Mme Bernadette Owono Mba, Présidente de l’ANAREG : « Nous payons les effets collatéraux dévastateurs d’un pilotage à vue »

Par Nicolas NDONG ESSONO / 14 juin 2022 / 0 commentaire(s)

 

 

Tel est le diagnostic lucide de la présidente du bureau exécutif de l’Association nationale des retraités du Gabon (ANAREG). Depuis l’étranger, le Gabon refusant d’octroyer à ses habitants des plateaux techniques modernes, elle a bien voulu répondre à nos questions. Difficile d’éviter l’actualité brûlante des retraités qui, sevrés de leurs pensions, ont manifesté bruyamment à Libreville et à l’intérieur du pays la semaine dernière et ce lundi 13 juin 2022. Aussi, animée par l’instinct maternel, elle se dit inquiète pour les jeunes générations. Le timbre grave de sa voix trahit ses angoisses. En même temps, elle comprend difficilement l’obstination des décideurs à laisser les situations empirer avant de trouver une solution. Plus grave, Bernadette Owono Mba est dubitative par rapport à la nomination de Christophe Eyi, un quasi-surhomme qui occupe déjà les fonctions de PCA de la SNI et de Dga de la CDC. Comme si, dit-on ici et là, il n’existait pas d’autres Gabonais capables d’occuper de tels postes. Ali Bongo aurait-il perdu le contrôle et la maîtrise de ses troupes où désormais la pagaille règne de partout ? On serait tenté de dire oui. Mais bon, que pense cette ancienne cadre de la CNSS ? Lecture !

Gabonclic.info : Madame la présidente, bonjour ! Nous vous savons actuellement hors du territoire national, la technologie et la bonne volonté de votre Bureau ont rendu possible cette interview. Comment allez-vous ?

Bernadette Owono Mba : Bonjour et merci de nous ouvrir vos colonnes. Je me trouve effectivement hors du Gabon pour raisons personnelles, ce qui ne m’éloigne pas de notre association, l’Association Nationale des Retraités du Gabon, en abrégé ANAREG, qui m’a fait l’honneur de me confier les responsabilités de Présidente du Bureau Exécutif. Ce séjour à l’étranger m’offre également l’opportunité de rencontrer les institutions en charge des retraités ainsi que les compatriotes concernés par les questions de pension de retraite.

Pour ce qui est de ma personne, je me porte comme tous les retraités gabonais, c’est-à-dire soucieuse, avec de nombreuses préoccupations, donc pas bien du tout.

Vous êtes actuellement hors du Gabon alors que l’actualité se fait autour des retraités et de leurs difficultés. Quelle explication ?

Comme je l’ai dit, la retraitée que je suis a aussi les mêmes préoccupations que tout autre retraité, avec des besoins fondamentaux et des charges incompressibles. L’une des raisons de ma présence à l’étranger est d’ordre médical, ce qui ne m’empêche pas de garder le contact avec notre pays et suivre avec désolation ce qu’il s’y passe.

Généralement, les retraités du secteur privé reçoivent leurs pensions vieillesse à partir ou au plus tard le 5 du mois. Plusieurs jours après, ces pensions ne sont pas toujours payées. Quels sont vos commentaires ?

 

Nous sommes préoccupés par cette situation d’autant plus que la direction de la CNSS avait elle-même transmis un message aux retraités fixant au vendredi 10 juin, la date de début de paiement des pensions. Les retraités qui se sont rendus à la CNSS et aux banques ce jour-là ont malheureusement attendu des heures pour constater, par eux-mêmes, que le paiement de leur pension vieillesse ne se faisait pas.

Nous estimons que dans ce genre de cas, le minimum de courtoisie à l’endroit des aînés, aurait été que l’un des responsables de l’institution, accompagné de quelques autres agents de la maison, vienne rencontrer les retraités pour s’excuser du désagrément causé et expliquer les raisons du retard. Vous me direz qu’il y aurait eu sur-le-champ, à n’en point douter, des réactions hostiles à cette information, mais je suis persuadée qu’elles n’auraient pas débouché sur ce que l’on a vu par la suite, c’est-à-dire des jets de gaz lacrymogène sur nos aînés, dont certains avaient à la main leurs ordonnances médicales, espérant qu’après avoir touché leur pension ils iraient naturellement acheter leurs médicaments. Dans quel état physique et mental sont-ils actuellement et quelle autorité s’en soucie ? De quel droit se permet-on de traiter ainsi nos compatriotes de cette manière ?

J’estime que le rôle d’un dirigeant n’est pas seulement de se satisfaire de la situation de confort que lui confère son poste. Il doit aussi pouvoir faire face, avec tact, aux situations de crise, surtout lorsqu’elles concernent des personnes fragiles par leur âge et par leur état de santé. Mais, hélas, nous l’avons déjà dit, l’appel aux forces de l’ordre devient le mode de gestion idoine pour régler par la menace, la matraque ou les gaz lacrymogènes toute situation de tension, même lorsqu’il suffit de prendre le temps de s’écouter, même au milieu d’un brouhaha, pour arriver à une solution. C’est d’ailleurs la preuve que, comme le dit l’adage, il faut mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut ! Cela aurait évité beaucoup de choses comme la situation actuelle de cette institution.

