une avancée notable en matière de discipline budgétaire, d'allocation optimale des ressources publiques et d'efficacité dans la gestion des finances publiques.

Une gestion rigoureuse des finances publiques est une condition sine qua non et non négociable de la marche du Gabon vers un développement qui profite à tous.

Willy Ontsia (Expert-financier)

 

Article du 21 octobre 2021 - 12:24pm
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