Limitation des mandats dans l’espace Cedeao : Ouattara, Sall et Gnassingbé farouchement opposés

Par Elzo MVOULA / 12 juil 2022 / 0 commentaire(s)
Pourront-ils résister à la soif d'alternance de leur peuple?

La limitation des mandats présidentiels naguère proclamée comme une clé de la démocratie en Afrique de l’Ouest serait aujourd’hui récusée par ceux-là mêmes qui en étaient les chantres. En plus du Togo, qui n’a jamais entrevu une alternance à la tête de l’État, la Côte d’Ivoire et le Sénégal s’y sont ajoutés pour s’opposer une fois encore à la limitation du mandat présidentiel dans l’espace Cedeao.

Au Togo, en 2019, les députés avaient adopté des réformes constitutionnelles avec, en toile de fond, la limitation du nombre des mandats présidentiels. L’Assemblée nationale avait pris soin de préciser que la nouvelle réforme n’est pas rétroactive. Les mandats déjà réalisés et ceux en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi constitutionnelle, ne sont pas pris en compte dans le décompte des mandats pour l’application des dispositions des articles relatifs à la limitation du nombre des mandats. Cette remise du compteur à zéro, au Togo, donne ainsi la liberté à Faure Gnassingbé qui était à son 3ème exercice, d’en briguer deux en 2020 et 2025. Soit 5 mandats présidentiels. Une « prouesse » pour la famille Gnassingbé si l’on prend en compte les 38 ans de règne sans partage de son père Gnassingbé Eyadema.

Coups d’État militaires et tripatouillages constitutionnels

Mais dans l’entendement de Faure Gnassingbé, peut-on réellement parler de limitation du nombre de mandats présidentiels ? On en doute fort. Car, malgré cette disposition constitutionnelle qui lui fait la part belle, Faure Gnassingbé ne se serait pas de nouveau illustré sur la scène régionale, en s’opposant à la nouvelle réforme dans l’espace communautaire. À croire que la fonction présidentielle, au Togo, ne serait réservée qu’à cette famille, que l’on désigne impudiquement par « famille présidentielle ».

Avec la résurgence des coups d’État militaires dans la sous-région, notamment au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, les dirigeants ont pris la résolution d’actualiser le protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, afin de l’adapter aux standards démocratiques. C’est ce que Mohamed Bazoum expliquait dernièrement : « Nous sommes contre le troisième mandat, et nous sommes en train de changer le protocole de la CEDEAO relatif à la démocratie, à la bonne gouvernance et aux élections pour que nous prévoyions des dispositions qui font des changements constitutionnels pour envisager des mandats supplémentaires indus, comme étant une entreprise de subversion sur les institutions, exactement comme un coup d’État ». Une véritable curiosité, si l’on observe la virulence des chefs d’État contre les coups d’État militaires. On en arrive à se demander s’il existe une différence entre les coups d’État militaires et ceux menés à partir des tripatouillages constitutionnels.

En plus donc de Faure Gnassingbé, Alassane Dramane Ouattara et Macky Sall font échec à ce projet d’intégration démocratique, en s’abstenant de signer le protocole sur la limitation à deux des mandats présidentiels. Déjà en 2015, lors du sommet de la Cedeao à Accra, Faure Gnassingbé et l’ancien président gambien Yahya Jammeh, que l’on qualifiait de « solidaires dans le mal », avaient fait bloc pour faire échec à la volonté de la Commission de la Cedeao d’imposer l’alternance démocratique dans les quinze pays membres. Ils sont aujourd’hui rejoints par la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Pompier pyromane et renégat décomplexé

Pourtant, l’avènement au pouvoir de Macky Sall au Sénégal avait été l’œuvre des partis politiques qui s’opposaient à un troisième mandat d’Abdoulaye Wade. En effet, en 2012, tous les candidats éliminés au premier tour de l’élection avaient rejoint une coalition dénommée Alliance pour la République (APR), dirigée par le candidat Macky Sall face au président sortant. Aujourd’hui, ce même Macky Sall, qui avait été soutenu par plusieurs formations politiques sénégalaises et des personnalités de la société civile, pour sa bravoure à tenir tête à Abdoulaye Wade, décidé à briguer un troisième mandat, pourrait se retrouver dans la situation de celui qu’il avait férocement combattu, si son intention est de solliciter un mandat de plus. Pompier devenu à son tour pyromane, il serait aujourd’hui accusé d’ourdir des plans pour éliminer son principal challenger, Ousmane Sanko. Pourra-t-il aller au bout de ce projet impopulaire ? Rien n’est moins sûr.

Alassane Ouattara, quant à lui, avait juré deux doigts en l’air, devant les députés et les sénateurs réunis en congrès à Yamoussoukro, de se retirer après ses deux mandats. « Je voudrais annoncer solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération », avait-il alors déclaré. Et d’ajouter sur son compte twitter : « Tout au long de ma carrière, j’ai toujours accordé une importance particulière au respect de mes engagements. En conséquence, j’ai décidé de ne pas être candidat en 2020 ». La suite on la connaît. Renégat décomplexé, Alassane Ouattara a bien rempilé en 2020, et de surcroît il lorgnerait, selon certains observateurs à Abidjan, sur un quatrième mandat en 2025.

La levée de boucliers contre les putschistes au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, pour cause de non-respect constitutionnel et la rupture des mandats civils, n’a logiquement aucun sens. Un mandat de plus, en dehors de ceux autorisés, n’est-il pas un coup d’État en soi ? La problématique de la manipulation des constitutions devrait aussi faire l’objet d’un sommet. Si la démocratie constitue réellement l’unique visée des chefs d’État qui s’opposent aux coups d’État dans la sous-région ouest-africaine.

Elzo Mvoula

Article du 12 juillet 2022 - 11:38am
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