« La Centrafrique dispose désormais de deux monnaies en circulation sur son territoire national »

Par Brandy MAMBOUNDOU / 19 mai 2022 / 0 commentaire(s)

 Le mercredi 27 avril 2022, le président centrafricain, Faustin Archange Touadéra, a promulgué la loi donnant cours légal à la cryptomonnaie, le Bitcoin. La RCA a donc une nouvelle monnaie en plus du franc cfa. L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Selon le directeur de Cabinet civil de la présidence, Obed Namsio, « L’adoption du Bitcoin en tant que monnaie officielle représente un pas décisif vers l’ouverture des nouvelles opportunités pour notre pays ». Au niveau international, la Centrafrique est le deuxième pays au monde, après le Salvador en 2021, à avoir autorisé l’utilisation des crypto-actifs comme monnaie nationale. Pour décrypter cette information et mieux comprendre les raisons et les objectifs de cette décision de la Centrafrique, nous avons interviewé Willy Ontsia, l’ancien analyste financier de la BICIG, ancien directeur général de la BVMAC, de BGFI Capital et de BGFI Bourse.

Gabonclic.info : Qu’est-ce qu’une cryptomonnaie par rapport aux monnaies traditionnelles telles que le franc cfa ?

Willy Ontsia : Les cryptomonnaies, dont le bitcoin est la principale valeur de référence, se définissent comme les monnaies virtuelles dématérialisées. C’est-à-dire que, contrairement aux monnaies physiques traditionnelles comme le dollar ou l’euro, les monnaies cryptographiques ne circulent pas sous la forme de pièces de monnaies ou de billets de banque. Autrement dit, elles s’échangent uniquement par un mécanisme d’écriture numérique de portefeuille à portefeuille via un réseau informatique décentralisé. 

Donc, les cryptomonnaies sont des monnaies exclusivement électroniques et décentralisées, c’est-à-dire qu’elles échappent au contrôle des banques centrales et elles n’appartiennent à aucun Etat au monde.

Ces cybermonnaies utilisent une technologie « open source » très performante qu’on appelle la « blockchain » qui permet notamment de faire des transactions financières de manière quasi-instantanée.

Selon vous, quelles sont les vraies raisons qui ont poussé la Centrafrique à adopter le bitcoin comme monnaie légale en plus du franc cfa ?

La Centrafrique, un pays frère, est sous la menace d’une exclusion de la zone franc cfa en raison de son alliance avec l’Etat russe et le Groupe Wagner, car la France digère très mal l’influence grandissante de la fédération de Russie dans son pré-carré « françafrique » qui compte 14 pays d’Afrique centrale et de l’ouest.

A l’image de la CEDEAO avec le Mali, dans l’optique d’asphyxier financièrement la Centrafrique et la contraindre à se séparer du groupe Wagner, sous la pression de l’ancien colon, les pays de la zone CEMAC pourraient prochainement décider d’exclure la Centrafrique de la zone franc cfa et décider du gel de ses comptes bancaires à la BEAC avec une interdiction d’emprunter sur le marché financier sous-régional.

Comme preuve de cette cabale à venir contre la Centrafrique, le 10 mai 2022, la BAD a lancé les hostilités en suspendant ses activités en Centrafrique sous prétexte de l’adoption de la cryptomonnaie.

Convaincu qu’elle n’échappera pas aux sanctions occidentales portées par les pays voisins non-souverains, pour anticiper le risque d’exclusion de la zone franc, y compris les sanctions collatérales, l’Etat centrafricain a fait preuve de stratégie en décidant d’adopter le « bitcoin » comme monnaie légale en plus du franc cfa.

De ce fait, sur le plan du droit, la Centrafrique dispose désormais de deux monnaies en circulation sur son territoire national, soit une monnaie traditionnelle, le « franc cfa », et une monnaie virtuelle, « le bitcoin ».

Quelle est la valeur ajoutée de l’adoption de la cryptomonnaie par l’un des pays les plus pauvres du monde ?

En termes de stratégie politique, j’observe que le gouvernement centrafricain a réussi un coup de maître en créant un « buzz médiatique » sur son choix historique d’utiliser le « bitcoin » comme monnaie légale, une première en Afrique.

Cependant, il faut savoir que les cryptomonnaies dont le « bitcoin » sont essentiellement des « actifs de placement peu liquides ». Elles ne sont pas des monnaies de règlement au sens strict de la définition d’une devise.

Par conséquent, les cryptomonnaies ne sont pas véritablement des devises, car leurs caractéristiques sont plus proches des instruments financiers hybrides tels que les produits dérivés.

De ce fait, la décision de l’Etat centrafricain est avant tout un choix politique qui n’aura que peu d’impact en termes de développement et de croissance économique, car la quasi-totalité des personnes physiques et morales centrafricaines ne possèdent aucune cryptomonnaie et ils ne maîtrisent pas les arcanes du marché de ces monnaies numériques très volatiles.

Les cryptomonnaies sont-elles une alternative aux monnaies traditionnelles telles que le dollar américain, l’euro ou le franc cfa ?

A ce stade, le développement du marché des cryptomonnaies ne constitue pas une menace immédiate pour les monnaies étatiques telles que le dollar américain, le yen japonais, l’euro européen, le yuan chinois ou le franc cfa de la CEMAC, car les cryptomonnaies n’ont pas cours légal dans la grande majorité des pays du monde, ce qui limite leur utilisation comme monnaie de paiement dans le commerce mondial.

Pou preuve, il faut savoir que l’utilisation du bitcoin est interdite en Chine qui est la deuxième économie du monde, car l’Etat chinois considère que le marché libre et hors contrôle des cryptomonnaies participe à la fraude fiscale et il favorise le blanchiment des capitaux issus des activités illicites.

Par conséquent, les cryptomonnaies, dans la forme actuelle, ne sont pas prêtes de remplacer les monnaies étatiques telles que le dollar ou la livre sterling.

Sachant que la Centrafrique est membre de l’union monétaire d’Afrique centrale, peut-on considérer que la Centrafrique viole les accords de coopération et remet en cause l’existence du franc cfa ?

D’une part, à ce stade, je dirais que la Centrafrique ne viole aucun traité de coopération financière dans la mesure où le franc cfa continue d’avoir cours légal dans ce pays, y compris les accords de coopération monétaire et financière en vigueur dans la zone CEMAC.

D’autre part, sachant que la gestion des cryptomonnaies est totalement informatisée et leur circulation uniquement en support numérique, la Centrafrique n’a pas besoin de créer une nouvelle banque centrale pour utiliser le bitcoin. Par conséquent, la BEAC demeure l’unique institution d’émission en exercice en Centrafrique. Donc, je le répète, la Centrafrique ne viole en rien les accords de coopération en adoptant cette cryptomonnaie.

Cependant, en prenant la décision d’accepter les cryptomonnaies comme instrument monétaire en plus du franc cfa, l’Etat centrafricain émet un signal et il marque sa volonté de récupérer sa souveraineté monétaire et de sortir du cercle vicieux du franc cfa, car aucun pays au monde ne s’est développé sans battre sa propre monnaie. 

 

Propos recueillis Vichanie MAMBOUNDOU

 

 

 

Article du 19 mai 2022 - 11:47am
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