Jean Boniface Assélé : « Les Fang sont des Gabonais, ils sont même très brillants ».

Par Brandy MAMBOUNDOU / 03 nov 2021 / 0 commentaire(s)
Jean Boniface Assélé

Vendredi dernier, il est un peu plus de 12 h.  A Michel Marine – un site où la Jet-set, amoureuse des bateaux de plaisance et autres sensations fortes, se retrouve les week-ends pour prendre la mer - le fondateur et patron du Cercle des libéraux réformateurs (CLR) nous reçoit pour évoquer les questions de l’heure qui fâchent. Notamment la rétention du passeport de l’exilé en France Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, l’ancien coordinateur général des Affaires présidentielles sous Omar Bongo Ondimba et surtout l’un des soutiens actifs de Jean Ping, les accusations irresponsables de Max Anicet Koumba contre les Fang, et la tension qui prévaut au sein du CLR, managé désormais par sa fille, Nicole Assélé. Sur tous ces sujets, l’homme politique sans langue de bois. Lecture !

 

Gabonclic.info.  M. Assélé, plusieurs Gabonais, aujourd’hui dépités, disent que le pays est bloqué, qu’en pensez-vous ?

 

Jean Boniface Assélé : Toutes les institutions de la République sont en place ; cette République existe. Le pays n’est donc pas bloqué. Maintenant, si vous me dites que l’administration du Gabon fonctionne mal, je dirai oui. Personne n’est venu nous attaquer ici. Donc, notre pays existe bel et bien dans le concert des nations. La question aujourd’hui est donc simple : comment faire pour que notre administration fonctionne bien ? C’est un débat d’ensemble, qui ne concerne pas seulement Monsieur Assélé et son parti. Même s’il faut reconnaître aussi qu’en démocratie, les partis servent à aider le gouvernement à mieux gérer notre pays.

 

 … si vous me dites que l’administration du Gabon fonctionne mal, je dirai oui..

Aujourd’hui, il y a des grèves ici et là. Le désespoir se lit presque sur tous les visages. Comment sortir de la situation actuelle ?

Pour sortir de cette situation, il faut d’abord considérer qu’il y a un Etat-Nation, qui a des règles que l’on doit faire respecter pour vivre en cohésion. Malheureusement, la situation actuelle découle du fait que l’autorité de l’Etat s’est effondrée. Voilà d’où est parti le désordre. Nous sommes comme dans un champ de maïs, où tout le monde est barbu. Moi, en tant que chef de ma famille, mes enfants me respectent parce que j’incarne l’autorité. Je suis le chef de ma famille et on me le reconnaît. Battons-nous pour restaurer l’autorité de l’Etat.

Autrefois, plusieurs citoyens étaient souvent victimes de rétention de leurs passeports. En 2021, comprenez-vous, en tant qu’ancien général de la police nationale et ancien chef du Cedoc, que Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, un ancien haut dignitaire de ce pays, soit aujourd’hui privé de son passeport ?

(L’air grave !) Jean-Pierre Lemboumba Lepandou a été mon condisciple de classe, en même temps c’est un frère. Il est allé en France. Donc, en ce qui concerne, Jean-Pierre Lemboumba est un citoyen libre. On ne doit pas retenir son passeport, c’est son bien. D’abord, qu’a-t-il fait pour qu’on retienne ce passeport ? Parce que pour retenir le passeport de quelqu’un, il faut qu’il y ait une raison, qu’il soit accusé de quelque chose. C’est comme moi. Si quelqu’un vient me dire que j’ai volé, je lui réponds que je suis toujours candidat aux différentes élections, dans mon dossier de candidature, je dois présenter un casier judiciaire. Si j’ai volé, je ne peux avoir un casier judiciaire vierge. Donc, je crois que Jean-Pierre, que je connais très bien, doit rentrer au pays. Il doit revenir inculquer aux jeunes les connaissances qui sont les siennes et l’expérience qu’il a acquise. Il a été ministre des Finances. Et quel genre de ministre de Finances !!! « Coffre-fort », comme on l’appelait. Je suis resté ici au pays pour me battre contre des « invisibles », qui ont une capacité de nuisance très élevée. C’est pourquoi, je profite de vos colonnes pour dire à Jean-Pierre de revenir. Pourquoi est-il parti ? A ma connaissance, il n’a été accusé de rien. Il occupait un poste, je pense qu’il ne l’a pas aimé et il est parti. Mais ce n’est pas pour autant qu’il doit rester en France. Dans mon cas, je suis aujourd’hui un chômeur, mais je m’occupe très bien, je me bats comme tout le monde. Jean-Pierre doit rentrer, comme tous les autres.

On ne doit pas retenir son passeport, c’est son bien…

Ici et là, il se dit que le Haut-Ogooué détient le pouvoir, depuis plus de 50 ans. Général Assélé, vous, un fils du Haut-Ogooué, vous avez fait vos classes là-bas ; vous connaissez la tradition. Sur quoi se fonde l’exercice du pouvoir dans le Haut-Ogooué ?

Le Haut-Ogooué a eu la chance d’avoir un président, Omar Bongo qui, à Brazzaville, était lié à un homme politique, Opango, qui l’a recommandé à Léon Mba. Il a été un très proche collaborateur de Léon Mba. Lorsque les mutins ont arrêté Léon Mba en 1964, Omar Bongo l’a suivi. Léon Mba n’a pas oublié ce geste. D’où l’importance de la fidélité. Quand il a accédé au pouvoir, Omar Bongo a beaucoup appris auprès de ses pairs, sans complexe, ni orgueil. Par exemple, il appelait Houphouët Boigny « Papa », alors qu’il était son homologue. C’est la modestie.