À ce propos, j’ai le souvenir d’un de nos formateurs qui nous demandait souvent de lui citer un seul cas où un conflit ne s’est pas achevé sur une table de négociations après la fin des hostilités. Sur ce, il concluait souvent en nous disant, je le cite, « plutôt que de recourir à la force au premier chef, n’est-il pas préférable de discuter jusqu’à épuisement de toutes les divergences afin de trouver une solution convenable pour tous ? »

Devant le spectacle triste et affligeant des personnes âgées et sans défense, gazées par les forces de l’ordre parce que mécontentes d’avoir été trompées par la direction de la CNSS, l’on est enclin à se demander où sont passées nos valeurs africaines de respect et déférence envers les personnes du troisième âge. Comment peut-on en toute sérénité et conscience donner l’ordre de gazer des personnes fragiles qui, à tout moment peuvent décéder du fait de cette agression physique ou de la tension provoquée par celle-ci ?

En tant qu’ancienne cadre de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), j’ai le souvenir qu’il y a plus de 30 ans au moment de mon embauche, on parlait déjà de cessation de paiements. Avec ce qui se passe aujourd’hui, doit-on penser que c’était prémédité ? Et à quelle fin ? Je ne peux hélas pas répondre à cette question. Mais en nous référant à la situation actuelle, les Gabonais de tous âges, peuvent comprendre et voir comment ils seront traités par nos gouvernants après plusieurs années de dur labeur, si rien ne change pour le meilleur.

Aviez-vous alerté à l’époque les autorités par rapport à la situation de la CNSS ?

En créant l’ANAREG il y a un peu plus de 2 ans, nous avons comme il se doit, avec des personnes bien informées, réalisé une évaluation de la CNSS. Nous avons identifié plusieurs points de dysfonctionnement et l’avons signalé aux autorités qui n’ont pas réagi. Nous n’avons pas pour autant baissé les bras, nous avons continué d’alerter les parties prenantes et nous entendons poursuivre cette démarche, dans un climat apaisé.

Pour être complète sur cette question, je dois ajouter que la situation de souffrance des retraités n’est pas propre aux retraités des secteurs privé et parapublic. Au niveau du secteur public, les retraités vivent les mêmes difficultés, à savoir le non-paiement des rappels de solde, des dommages et intérêts, des indemnités des services rendus et le refus d’arrimer les pensions à la nouvelle grille de rémunération depuis plusieurs années. Comment est-ce possible pour un pays au potentiel inestimable ? La principale raison de ce traitement est la mal gouvernance, associée à la mauvaise volonté des décideurs et l’impunité dont bénéficient ces dirigeants.

Le Conseil d’Administration, ainsi que le Comité de direction de la CNSS, viennent d’être supprimés par décret. À quoi peut-on s’attendre ?

Selon le communiqué y relatif, le gouvernement a pris des décrets portant dissolution du Conseil d’Administration, cessation des fonctions des membres de la direction générale de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale et mis en place une administration provisoire de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale chargée d’assurer l’administration, la gestion et la réforme de la CNSS sur une période de douze (12) mois, avec un comité de surveillance et de contrôle des organismes de protection sociale en tant qu’organe d’appui à l’exercice du pouvoir de contrôle de l’État sur les actes de gestion des organismes de protection sociale.

Cette décision ne nous surprend pas, nous l’attendions depuis longtemps déjà, et plus récemment encore, après des semaines de discussions et de tensions entre les différentes parties prenantes de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, du fait de la situation quasi chaotique de l’institution.

Si cette décision semble à court terme mettre un bémol aux tensions existantes, elle pose néanmoins de nombreuses questions eu égard aux précédentes expériences d’administration provisoire débouchant sur des liquidations. Nous avons vu ce qui a été fait de la CNGS, de la BHG, de GABON POSTE, de la BGD pour ne citer que ces exemples, où les administrations provisoires ont été transformées en liquidation au bout d'un an, parce que mal organisées. Peut-on nous dire ce que sont devenus les mères et pères de famille déflatés de ces sociétés étatiques ? Donc vigilance !

De ce fait doit-on s’attendre à une liquidation de ce patrimoine national commun qu’est la CNSS, après 12 mois ?

La Protection Sociale étant un métier à part entière, nous notons que l’administrateur nommé est déjà président du Conseil d’administration (PCA) de la SNI, directeur général Adjoint (DGA) de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) et maintenant à la tête de la CNSS en tant qu’Administrateur Provisoire. N’est-ce pas un peu trop pour une seule personne ?

