« Moi, Jean Ping, je ne souscrirai à une transition que si celle-ci a pour objectif central de refaire le Gabon, réconcilier les Gabonais et jeter les bases d’une Nouvelle République assise sur des valeurs universellement partagées.. »

Par Elzo MVOULA / 16 sep 2024 / 0 commentaire(s)

 

C’est par ce serment que l’homme d’Omboué marque son retour sur la scène publique. Hier jeudi (06 juillet 2023), il est un peu plus de 10h30 lorsque nous arrivons au lieu du rendez-vous, avec le maître des lieux, non loin des Champs Elysées à Paris. Le temps est doux en cette période du début de l’été. Pour nous accueillir, son directeur de cabinet, le Pr John Nambo, l’ex-collaborateur et fidèle d’André Mba Obame. Alors que nous sommes dans la salle aménagée pour la réalisation de l’interview, deux informations importantes tombent, coup sur coup. Jean Boniface Asselé, l’oncle d’Ali Bongo Ondimba, se déclare candidat à la présidentielle d’août 2023. Et concomitamment, l’UDIS, le parti d’Hervé Patrick Opiangah, autrefois proche parmi les proches du président sortant, demande le report des élections générales. Il n’en fallait pas plus pour que tout aille dans tous les sens. Pour plusieurs observateurs, ces postures ne dénotent-elles pas finalement que « Ali Bongo ne peut plus rien » ? S’achemine-t-on vers la mise en place d’une transition ? Mais bon, passons ! Et revenons à Jean Ping, qui apparaît au bout de quelques minutes. Impeccablement habillé. Visiblement, « les 5 ans d’emprisonnement » au bord de la piscine aux Charbonnages n’ont pas impacté le physique de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine. « Personne n’aura ma haine », lance-t-il, très détendu, prodiguant le pardon à ses bourreaux. Tout à sa modestie, il se refuse à jouer l’homme providentiel. « Je le répète, je ne suis qu’un passeur entre deux mondes : le monde d’hier que nous souhaitons tous dépasser, et le monde de demain que nous souhaitons construire ensemble », a-t-il martelé tout au long de nos échanges 

. Voilà ce que nous écrivions dans La Loupe HS N°30 de ce mois de juillet 2023. A l’époque, il fallait être « téméraire » pour « oser » donner la parole et surtout dénoncer les travers du système d’Ali Bongo. Mais nous l’avons fait par amour pour le Gabon que nous aimons de manière désintéressée. Au moment où beaucoup croient que les militaires ont été les seuls « à risquer » leur vie, certains l’ont fait avant eux. Aussi, dans une actualité quelque peu en tourbillon, il est de bon ton de rappeler ce « jour » où Jean Ping a accordé « une dernière » interview à un journal Gabonais avant les évènements du 30 août 2023. Lecture ! 

La Loupe. Dans votre récente déclaration devant les membres de la diaspora à Paris, vous avez rappelé ce que vous aviez déjà dit : il ne sert à rien de participer à des élections que le régime refuse de perdre. Condamnez-vous donc la démarche des acteurs de l’opposition qui entendent y participer ? 

Jean Ping : dans mon adresse à la diaspora samedi dernier, je suis parti d’une question préjudicielle simple : dans le contexte socio-politique qui est celui du Gabon d’aujourd’hui, des élections pour quoi faire ? Des élections pour qu’on enregistre encore des tueries, pour paralyser davantage le pays ? Pour combien de morts encore ? 

Cette question préjudicielle, je la pose à la communauté nationale, mais aussi à la communauté internationale qui n’ignore rien de ce qui se prépare en ce moment au Gabon.  

Il n’est peut-être pas inutile de vous rappeler ce qui suit : depuis les années 90, les élections au Gabon se sont toujours soldées par des contestations violentes qui ont entraîné des morts. Le vainqueur était déclaré vaincu, le vaincu déclaré vainqueur. Après quoi, des concertations étaient organisées en vue de se partager le pouvoir. Une certaine opposition était, pendant ce temps, recyclée pour devenir les faire valoir de la prochaine élection qui connaîtra le même sort ; on reprend les mêmes et on recommence, sans cesse. C’est ce que d’aucuns ont appelé le cercle vicieux. 

À côté de cette triste réalité, la communauté internationale faisait le reproche à l’opposition d’aller toujours en rangs dispersés, une configuration qui ne lui donnait aucune chance de remporter la présidentielle. 