Le Haut-Ogooué n’a pas compris qu’on devait travailler. Chaque Altogovéen s’est mis en tête d’avoir une parcelle de pouvoir, au lieu de travailler comme les autres. C’est donc notre faute si les choses ne marchent plus. On ne s’est pas entendu, on s’est livré à la jalousie. Ce n’est guère sur commande que le pouvoir est arrivé au Haut-Ogooué. C’est Dieu qui l’a voulu, par le biais d’un homme, Omar Bongo, qui a eu des liens avec Léon Mba et qui a permis à ce dernier de pénétrer le Haut-Ogooué, qui était une province enclavée, et les fonctionnaires y étaient envoyés par des affections disciplinaires. Mais ces fonctionnaires, une fois dans le Haut-Ogooué, ne voulaient plus aller ailleurs, ils trouvaient que la population y était très accueillante. Les Altogovéens sont des gens bien. Là-bas, c’est le socialisme à la Batéké, à l’Obamba, à l’Altogovéen…

Mais aujourd’hui, dans le Haut-Ogooué, tout le monde est barbu ; chacun pense détenir le pouvoir. Nous devons prendre l’exemple sur les chefs de canton, qui étaient des polygames, avec 10 à 12 femmes et avaient le sens de l’administration. En définitive, le Haut-Ogooué a manqué de guide, chacun voulant être un guide. Et cela s’est accentué avec les nouveaux venus. Ils ont mis « au balango » ceux qui étaient là. Un nouveau cadre ne déclarait-il pas que « On ne fait pas du neuf avec du vieux » ?

Le pouvoir est arrivé au Haut-Ogooué. C’est Dieu qui l’a voulu...

Face à ses pairs au Conseil national de la démocratie (CND), Max Anicet Koumba, l’un des partis de la Majorité présidentielle, a tenu des propos inappropriés et dangereux contre la communauté Fang. Comment réagissez-vous face à une telle déclaration ?

Je crois que lorsque Max Anicet Koumba dit des choses comme ça, un chef de parti qui réfléchit ne peut parler de cette façon pour mettre à l’index une ethnie. Moi je vis avec des Fangs, j’ai des enfants qui sont Fangs. On comprend que certains sont tellement légers qu’ils ne doivent pas approcher le pouvoir. Son parti est le Rassemblement des Gaulois. Où sont les Gaulois ici au Gabon et ils viennent d’où ? Je pense que ce monsieur est un homme fatigué. Et lorsqu’on est fatigué, il faut s’arrêter. Je ne peux guère apprécier cela. Les Fang sont des Gabonais, ils sont même très brillants. Non ! Il ne faut pas laisser parler ce genre de personnes devant un monde sérieux.

Autrefois, il y avait l’USM, Anges ABC, FC 105, Vautours Club Mangoungou, et bien d’autres clubs de football. Au niveau de la musique, on avait les Diablotins de la police, Akweza de la Gendarmerie nationale, Massako de l’Armée…la société était ainsi bien organisée. Témoin actif et acteur de cette époque, comment est-on sorti de ce grand boulevard pour entrer dans une piste où il n’y a presque plus rien ?

On a fait de la politique et on l’a mal faite. J’ai fait de la politique à un haut niveau, mais pas comme elle se fait aujourd’hui. On a mis l’argent devant, introduit des données qui n’existent pas. La jalousie, la provocation, tout y est, sauf le nécessaire. L’Etat n’a plus son pouvoir. Tous ceux qui ont fait de bonnes choses ont été oubliés. Je viens de vous montrer un clip produit par les Diablotins, rebaptisé « Les Associés ». La Culture devrait encourager cela. Ce sont pourtant les mêmes qui rendent grâce à Pierre Akendengué, Vyckos Ekondo… On a fait de bonnes choses avec les groupes d’animation. D’autres ont critiqué ces groupes culturels, parce qu’ils seraient trop politiques. Les bonnes choses ont été détruites.

Une chose néfaste est qu’aujourd’hui, on a laissé l’administration aux mains des femmes et des enfants, pour du clientélisme politique. Cela ne marche pas, et le Gabon s’enfonce de plus en plus dans les profondeurs de la médiocrité.

…on a laissé l’administration aux mains des femmes et des enfants…

Que devient le Centre des libéraux réformateurs (CLR), qui avait été un grand parti mais qui semble se perdre dans ce monde sans repère que vous décrivez ?

Le CLR est un grand parti ! Je suis vivant, c’est moi qui ai fondé le CLR. Ça s’agite aujourd’hui parce que j’ai voulu y amener Nicole, une de mes filles. Mais on a commencé à tourner autour d’elle pour lui gonfler la tête, oubliant que le CLR est mon parti. Je vais virer intelligemment les petits farfelus qui sont arrivés là. Et j’y mettrai de l’ordre. Aujourd’hui, j’apprends que le CLR a des clans. Mais quand j’implantais le parti, mes enfants n’étaient pas là. Nicole faisait la médecine. A l’allure où vont les choses, je vais lui dire : « ma fille, va faire la médecine ; laisse la politique, laisse-nous faire la politique, qui n’est pas forcément bien. »

Elzo Mvoula

 

Article du 3 novembre 2021 - 9:52am
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