Mais à quoi servent désormais les « Renseignements » ?

Par Nicolas NDONG ESSONO / 02 juin 2021 / 0 commentaire(s)
Jean Valentin Leyama

Une figure historique, disparue depuis plusieurs années, me conta un jour une de ses rencontres nocturnes avec Omar Bongo – oui, oui, Omar savait entretenir des contacts réguliers avec ses farouches opposants – à 2 heures (du matin, comme on dit), dans le bureau présidentiel. Il trouva l’hôte des lieux plongés dans la lecture de plusieurs documents, eux-mêmes rangés dans une multitude de parapheurs, annotant chacun d’eux au stylo rouge.

Omar, goguenard, lança à son interlocuteur : « Tu vois, mon cher ami, toi qui veux ma place, c’est avec ça qu’on dirige un pays ! ». Le visiteur demande alors ce que c’était. Omar lui répondit : « Les BR ! Je choisis des heures calmes comme celles-ci pour en prendre connaissance en premier, et je n’irai pas au lit sans les avoir épuisés et donné des instructions écrites aux différents services. Les officiers de liaison sont tenus de me les remettre en mains propres et leur accès est prioritaire. »

Combien de fois n’étions-nous pas surpris, que dis-je, impressionnés par le degré de connaissance des événements et des situations par le chef de l’Etat, comme s’il les avait lui-même vécus.

Lorsqu’il se déplaçait pour une province ou pour une localité, il avait pris soin, au préalable, de s’imprégner de la situation locale, grâce aux BR. Lors des meetings ou des audiences, les acteurs locaux étaient ahuris de la parfaite connaissance du président, de leurs petites querelles intestines, des agissements d’un tel ou de tel autre.

Outil d’information privilégié du chef de l’Etat, le Bulletin de renseignements (BR) servait également à anticiper sur les situations potentiellement critiques, à alerter sur les récriminations des populations. Le pouvoir avait alors toute latitude pour prendre les décisions, avant que les faits incriminés ne prennent des proportions difficiles à gérer.

Précisément, s’agissant des événements de Mékambo, reposons la question : où sont donc passés les services de renseignements, pourtant omniprésents ainsi que les autorités administratives ? Les dégâts causés de manière récurrente par les pachydermes sur les cultures des populations, dont c’est le seul moyen de subsistance dans un territoire qui compte parmi les plus oubliés de la République, sont un fait qui ne pouvait passer inaperçu « aux yeux et aux oreilles » du président de la République.

De surcroît, lasses de saisir en vain les autorités administratives, les populations ont dû se résoudre à organiser des manifestations pacifiques. On doit regretter et condamner les violences qui ont consisté à l’atteinte aux symboles de l’autorité de l’Etat. Mais de quelle autorité dispose encore l’Etat quand, sur l’ensemble du territoire, ses représentants, appuyés par les forces de défense et de sécurité, excellent plutôt dans les compromissions, les rapines et la répression ?

Par conséquent, alors que l’on aura noté l’absence notoire du ministre en charge des Forêts, on peut s’étonner que les ministres de la Défense et de l’Intérieur soient venus en pompiers sans canaux d’eau, après que l’incendie a consumé toute la maison. La gestion de ces départements de souveraineté ne se limite pas aux parades et coups de menton devant les troupes !

A l’instar du traitement des événements liés au « concert des casseroles », la répression féroce qui s’abat sur les populations et leurs représentants comme unique solution à des problèmes réels ne peut pas conduire à l’apaisement, mais plutôt à exacerber les frustrations et les tensions auprès de personnes qui n’attendent plus rien de la puissance publique, et qui n’ont rien à perdre. Omar aurait géré cette affaire autrement : visite surprise, dialogue avec les populations, libération des manifestants arrêtés, remise de fonds en plusieurs dizaines de millions en signe de compensation immédiate.

Revenons à notre questionnement : où sont donc passés les services de renseignements ? Et si les pauvres sont, eux aussi, las de constater que leurs fiches ne donnent lieu désormais à aucun feedback de la part du destinataire : le président de la République ? Combien de fois n’a-t-on pas entendu des autorités administratives, face à un problème qui leur est soumis, réagir en ces termes : « Nous avons transmis les éléments à la hiérarchie et attendons les instructions. » Instructions ou solutions qui ne viennent presque jamais.

Faute de voir leurs informations prises en compte de manière appropriée au sommet de l’Etat, les services de renseignements se sont désormais spécialisés dans le « kongossa » contre des personnalités sur commande ou au bénéfice d’autres personnalités concurrentes.

Et si notre questionnement renvoyait finalement à une problématique difficile à éluder encore longtemps : y a-t-il encore un vrai capitaine à la barre du bateau « Gabon » ?

 

La chronique de Jean Valentin Leyama

Article du 2 juin 2021 - 11:29am
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