En 2016 déjà, beaucoup ne voulaient plus participer à une présidentielle dont les résultats étaient connus d’avance. C’est en tenant compte de ces recommandations de bon sens, que l’opposition avait décidé de tenter l’expérience inédite d’une candidature unique de l’opposition. C’est le lieu ici de rendre un hommage mérité au président Zacharie Myboto, qui avait été le principal maître d’œuvre de cette expérience qui, pour la première fois de l’histoire politique du Gabon, allait voir compétir du côté de l’opposition radicale, un candidat unique. Voilà comment j’avais été désigné par le panel de cette assemblée d’hommes et de femmes de l’opposition et de la société civile, candidat unique. Vous connaissez les résultats, le monde entier connaît le résultat. L’opposition avait remporté haut la main cette élection historique. Même au sein du PDG, parti au pouvoir, toute peur mise à part, la majorité des PDGistes savent que c’est moi, Jean Ping, le candidat de l’opposition, qui avais remporté cette élection. 

À mes yeux, cette victoire avait du sens. Il s’agissait, pour la première fois, de tourner la page de plusieurs décennies de cercle vicieux, qu’il fallait absolument rendre vertueux. C’est-à-dire que celui qui remporte l’élection présidentielle préside aux destinées du pays pendant le temps constitutionnel consacré. Il fallait coûte que coûte que cette exigence entre désormais dans les mœurs politiques du Gabon. Voilà pourquoi j’avais initié la CNR, le Conseil National de la Résistance. Il fallait résister au hold-up électoral, résister à l’imposture, résister à la barbarie instaurée en système par les imposteurs, pris en flagrant délit, de cette victoire populaire. 

Et je dois à la vérité de constater que cette résistance a marché, puisque depuis 2016, en dépit de la cécité politique de certains thuriféraires du régime, le pays est bloqué, l’ingouvernabilité est manifeste. 

Mais je reconnais que les tenants de l’ordre ancien, du cercle vicieux sont encore debout ; ils sont tapis dans l’ombre, aussi bien de la majorité que de l’opposition, hélas ! Ils s’organisent en permanence, avec en résonance les réseaux sociaux qui les soutiennent moyennant de fortes sommes d’argent distribuées à ceux qui sont à leur service. Avec pour armes l’insulte et le mensonge. 

Comme je l’ai dit récemment à la diaspora à Paris, la Résistance n’a jamais été une balade de santé, la Résistance n’a jamais été une affaire facile, la preuve, certains y ont laissé leur vie.  

Je sais aussi que les adversaires de cette Résistance sont nombreux, de l’intérieur comme de l’extérieur. L’Histoire nous a enseigné qu’il en a toujours été ainsi, hélas ! Mais il faut faire avec. Voilà pourquoi il faut toujours se focaliser sur l’essentiel, c’est-à-dire la Libération de notre cher pays, le Gabon. 

La question des élections programmées divise en ce moment les Gabonais, y compris au sein de notre diaspora. Et beaucoup s’attendent à ce que je donne une consigne pour aller ou non à cette énième forfaiture prévisible. 

Je ne donnerai aucune consigne tant qu’on ne répondra pas à cette question essentielle évoquée plus haut. Vous connaissez la nature de ce pouvoir, vous connaissez ses intentions et ses méthodes. 2016 avait pourtant rempli les conditions d’une élection à peu près normale. Les résultats, nous les connaissons tous. 

Pourquoi voulez-vous que je condamne la démarche de ceux qui, dans l’opposition, après que nous avons tout essayé, estiment qu’ils doivent malgré tout y participer. Libre à eux d’honorer leur choix ! 

En prenant part à la présidentielle de 2016, étiez-vous convaincu d’être le seul capable de faire tomber ce régime ? 

L’élection présidentielle de 2016 était un tournant historique pour notre pays. Eu égard à la gestion catastrophique du pays par Ali Bongo et ses thuriféraires, il fallait absolument sauver ce pays qui avait perdu toute crédibilité, aussi bien au plan national qu'international. 

Je n'étais pas le seul capable de faire tomber ce régime. Des candidats politiquement expérimentés étaient dans la course, notamment Casimir Oyé Mba et Guy Nzouba Ndama. J'étais convaincu que unis, nous étions en capacité de remporter aisément cette élection. 

