Gabon/Mariage polygamique : « Un acte admis par les traditions et le Code civil gabonais. »
Enseignante-chercheure à l’Ecole normale supérieure de Libreville, l’anthropologue Emmanuelle Nguema Minko déplore le « faux scandale » qu’a provoqué le mariage, ce 31 juillet, de Mesmin Abessole avec quatre femmes au cours d’une même cérémonie.
En tant qu’anthropologue, quel regard posez-vous sur le récent mariage d’un homme avec quatre femmes, portant ainsi à cinq le nombre de ses épouses ?
Emmanuelle Nguema Minko : Nous sommes tous ou presque issus de foyers polygames. Ceux qui ne le sont pas de droit (officiellement) le sont de fait. La monogamie est donc le régime matrimonial le plus hypocrite qui ait jamais été institué en Afrique et partout ailleurs dans le monde actuel. Il faut comprendre que les sociétés s’auto-régulent. Une société qui fait naître deux à trois fois plus d’hommes que de femmes deviendra systématiquement polyandre. Une société qui fait naître presque autant d’hommes que femmes deviendra systématiquement monogame. Enfin, une société qui fait naître deux à trois fois plus de femmes que d’hommes sera systématiquement polygame.
Le régime de juridicité devrait donc s’adapter à la vision du monde, qui est elle-même le fruit des dispositions que la nature qui est la seule maison, le seul héritage, le seul médium, que « Dieu », entendons par là, le créateur de l’ordre de la nature, a eu à laisser aux hommes. Passer outre cette loi de la nature laisse place à l’hypocrisie que nous observons actuellement dans le monde actuel. A force d’être complexé par un régime de juridicité qui n’est pas en adéquation avec notre vision du monde, la vie conjugale ressemble de plus en plus à une poudrière, prête à exploser à n’importe quel moment, parce que l’homme triche, la femme triche, les enfants trichent, la morale triche, les discours trichent, etc., pour promouvoir le paraître au détriment de l’être. Le pire c’est que les rares personnes (hommes ou femmes) qui décident de ne pas tricher sont stigmatisées par le regard des autres, qui sont tous des tricheurs. Tout cela parce que nous avons réussi à normaliser la déviance au point que l’anormalité rassure et c’est la normalité qui scandalise.
Par ailleurs, qu’il s’agisse du Code civil gabonais ou de nos lois coutumières, la polygamie est admise comme valeur sociétale. Ce qui ne l’est pas, c’est la multiplication des relations extraconjugales. Or, s’il y a un fait récurrent dans les sociétés africaines, et gabonaise en particulier, c’est bien le fléau des « tchizas » (les maîtresses : Ndlr). C’est ce qui devrait nous scandaliser, car traditionnellement et légalement condamnable.
En tant qu’anthropologue, je ne vois pas ce qu’il y a de scandaleux à ce qu’un Gabonais pose un acte admis par le Code civil gabonais et les traditions gabonaises sur le territoire gabonais.
Quel est l’impact d’un tel mariage dans la société, au regard des réticences exprimées vis-à-vis de la polygamie à la fois par le christianisme et une certaine modernité qui dépénalise même l’homosexualité ?
C’est amusant d’entendre parler de réticence vis-à-vis de la polygamie dans une société de polygames. C’est ce que je disais plus haut. Vous empruntez des discours, des regards, des visions du monde qui vous viennent d’ailleurs, pour faire beau et pour faire tendance. Vous refusez de porter un regard objectif sur votre propre société pour entretenir l’hypocrisie, parce que c’est la tendance. Votre question est, en elle-même, l’expression de cette hypocrisie institutionnalisée ; une situation dans laquelle on a honte d’assumer ce que l’on est implicitement, et on fait semblant de paraître pour ce que l’on n’est pas.
Parlant du christianisme, il est fondé, d’une part, sur les textes du judaïsme antique. Or, nous savons que tous les grands rois de la Bible avaient autour de 300 à 400 épouses ; justement parce que la société juive antique faisait naître 200 à 300 fois plus de femmes que d’hommes, ce qui fait que la régulation de l’ordre social ne pouvait qu’admettre l’hyper polygamie. D’autre part, le christianisme a emprunté un texte égyptien pré-pharaonique auréolé par l’idéologie romaine.
Pour ce qui est du monde romain, les femmes naissaient rarement. Avoir une épouse relevait du mérite, ce qui fait qu’aucun homme ne pouvait prétendre en avoir deux, donnant naissance à une société monogame dans laquelle l’homosexualité était une norme pour canaliser la libido des hommes, qui seraient tentés d’aller vers les rares femmes qui étaient déjà mariées.
Qu’en est-il de la société gabonaise ?
Donc, en tant qu’anthropologue, le mariage de M. Mesmin Abessolo, le 31 juillet dernier à Libreville, devrait plutôt nous amener à réfléchir au modèle social qui conviendrait mieux à nos mœurs, pour éviter les fléaux de la prostitution, le phénomène des « tchizas », le problème des enfants abandonnés et des enfants nés hors-mariage, pour promouvoir une éthique de la responsabilisation, en vue de réguler notre ordre social, en conformité avec les dispositions des lois de notre nature, qui fait naître plus de femmes que d’hommes. Entrevoir un impact autre viendrait encore enfoncer la tricherie et l’hypocrisie, qui sont à l’origine des féaux susmentionnés.
« Bureaux » et « tchizas » ont-ils de quoi espérer, d’autant plus que le mariage coutumier n’est toujours pas reconnu dans la législation gabonaise ?
A cette question, je vous renverrai à la loi de l’offre et de la demande, à la dialectique du maître et de l’esclave. En effet, qui de l’offreur ou du demandeur attend plus de l’autre ? Qui du maître ou de l’esclave a le plus besoin de l’autre ?
Si donc les hommes mariés entretiennent de multiples « bureaux » et des « tchizas », c’est qu’ils sont dans le besoin. Donc, la question de l’espoir ne viendrait pas que des « bureaux » et des « tchizas », mais aussi de tous ces hommes qui se sentent obligés de tricher, parce qu’ils ne parviennent pas à contenir leur libido auprès d’une seule femme. C’est dire qu’en termes d’espoir, tant que les demandeurs auront de l’espoir, les offreuses l’entretiendront également.
En outre, la sagesse voudrait que lorsqu’on se perd dans l’organisation de nos sociétés respectives, l’on observe les dispositions de la nature. Elle est le seul thermomètre, le seul baromètre, le seul indicateur de la régulation de toute société, à chaque époque, dans chaque aire géographique. Passer outre cette lecture de l’ordre de la nature nous conduit vers une société de tricheurs, d’hypocrites et de désordonnés.
La vraie question qui se pose, dès lors, c’est comment concilier le mode de production capitaliste avec les lois de notre nature pour pouvoir assumer nos multiples responsabilités ? C’est à ce niveau qu’intervient la notion du choix à assumer. Si ceux qui font le choix de la polygamie sont capables d’assumer, que peut-on alors leur reprocher ? Ce qui est reprochable, c’est de faire semblant d’être scandalisé par quelqu’un qui pose un acte qui fait partie des fantasmes de n’importe quel homme, mais qui, faute de pouvoir assumer, se contente de ce qu’il peut gérer.
Brandy MAMBOUNDOU
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