Mali : L’analyse appropriée d’Amadou Aya sur la situation actuelle du pays
Amadou Aya, Premier secrétaire général de la Convergence pour le Développement du Mali (CODEM), président du comité des experts du cadre d’échanges des partis et regroupement politiques pour le retour à l’ordre constitutionnel dont le mouvement «JIYA KURA ». Ainsi le fils Dogon, natif de Dinangourou a accordé, sans langue de bois, un entretien à Gabonclic.info pour débattre de la situation « précaire » du Mali, notamment les questions sociopolitique, économique et sécuritaire. Une analyse très pertinente que nous livre Amadou Aya !
Gaboncli.info : Au sein du Cadre des partis et regroupements politiques pour le retour à l'ordre constitutionnel, quelles propositions avez-vous faites pour aider les autorités de la transition à une sortie de crise socio-économique et sécuritaire ?
Amadou Aya : Le cadre « JIYA KURA » a été créé le 26 juillet 2021. À l'époque, le Cadre s'appelait « le Cadre d'échange des partis et regroupements politiques pour la réussite de la transition ». C'était pour accompagner les autorités de la transition, parce que celles-ci s’étaient engagées pour un retour dans un délai de 18 mois. C'est en cela que nous avons entrepris toutes les actions par des propositions écrites, surtout en ne nous opposant pas de manière frontale aux autorités de la transition. Au bout du compte, nous avons compris que les autorités ont commencé à dévier de la trajectoire. Quand les militaires ont pris le pouvoir, la première déclaration était le retour rapide à l'ordre constitutionnel, la plus courte période dans l'histoire.
Après, il y a eu les négociations avec la CEDEAO qui a amené la transition à 18 mois, après le second coup d'Etat du 24 mai. C'est ce qu'ils ont appelé « la rectification », pour certains, « le changement » pour d’autres. Il y a eu des changements, c'est-à-dire qu'ils ont fait des Assises nationales de la refondation. Ces assises n'avaient pour seul objectif que de chercher à prolonger la transition. Voilà pourquoi le Cadre n'a pas voulu participer à ces assises. Et au bout du compte, c'est ce qui est ressorti de ces assises, et nous avons également un bon programme qui, pour nous, n'est pas de l'ordre de la transition. Dès lors, nous avons compris que les militaires ne voulaient plus organiser les élections. Les hommes politiques qui les accompagnent, dans l'ordre normal des choses, ils n'ont aucune chance d’avoir un fauteuil quelconque, parce que nous connaissons la plupart des hommes politiques autour d'eux, qui ont participé aux élections et qui n'ont jamais obtenu 1% lors d’un scrutin, a fortiori d'avoir un conseil. Donc, nous avons compris que ces gens voulaient rester, en prolongeant la transition aux sorties des assises de trois à cinq ans, ce qui n'était pas possible. Ils ont convenu de venir aux 18 mois, c'est pour cela que le Cadre a changé de posture en disant que maintenant, ce n'est plus pour la réussite de la transition, mais pour le retour à
l'ordre constitutionnel. C'est à cet ordre d'idées que nous avons élaboré un certain nombre de documents pour des propositions de sorties de crises, qui est autour de trois principaux axes : sécuritaire, économique et reformes politiques et institutionnelles. Dans l'axe sécuritaire, nous avons estimé que le gouvernement doit travailler plus à la sécurisation des élections, parce que la sécurisation du territoire est un travail permanant, même en temps normal. En ce qui concerne le désarmement des milices, la sécurisation des élections pourrait permettre le retour de l'administration.
En ce qui concerne l'axe économique, nous avons dit, de par notre diplomatie, le populisme de la diplomatie de la junte actuelle a fait que la plupart des partenaires sont partis. Ce qui fait qu'au niveau économique, il y a une tension très difficile. Le fait du terrorisme : des champs ont été brûlés, des récoltes de riz ont été brûlées, des terroristes ont empêché les gens de cultiver, les bétails ont été volés, les greniers ont été brûlés, des villages ont été détruits. Donc, nous pensons que tout ça, mis l'un dans l'autre, il y a énormément de difficultés. Il est important de revenir dans le concert des nations, de relancer l'économie. Là, ce n'est pas possible qu'on ne conjugue pas avec la communauté internationale.