Grâce à la sagesse et l'autorité morale de notre aîné Zacharie Myboto, des négociations ont eu lieu trois jours, sans relâche, à son domicile. 

Plaçant les intérêts supérieurs du Gabon au-dessus des nôtres, nous sommes parvenus à un compromis historique. La fumée blanche est sortie : j'ai été désigné candidat unique de l'opposition au pouvoir. L'implication active et le soutien sans faille de Casimir Oyé Mba et de Guy Nzouba Ndama ont été très déterminants pour cette victoire. Une victoire collective dont je n'étais que le porte-étendard. 

Ensemble nous avons gagné et c'est le peuple gabonais, très mobilisé, dans son ensemble qui avait gagné. 

Je ne cesserai de remercier ce vaillant peuple gabonais qui lutte pour le changement et la libération du pays. 

Je voudrais ajouter que ma candidature, portée par cet élan de regroupement des forces de l’opposition, était une candidature de rupture. Il nous fallait rompre avec l’ordre ancien pour construire ensemble un ordre nouveau, une nouvelle république fondée sur des valeurs universellement partagées. 

Il fallait tenir, résister, aller jusqu’au bout, comme je l’ai toujours dit et je vous le redis aujourd’hui, j’irai jusqu’au bout. Je ne capitulerai pas. 

Il ne s’agit pas du caprice d’un homme qui veut assouvir je ne sais quel fantasme. Il s’agit de l’avenir de ce pays qui nous a tout donné et à qui nous devons tout. 

En 2018, d’aucuns m’ont accusé d’être à l’origine de la déroute de l’opposition aux législatives et aux locales. Vous savez, avec les SI, on reconstruirait le monde. 

Je m’en remets à l’histoire qui jugera bientôt… 

Dans l’optique d’une opposition mieux structurée avançant en rangs serrés, ne seriez-vous pas plutôt tenté aujourd’hui par un rôle de rassembleur ? 

Il y a un peu plus d’un an, j’avais appelé au Rassemblement de toutes les forces de toutes celles et de tous ceux qui souhaitent l’avènement d’un autre Gabon. Comment voulez-vous que je ne crois pas au Rassemblement dès lors que notre victoire en 2016 était le fruit d’un Rassemblement ? J’ai toujours appelé au rassemblement de toutes les bonnes volontés, d’où qu’elles viennent. L’œuvre de reconstruction de notre pays abîmé ne sera jamais celle d’un solitaire. C’est ensemble que nous referons le Gabon. C’est donc le lieu ici d’en appeler au rassemblement de tout ce qui est épars. 

Je l’ai encore rappelé à la diaspora : je ne suis qu’un passeur entre deux mondes et mon rôle, là où je suis, est de faire en sorte que les Gabonais se rassemblent pour faire l’essentiel, c’est-à-dire le Gabon, la République, notre bien commun. 

Que vous inspirent la candidature probable d’Alexandre Barro Chambrier et celle de Paulette Missambo, qui vous ont soutenu en 2016 ? 

Les deux personnalités que vous citez sont des adultes responsables qui savent ce qu’elles veulent et où elles veulent aller. 

Je vous ai longuement expliqué le contexte de ma candidature en 2016, je n’y reviendrai pas. Nous sommes en 2023 et nous avons à nous préparer aux dangers d’élections périlleuses. Si certains estiment, en leur âme et conscience, qu’il faut y aller, je ne peux que prendre acte. 

Vous avez perdu nombre de vos soutiens en cours de route. Comment avez-vous vécu la défection inattendue de Jean Eyeghe Ndong, un des plus fidèles ? 

La politique se fonde sur la conviction, la détermination et la cohérence. Le peuple est le juge, par excellence, de tous les acteurs politiques. À un moment donné, il arrive à distinguer le bon grain de l’ivraie. 

Personnellement, j’avais très mal apprécié le départ de M. Jean Eyeghe Ndong en qui j’avais accordé ma confiance. 

Mais le temps constitue une grande thérapie. L’histoire jugera. 

La Transition. Qu’est-ce que ce mot évoque pour vous ? 

Je me contenterai de la définition première de ce mot, qui est le passage d’un état à un autre, en l’envisageant précisément comme le changement systémique qui entraîne de profondes recompositions. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, la transition connote l’idée de progressivité, de changement graduel, mais comporte aussi des ruptures. 