L’administrateur désigné maîtrise-t-il réellement tous les arcanes de ce métier ? Qu’en sera-t-il de ses charges actuelles sachant que la Société Nationale Immobilière (SNI) dont il préside le Conseil d’Administration est elle aussi redevable à la CNSS, autant que la Caisse des Dépôts et Consignations pour laquelle il exerce la qualité de Dga. Nonobstant ses capacités intellectuelles, ce sont-là des questions sans réponse pour l’ANAREG à l’issue des décisions émanant de ce Conseil des ministres.

Nous ne doutons pas des capacités de l’Administrateur désigné. Mais la CNSS est un malade en salle de réanimation, dont le pronostic vital est engagé. Le « médecin traitant » désigné pour le soigner est fortement impliqué dans d’autres cas. Il y aura sans nul doute des conflits de priorité qui, à ce stade ne semblent augurer rien de bon sur l’issue finale de cet état de choses.

Il n’empêche qu’en sa qualité de partenaire social, l’ANAREG sera toujours disponible pour accompagner cette nouvelle donne dans l’intérêt de ses membres et conformément aux procédures en vigueur.

Avez-vous confiance au devenir de la CNSS avec ce qui s’y passe actuellement ?

Nous allons essayer d’en savoir davantage parce que nous estimons qu’à ce stade, il y a de nombreuses zones d’ombre y compris dans les communications, qui créent la confusion et l’inquiétude au sein de la population. 

Les dysfonctionnements de la CNSS sont liés à sa mauvaise gouvernance et c’est cela la principale cause de la situation actuelle. Nous convenons tous que le processus de gestion et de restructuration de cette institution de prestation sociale nécessite une approche circonstanciée.

Nous pensons que la Caisse Nationale de Sécurité Sociale est redressable avec une volonté affirmée, un bon audit et un plan d'actions spécifiques, pour peu qu'on laisse la structure proposer et travailler comme il se doit et avec des hommes qualifiés. Il y a eu, dans la sous-région, des cas similaires voire plus préoccupants. Ils ont été redressés avec succès, sans d’ailleurs avoir à passer par une administration provisoire.

L’ANAREG va suivre avec une attention soutenue l’évolution de cette situation. Il n’est pas acceptable que des chefs de famille se retrouvent à nouveau sans leur pension et leur salaire, dans l’angoisse ou au chômage, sachant qu’un Gabonais qui travaille a en charge au moins dix personnes.

De notre point de vue, il eut été préférable avant d’en arriver à ces décisions, de bien évaluer la situation actuelle de la CNSS plutôt que d’agir en prenant des décisions peu rassurantes et qui interpellent les Gabonais avertis.

Mais qu’à cela ne tienne, notre Association se tient disponible comme toujours, pour proposer des axes de réflexion aux décideurs s’ils le veulent, car aujourd’hui nous subissons les effets collatéraux dévastateurs d’un pilotage à vue alors que d’autres profitent dans l’impunité de leur gestion calamiteuse.

Que dites-vous et que faites-vous pour rassurer vos membres, voire les retraités des secteurs privé et parapublic ?

 

Il n’y a pas que les retraités à rassurer. Tous les Gabonais, quel que soit leur âge, sont concernés, surtout les jeunes générations pour lesquelles nous avons de réelles préoccupations. Ce que je peux leur dire, c’est de rester confiants. La CNSS est un patrimoine commun pour lequel nous nous sommes investis. C’est pour cette raison que nous avons, depuis le mois de janvier, trainé la CNSS en justice car le Gabon est un État de droit si je m’en tiens à notre Constitution. Nous devons nous impliquer tous, pour le devenir de la CNSS qui nous appartient à tous.

Nous allons continuer d’analyser tous les effets pervers de cette situation chaotique et proposer des approches de résolution. Nous avons mené un certain nombre de démarches auprès des décideurs pour faire entendre nos propositions et nous continuerons de le faire. Pour avoir travaillé de nombreuses années durant et aujourd’hui à la retraite, nous pouvons sans aucune prétention penser que nous avons notre mot à dire.

Avez-vous d’autres points que vous souhaitez évoquer au cours de cette interview ?

Tout à fait, à nos âges, nous réalisations avec une certaine gêne que nous avons, nous aussi une part de responsabilité pour avoir laissé faire, par ignorance ou par indolence. C’est pour cette raison que nous nous sommes organisés en Association pour laisser un héritage durable à nos enfants. Dans cet effort de prise de conscience et de responsabilité partagée, la presse a un rôle fondamental à jouer pour faire écho à notre message et nous vous en remercions.

Il est triste de constater que dans notre pays, nous ayons pris l’habitude d’attendre la détérioration totale d’une situation avant d’y apporter des solutions. Pourtant nous entendons souvent les décideurs insister qu’il faille prendre le taureau par les cornes face aux situations auxquelles notre pays est confronté. Nous espérons que les décideurs ne s’inscrivent pas dans les pas du mythe de Sisyphe, celui de l’éternel recommencement.  

Notre entretien tire à sa fin…

Encore merci pour votre temps et pour nous avoir offert cette tribune.

 

Article du 14 juin 2022 - 1:47pm
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