Sur le plan de la réforme politique et institutionnelle, nous avons dit que nos autorités embrassent plusieurs élections en même temps. Près de cinq élections pour une transition qui n'a pas les moyens, nous pensons que c'est très difficile. En ce qui concerne la rédaction de la nouvelle constitution, nous avons dit également qu’il faut l'abandonner, parce que cela divise les Maliens. Nous n'avons pas vu un seul communiqué qui salue cette réforme. Tous les partis politiques et les acteurs de la société civile disent ne pas se reconnaître dans cet avant-projet. En ce qui concerne le chronogramme, il y a presque trois mois de retard dans sa mise en œuvre. Pour éviter des difficultés, nous proposons d'abandonner plusieurs élections, de se focaliser sur deux élections : les élections présidentielles et les législatives. Abandonner la réorganisation territoriale.
Sur le plan social, nous avons dit aussi qu’il y a eu la conférence sociale, malheureusement que la montagne a accouchée d'une souris. Nous avons dit qu'il est important de revenir à la normalité ce qui fait qu'aujourd'hui les acteurs sociaux reprennent les grèves. C'est tout simplement qu’ils ont vu, dans la nouvelle loi de finances, que le budget de la présidence a été augmenté de près de 5 milliards de francs CFA, le budget du CNT est passé de 9 à 12 milliards dans un contexte où il y a des difficultés. Donc, les syndicats disent qu'il y a de l'argent. Nous proposons de réduire les montants de ces budgets. Au niveau du CNT, nous estimons qu'il faut réduire la taille des conseillers, c'est trop. En temps normal, ce sont 147 députés à l'Assemblée nationale. Nous avons constaté que ces conseillers, la cour constitutionnelle ne les reconnaît pas comme des députés. C'est pour cela qu’il faut réduire la taille et le montant alloué à cette institution. Souvenez-vous qu'en 1991, quand il y a eu le coup d’Etat, ceux qui étaient les membres du gouvernement ont fait aussi le CNTSP. Un Parlement transitoire composé de 27 membres. Ils avaient juste 75 000 FCFA d’indemnités.
Dans le cadre du gouvernement inclusif, nous demandons depuis le mois passé, la nomination d'un Premier ministre inclusif, un Premier ministre neutre et consensuel. Nous pensons que l'actuel Premier ministre, Choquel Kokalla Maïga, est président d'un parti politique, il est membre de M5-RFP, il était membre de FSD. Il n'est donc pas qualifié pour amener le consensus et la sérénité. Nous avons aussi demandé l'audit de la gestion de la transition. Voilà, entre autres, les éléments que nous avons apportés pour amener les Maliens à se parler. Ces derniers temps, nous essayons de rencontrer tous les acteurs socio-politiques du pays pour que les Maliens ne se regardent pas en chiens de faïence, mais pour qu'ils puissent être côte-à-côte, jusqu’à ce que ces propositions soient amendées, en faire un document final et le proposer au gouvernement.
La CODEM étant membre du Cadre, qui est considérée comme opposante au pouvoir, quel commentaire avez-vous à faire ?
Vous savez l'opposition, c'est dans un régime normal. En démocratie, s'il y a l'élection, au niveau de l'Assemblée nationale, ceux qui font partie de la majorité, c'est-à-dire les partis, et ceux qui n'ont pas été élus se mettent de côté, c'est ça l'opposition. Nous ne sommes pas dans cet état de faits. Nous sommes dans une transition et la transition n'a pas besoin de majorité ni d'opposition. Nous ne nous considérons pas dans une opposition. Nous ne nous considérons ni dans la majorité ni dans l'opposition. Nous sommes dans une transition. Nous travaillons pour que la transition prenne fin. Et pour qu'elle prenne fin, il faut faire des propositions. Maintenant, si proposer est considéré comme une opposition, oui, nous sommes opposés. Sinon nous estimons que l'opposition et la majorité, c'est dans un régime normal.
Les autorités maliennes ont interdit toutes les activités des ONG financées par la France opérant au Mali, quel est votre point de vue à propos ?