Appliquée au sujet qui nous préoccupe ici, je dirai que la transition est le passage de l’ordre politique ancien, qui a prévalu jusqu’à ce jour, à un ordre politique nouveau. Je l’envisagerai, en d’autres termes, comme un changement profond de système de gouvernance, le passage d’une gouvernance solitaire à une gouvernance partagée, dont la vertu serait de conduire à de profondes recompositions dans le paysage politique de notre pays. Et cette transition se ferait progressivement, graduellement et avec des ruptures dans la manière de concevoir la gouvernance et de gérer la chose publique. 

Et, justement, si des Gabonais appellent, à juste titre, à une transition, c’est pour éviter que le pays ne s’embrase. Personne ne me fera le reproche d’avoir tout entrepris pour éviter un bain de sang. Mêmes ceux qui me détestent le reconnaîtront, je ne suis pas un va-t’en guerre, ce n’est pas dans ma culture. Si je l’avais été, je crois que depuis 2016, on parlerait d’autre chose aujourd’hui. 

Je voudrais ici répéter ce que j’ai dit à propos de cette idée de transition. Si la Transition a pour objectif de refaire le Gabon si profondément abîmé, de réconcilier les Gabonais et de pacifier le pays, je dirai : OUI, je suis prêt ! Allons-y, avec tous les Gabonais de bonne volonté, les PDGistes patriotes y compris. Et je leur lance un appel solennel ici et maintenant. Vous n’imaginez pas le nombre de Gabonais militants du PDG qui ne demandent qu’à réparer notre beau pays. 

Mais si la Transition a pour but de consolider ou de recycler du cercle vicieux (élections truquées avec des faux résultats à la clef, concertations politiques en vue de se partager le pouvoir et l’argent avec le vaincu déclaré vainqueur, on reprend les mêmes et on recommence), je dis non, non et non. Je voudrais vraiment que ce soit clair une fois pour toutes. 

Moi, Jean Ping, je ne souscrirai à une transition que si celle-ci a pour objectif central de refaire le Gabon, réconcilier les Gabonais et jeter les bases d’une Nouvelle République assise sur des valeurs universellement partagées, et donc acceptables par les Gabonais. Voilà ma position. 

Je veux profiter de cette tribune pour saluer la position lucide et patriotique de Privat Ngomo qui, dans une récente déclaration, a décidé de militer pour cette transition. 

Tout ce que je souhaite, c’est de voir ce pays qui nous a tout donnés, et auquel nous devons tant, se reconstruire et redevenir un Gabon digne d’envie. 

Je ne suis pas un homme providentiel, en tout cas, ce n’est pas comme cela que je souhaite être perçu, je le répète, je ne suis qu’un passeur entre deux mondes : le monde d’hier que nous souhaitons tous dépasser, et le monde de demain que nous souhaitons construire ensemble. 

Je voudrais qu’au soir de ma vie, je puisse me regarder dans un miroir et dire à mon initiation suprême face au Très Haut, s’il daigne m’accueillir : « Mission accomplie ! » 

Sept années ont passé sans que vous n’ayez de discussions avec Ali Bongo Ondimba. Les conditions d’une transition vous semblent-elles réalistes ? D’autant plus que, de plus en plus de Gabonais appellent à une transition pacifique pour éviter un bain de sang. 

Ali Bongo et moi ne partageons certainement pas les mêmes valeurs. En tout cas, lui reste encore englué dans la logique du cercle vicieux, alors que moi j’aspire, depuis que j’avais décidé de quitter le PDG, à une autre logique qui est celle du cercle vertueux. Pour moi, celui qui a gagné l’élection présidentielle doit présider aux destinées du pays, sans négociation aucune, cela obéit simplement à l’expression du suffrage universel. De son côté, il se complaît dans la logique d’un prince héritier à qui l’on devrait tout, y compris la vie ; c’est comme cela qu’il fonctionne dans sa tête. Vous avez lu tout ce qui avait été écrit sur moi avant la présidentielle de 2016. Je lui serai redevable de presque tout, en tout cas Omar Bongo Ondimba, son père aurait été l’artisan de mon ascension sociale. C’est à peine si ses sbires n’avaient pas écrit que c’est grâce à lui que je suis né Ping. 

Alors, dans ces conditions-là, comment voulez-vous que je discute avec quelqu’un qui se croit, en tout point de vue, supérieur à vous, et vous son subordonné ? 

Si ce monsieur avait été, un tant soit peu plus humain, avec tout ce qui lui est arrivé, il aurait tourné la page en permettant à ce pays qui lui a tout donné de passer à autre chose. Il a fini par devenir l’obstacle qui bouche l’horizon de ce beau pays, et aujourd’hui, tous ceux qui espèrent en tirer quelque chose, profitent de son état mental et physique pour l’utiliser et l’user davantage, jusqu’à la satisfaction de leurs propres intérêts. 

Sans oublier que vous l’accusez d’avoir réclamé votre tête sur un plateau, comme Salomé exigeant qu’on vous tranche le cou à la Jean-Baptiste ! 

Il m’arrive souvent d’utiliser des symboles, des images, quand je m’exprime, pour illustrer la gravité et parfois la cruauté des faits. 

Franchement qui, au Gabon, ignore que ce garçon est d’une méchanceté sans bornes ? Lorsque l’histoire s’écrira le moment venu, les Gabonais et peut-être le monde entier comprendront à quel individu les Gabonais ont eu affaire, quatorze ans durant, à la tête de leur pays. 

Vous croyez qu’en 2016, l’hélicoptère de la Garde Républicaine dans lequel se trouvaient les mercenaires qui ont bombardé mon QG a décollé par la volonté du Saint-Esprit ? Vous imaginez au Gabon, un hélicoptère de la Garde Républicaine décoller de la base de l’aéroport Léon Mba et aller à l’assaut d’un immeuble où se trouvent regroupés des hommes et des femmes, sans que le chef suprême des armées ne leur ait donné l’ordre d’aller tuer ? Permettez que je ne puisse l’imaginer un seul instant. Même en raisonnant par l’absurde. 

Comme je ne puis imaginer que cette opération macabre et criminelle ait pu se dérouler sans aucun compte rendu minute par minute au donneur d’ordre. Permettez que je ne puisse l’imaginer un seul instant. 

Ce sont toutes ces considérations de bon sens qui m’amènent à dire par l’image et le symbole ce que vous appelez des accusations, et qui sont pour moi des faits. 

Vous est-il arrivé, pendant ces années, de désespérer de l’histoire, par exemple quand vous avez brandi le coup de poing en disant aux Gabonais que vous ne les reteniez plus ? 

En disant cela aux Gabonais, je n’étais pas désespéré de l’histoire comme vous le dites. Il arrive des moments, dans le processus de lutte, où il faut mettre chacun devant ses responsabilités.  

Les Gabonais peuvent au moins reconnaître que j’ai tout fait pour éviter une situation catastrophique. Et je continuerai d’œuvrer, autant que faire se peut, pour que ce pays ne bascule pas dans un désordre aux conséquences incalculables. 

Durant ma vie professionnelle et politique, je n’ai fait que cela, contribuer à entretenir la paix. J’ai une pensée pour Omar Bongo Ondimba qui m’avait permis, des années durant, de mettre mes modestes compétences au service de la paix sur le continent africain. C’est pourquoi aussi longtemps que je vivrais, je me demanderais toujours comment des êtres humains qui ont des enfants, qui ont des femmes, qui ont des frères et sœurs se sont donné le plaisir macabre de tuer leurs compatriotes à mon QG et ailleurs, au nom de la conservation du pouvoir. 

Au cours des sept années écoulées, quelle(s) cause(s) avez-vous fait avancer : la condition des prisonniers politiques, l’accès de l’opposition aux médias, le retour des exilés politiques, le raffermissement de la démocratie ? 

Votre question serait recevable si on était dans un pays normal, avec des gouvernants normaux. Or, vous savez très bien que dans une dictature comme celle du Gabon d’aujourd’hui, toutes ces causes ne pourraient jamais être améliorées, quelles que soient vos interpellations et mises en garde. Vous avez affaire à des gouvernants qui savent tout et qui n’ont rien à faire de ce que vous pouvez leur dire. Avec eux, c’est : « Ne nous prodiguez pas de conseils, nous savons nous tromper tout seuls ». Seul Dieu leur fera entendre raison un jour, mais ce jour-là, il sera forcément trop tard. 