C'est tout simplement regrettable. Par ce que nous pensons que si les autorités françaises ont décidé de couper leur aide au développement, il était important pour la partie malienne de lire entre les lignes et de voir quelles sont des solutions palliatives. Vous savez le Fonds de Développement qui coiffe presque la plupart des ONG, qui est présente au Mali depuis 1959, il contribue beaucoup dans le programme de développement du Mali. Si les gens détournent cette aide, est-ce la faute des autres ? Ce sont les Maliens. On met à la disposition des ONG ou des associations, et les fondations sont frappées dans la même situation, que vont devenir ceux-ci ? Comme vous le savez, ces ONG ont passé des contrats avec des sociétés maliennes, ils ont des comptes dans les banques maliennes. Les Maliens y travaillent, ils ont souvent des engagements avec des banques qui leur font des prêts. Souvent ils ont des enfants qui sont dans les écoles privées où ils payent soit à l’extérieur ou au Mali. Si un matin on se lève et on ferme tout, qu’est-ce ses employés deviennent ? Parce qu’ils ne comptent que sur ces salaires pour prendre en charge ces différents fonctionnements. Est-ce que l’Etat a évalué l’impact économique et social de l’interdiction de ces ONG ? Parce que la France a tout simplement coupé l’aide au développement, elle n’a pas voulu
continuer à travers ces ONG. C’est le Mali qui a occupé de manière unilatérale, donc les conséquences, ils doivent les assumer. Nous savons que ça peut être des conséquences énormes.
Vous êtes de Dinangourou, une zone qui était sous blocus en 2021, parlez-nous de l'état actuel de la situation.
Je ne parlerai pas que de Dinangourou, je parlerai du pays en général. Effectivement, pour rappel, en 2021, notre village était sous blocus. Nous avons négocié avec les terroristes pour lever le blocus. Cela est également le cas dans beaucoup de localités du Mali, il y a eu Farabougou, l'État a envoyé le Haut Conseil Islamique pour négocier. La situation sécuritaire sur le plan national, est très tendue. Il y a un semblant d'accalmie qu'on dit, parce que tout simplement on ne voit pas des attaques kamikazes qui étaient souvent le cas. Mais cela ne veut pas dire la sécurité est au bon point, je dis non, loin de là. C'est simplement que la plupart des populations ont signé un pacte d’allégeance avec les terroristes qui occupent de territoire. Souvenez-vous, aujourd'hui, 80 % de notre territoire qui est occupé.
L'insécurité a grandi, elle est arrivée jusqu'à Kati. Souvenez-vous que le camp qui est la grande forteresse du Mali, a fait l'objet d’une attaque. Le terrorisme est partout, l'insécurité est partout. Souvent les gens pensent que l'insécurité est seulement physique, mais je parle de l'insécurité alimentaire. Aujourd'hui, dans la plupart de ces zones, les gens n'ont pas cultivé. Les récoltes ont été brûlées, dans la plupart du pays Dogon, tous les villages qui n'ont pas signé les accords, leurs récoltes ont été brûlées. Les animaux ont été emportés ou décimés. C'est aussi, une forme d'insécurité alimentaire sans compter l'insécurité physique. Quand vous quittez un village, on n'est pas arrivé à l'autre village.
Dans les zones où les pactes sont signés, il n'y a pas d'administration. Les écoles sont fermées. C'est le cas de Dinangourou. A part le village de Dinangourou, il n'y a pas de village où il y a des services sociaux de base. Il n'y a pas de centre de santé. Quand les gens sont malades, ils sont obligés de se déplacer jusqu’à Koro, cela fait 135 Km, même pour un simple paludisme. Le déplacement se fait par tricycle, parce que les véhicules y sont interdits. Ce qui est très grave monsieur le journaliste, depuis plusieurs années, il n'y a pas d'acte d'état-civil. Il n'y a pas de mairie. Qu'est-ce que ces enfants vont devenir ? Au pays Dogon auparavant, c'étaient 2 millions de touristes par an, qui faisait l'économie de toute la région. Vous partez à Mopti, tous les hôtels sont fermés. Il n'y a pas de restaurants. Tous les jeunes qui étaient des guides où sont-ils aujourd'hui ? Ils sont dans les mouvements armés. On ne peut pas amener la paix qu'avec le bout de fusil.
Dans ces situations, au moment où des ONG travaillaient avec toutes sortes de difficultés, on chasse la plupart de celles-ci. Les ONG les plus présentes au Mali ceux sont celles qui ont le financement français. À mon avis, la situation est préoccupante.
L'interview réalisée par Hamadoun Alphagalo (de notre correspondant permanent au Mali)
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