Sans transition ni participation aux élections, comment envisagez-vous l’avenir du Gabon ? 

Je ne suis ni prophète ni devin. Toutefois, ma longue expérience de la vie politique m’autorise à dire, sans risque de me tromper, que si nous ne réparons pas ce pays pendant qu’il est encore temps, nous risquons de le regretter pendant longtemps. Les plaies sont trop profondes et les frustrations énormes. Ce pays a plus que besoin d’être refait de fond en comble si nous voulons laisser à nos enfants et petits-enfants un pays normal. Nous avons atteint le fond, nous n’avons pas d’autre choix que de remonter à la surface, et pour le faire, les Gabonais ont le devoir de se retrouver et reconstruire ensemble leur pays. Je vous le répète, ce n’est pas une affaire de Jean Ping. Je lis et entends ce qui se dit sur moi, parfois même à la limite de l’insulte et de la haine. Je sais que je suis un empêcheur de tourner en rond au sens propre du terme. Pour les adeptes du cercle vicieux, je suis un homme à abattre, mais croyez-moi, je ne me laisserai pas abattre. Mes adversaires ne mesurent certainement pas les ressorts qui sont les miens, ma détermination et mon obstination à faire ce que je crois nécessaire pour mon pays. Je suis un homme de conviction et je suis déterminé, toujours déterminé à aller jusqu’au bout. 

Il m’a été rapporté que je serai venu en France pour faire mes adieux à la diaspora, quelle ignominie ! C’est vraiment mal me connaître. 

Les relations avec la France 

En 2017, l’Union européenne a adopté des résolutions visant le régime gabonais. Elles n’ont produit aucun effet parce que la France aurait usé de sa position historique pour les neutraliser. Quel commentaire en faites-vous ? 

Vous ne pouvez pas affirmer que ces résolutions n’ont produit aucun effet parce que la France a usé de sa position historique pour les neutraliser. Les choses sont beaucoup plus complexes qu’on ne le croit. La diplomatie n’est pas toujours visible et rapide ; il ne s’agit pas toujours d’une ligne droite. Je préfère donc ne pas m’étendre sur cette question. 

Vous avez récemment déclaré, en employant une image, que Jean-Yves Le Drian, alors ministre des Affaires étrangères, se trouvait avec Ali Bongo Ondimba dans un hélicoptère le soir du bombardement de votre QG. L’accusation est grave ! 

Je voudrais d’abord rectifier, Monsieur Jean-Yves Le Drian n’était pas encore ministre des Affaires étrangères, mais plutôt ministre des Armées. C’est la première remarque. 

La deuxième remarque relève de l’expression utilisée dans votre question. 

Effectivement, il s’agit d’une image. Ce langage imagé que j’ai employé ne signifie en aucun cas que Monsieur Jean-Yves Le Drian, ministre des Armées, personnalité importante, respectée et jouissant d’une crédibilité incontestable se trouvait personnellement et physiquement dans l’hélicoptère. 

Mon Quartier Général étant à proximité du camp De Gaulle où est positionné le 6e BIMA, les militaires français, placés sous la responsabilité du ministre Jean-Yves Le Drian, ne pouvaient-ils pas s’interposer pour éviter ce drame ? 

Il ne s’agit nullement d’une incrimination du ministre Jean-Yves Le Drian qui défend légitimement les intérêts de son pays. 

L’exploitation honteuse de cette image prouve, une fois de plus, les carences et l’incapacité de ceux qui ont plongé le Gabon dans un chaos abyssal. 

Si on peut regretter la formule, il convient toutefois de passer à autre chose. Ce qui importe pour les Gabonais, c’est l’avenir proche du Gabon et les changements attendus. Progressivement, beaucoup parviennent à en saisir les enjeux, en appelant à marquer une pause nécessaire à travers cette transition qu’ils appellent ardemment de leurs vœux. 

Qu’attendez-vous alors de la France ? 

La France, faut-il le rappeler, est notre partenaire historique. Elle ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe au Gabon. Je ne suis pas en train de dire que la France doit s’ingérer dans les affaires intérieures du Gabon, cette époque est révolue, je le sais très bien. Tout ce que nous demandons à la France, c’est qu’elle comprenne que l’instabilité politique au Gabon impacte négativement nos intérêts communs. 

Quelles sont aujourd’hui vos relations avec la cellule africaine de l’Élysée et, plus généralement, avec les autorités françaises ? 

Mes relations avec les autorités françaises sont bonnes, je dirai même très bonnes. J’ai missionné en France une haute personnalité qui est chargée d’entretenir cette relation. Permettez que je ne puisse pas la citer ici, mais elle se reconnaîtra et je voudrais ici la féliciter pour le travail accompli. 

À quel niveau de discussions êtes-vous aussi avec la communauté africaine, au sein de laquelle il semble que vous ayez manqué de soutien ? 

Rassurez-vous, au sein de cette communauté africaine, je compte pas mal de soutiens. Mais il n’est pas dans les habitudes de celle-ci d’étaler au grand jour ce type de relations. Autrement dit, mes soutiens africains existent, ils sont même plus importants que vous ne l’imaginez et je préfère ne pas trop m’étendre là-dessus. 

Y a-t-il, d’après vous, un avenir assuré pour la souveraineté des États africains vis-à-vis de la France, et pour l’éclosion d’une véritable démocratie consentie par les chefs d’État de la sous-région d’Afrique centrale ? 

Cette question est délicate. Aussi, je me limiterai à quelques observations d’ordre général. La notion de souveraineté n’est plus celle que les juristes ont traditionnellement forgée il y a longtemps. Avec l’apparition un peu partout des grands ensembles, elle résiste difficilement à son dépassement désormais acquis. Le monde est interdépendant, et face à cette réalité, la souveraineté des États est presque reléguée à un plan secondaire, ce qui peut être regrettable, mais c’est un fait qui s’impose un peu partout aujourd’hui. 

Vous faites, par exemple, allusion à la démocratie. Il s’agit d’une valeur communément partagée aujourd’hui, mais dans les faits, chaque pays africain cherche à l’adapter à son environnement, d’où les difficultés qui surgissent ici et là. 

Bref, cette question du lien entre la souveraineté des États et l’éclosion de la démocratie constitue l’une des problématiques des élites politiques africaines. 

Relations avec le peuple et la nation 

Président Jean Ping, que reste-il de votre relation fusionnelle avec le peuple gabonais qui a cru en vous jusqu’au bout ? 

Avec le peuple gabonais, j’ai eu l’honneur et la chance d’établir une relation forte. Et je crois que cela n’a pas beaucoup changé, dès lors que cette relation repose sur la constance et la détermination. 

J’ai promis aux Gabonais d’aller jusqu’au bout, je n’ai pas changé. Je continue à croire en lui, comme lui continue à croire en moi. C’est très important. Contrairement à ce que certains affirment souvent, le peuple gabonais n’est pas si naïf qu’on ne le croit. Il sait reconnaître qui est qui. 

Dans une de mes adresses à la nation, j’avais indiqué qu’il fallait résister, toujours résister jusqu’au bout et que même si je n’étais plus là, même si nos adversaires avaient raison de ma personne, vous devez enjamber mon cadavre et continuer la lutte jusqu’à la victoire, la victoire ! Il ne s’agissait pas de paroles en l’air, au contraire, elles étaient très bien pesées, pour ne pas dire réfléchies. 

En intégrant ce combat pour la libération du Gabon, je savais les risques que je courais, je savais surtout les risques que je faisais prendre à ma famille. Mais je l’ai fait et je continuerai de le faire, même s’il faut y laisser ma vie. 

Et je crois que cette constance et cette détermination sont très bien perçues par le peuple gabonais, qui me le rend d’ailleurs très bien. Je voudrais ici l’en remercier en le rassurant de la poursuite de la lutte jusqu’au bout, je dis bien jusqu’au bout. 

L’assignation en résidence surveillée imposée par le pouvoir de Libreville vous a littéralement coupé du monde. Où avez-vous puisé les ressources afin de surmonter cet isolement semblable à un exil ? 

Il s’agissait bel et bien d’un exil intérieur. 

Vous savez, j’appartiens à une famille de combattants de la liberté. Mon aîné, feu Me Agondjo-Okawé, et mon cousin, feu Joseph Rendjambé-Issani avaient connu la prison politique et le dernier cité avait été lâchement assassiné pour ses idées politiques. Donc le combat politique, je l’ai vécu à travers mes défunts frères. Il n’est donc pas étrange que je puisse m’engager à mon tour pour poursuivre l’œuvre pour laquelle ils ont donné leur vie. Je connais donc les dangers d’un tel engagement. Et cet exil intérieur faisait partie des risques que j’ai courus et que j’ai vécus stoïquement. 

Cette période m’a surtout permis de poursuivre ma réflexion sur la nature véritable de l’Homme face au pouvoir, de constater et de vivre la fragilité de certains Hommes face à cette mystique du pouvoir. Non pas que je ne le savais pas, je l’avais déjà constaté en tant que directeur de cabinet du président Omar Bongo Ondimba. Mais cette fois-ci, mon observation a été approfondie. L’Homme et le pouvoir, l’Homme et l’argent du pouvoir, ce sont des sujets qui doivent questionner les chercheurs de nos universités et centres de recherche. 

Avez-vous connu des moments de doute ? Sur vous-même ? Sur la foi des autres en vous ? 

Et comment ! Le doute est humain et, je dirais même, normal. Oui, j’ai connu ces moments-là, comme tout le monde, dirais-je. Mais l’important dans ce genre de combat, c’est la foi en ce que vous faites, c’est la foi en l’issue du combat que vous menez et lorsque la cause est juste, le doute n’arrive jamais à ébranler votre foi. J’ai souvent essayé de communiquer cette foi à ceux qui m’accompagnent dans cette longue et difficile aventure. Certains ont su et savent encore la partager avec moi, d’autres ont préféré se laisser envahir par le doute et donc ont fini par faillir, hélas ! Je dirais là encore que c’est humain. 

La foi c’est un peu comme le courage face à la peur. Tout être humain, à un moment donné, peut avoir peur ; mais ce qui fait de lui un courageux, c’est sa capacité à surmonter la peur et tout le monde ne peut pas être courageux en même temps. 

N’êtes-vous pas troublé par le contraste entre la ferveur de la diaspora et la résignation apparente des Gabonais de l’intérieur ? 

Vous dites bien « résignation apparente » ! Cette résignation que vous attribuez aux Gabonais de l’intérieur n’est vraiment qu’apparente. Il faut toujours se méfier des apparences ; elles sont, dans la plupart des cas, trompeuses. Les Gabonais peuvent vous donner l’impression d’être résignés, mais lorsqu’ils disent « ça suffit, stop ! » ils le disent avec une brutalité et une violence qui finissent par étonner. 

Mais admettons que votre constat soit exact. Il ne faut pas perdre de vue que les Gabonais de l’intérieur subissent au quotidien les affres de la dictature ambiante, la paupérisation de leurs conditions de vie, les souffrances multiples et variées. Tout cela, nos frères de la diaspora ne les vivent que par ricochet, même s’ils en souffrent eux aussi, mais pas de la même manière, convenons-en. C’est ce qui expliquerait en partie ce contraste, à mon avis. 

Quel regard portez-vous sur le second septennat finissant d’Ali Bongo Ondimba ? 

(L’air grave) Quel gâchis ! 

Pour conclure, Président Ping, quel message aimeriez-vous adresser au peuple gabonais ? 

Un message d’espoir. Oui, l’espoir. L’espoir d’un lendemain meilleur. Il n’y a rien ici-bas qui ne dure éternellement, et aucune dictature au monde n’a résisté à l’épreuve du temps. Et le temps est le second nom de Dieu. Je demande donc aux Gabonais de ne pas perdre espoir, de rester debout et déterminé pour qu’ensemble, je dis bien ensemble, nous puissions demain relever le défi de la reconstruction indispensable de notre beau pays que ces imposteurs et leurs affidés ont mis par terre. 

Je voudrais, pour terminer cet entretien que vous avez bien voulu m’accorder, vous dire merci, merci de m’avoir donné l’occasion de lever quelques malentendus qui circulaient ici et là. Merci de m’avoir donné l’occasion de dire aux filles et aux fils de notre beau pays, de penser, chaque jour, à nos sœurs et frères qui sont morts sans voir la terre promise. Nous les vivants d’aujourd’hui ne sommes pas meilleurs qu’eux. C’est pour cela que nous avons le devoir de lutter pour un Gabon meilleur. Merci surtout de m’avoir permis de me connecter à mes compatriotes qui me manquent déjà et que je retrouverai bientôt chez nous. 

Merci. 

 

 

Article du 16 septembre 2024 - 8:46am
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