Arnaud Froger : « La HAC a besoin de plus d'indépendance et de plus de collégialité »

Par Nicolas NDONG ESSONO / 11 mai 2022 / 0 commentaire(s)

Ainsi estime ce journaliste de profession et responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF). Une organisation non gouvernementale qui – dans son classement annuel de la liberté de la presse dans le monde, publié le 3 mai dernier - positionne le Gabon à la 105e place sur 180 Etats. Et cela, au moment où la Haute autorité de la communication (HAC), qualifiée à raison de bourreau des médias, change de président. Germain Ngoyo Moussavou Bikoko a remplacé Raphaël Ntoutoume Nkoghé, nommé lui haut-commissaire de la République. Au reste, même si le Gabon a progressé de 12 places, « plusieurs réformes pourraient être entreprises afin d'améliorer l’environnement des médias et contribuer à l'émergence d'un journalisme de qualité », conseille fortement Arnaud Froger. Question : ce conseil « gratuit » sera-t-il suivi par Ali Bongo et son gouvernement ? Là est toute la question.

Gabonclic.info : C'est devenu une tradition, le monde entier attend avec impatience le classement annuel de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF). Globalement, que doit-on dire de celui de cette année ?

Arnaud Froger : Nous sommes en train d'assister à une double polarisation. Au niveau international, les tensions s'exacerbent entre différents pôles, différents pays. Les régimes autoritaires utilisent la propagande et la désinformation pour atteindre leurs objectifs politiques en restreignant l'espace de l'information à l'intérieur de leurs frontières tout en exportant leur propagande à l'extérieur. Cela contribue à des guerres informationnelles qui précèdent parfois des guerres bien réelles comme l'illustre ce qui se passe avec l'attaque de l'Ukraine par la Russie. Cela participe aussi de l'affaiblissement des démocraties. Au niveau interne, on assiste aussi à un débat public de plus en plus polarisé avec le développement d'une certaine "Foxnewsisation" des médias qui privilégient la mise en avant d'opinions très radicales, des débats peu respectueux de la pluralité des opinions, et ce au détriment de la place de l'information et des échanges basés sur les faits. Enfin, au niveau du classement, on constate que le groupe de pays où la situation est considérée comme bonne n'a jamais été aussi réduit, tandis qu'à l'autre bout, celui où la situation de la liberté de la presse est très grave n'a jamais été aussi nombreux. Il compte désormais 28 pays. C'est 12 de plus que l'année dernière.

Pour le cas du Gabon, on note une nette amélioration au classement. Concrètement, cela veut dire quoi ?

Les dynamiques haussières et baissières des différents pays doivent être interprétées avec la plus grande prudence cette année, du fait d'un changement de méthodologie du classement. Auparavant, nous mesurions l'état de la liberté de la presse selon ses différentes composantes (pluralisme, indépendance, exactions...). Désormais, l'approche est plus globale et intègre mieux les nouvelles évolutions liées à l'émergence d'un espace de l'information qui s'est numérisée et désintermédié, c'est-à-dire où les médias traditionnels n'occupent plus une place aussi centrale dans la structuration du débat public. La liberté de la presse est mesurée à l'aune des différents types de contraintes qui peuvent peser sur elle et qui sont liées au contexte politique, économique, légal, socioculturel ou à la sécurité. Cela étant précisé, il convient de noter que certains signaux encourageants ont été observés au Gabon, comme la baisse du nombre de suspensions arbitraires de médias qui étaient devenues légion ces dernières années, une aide à la presse distribuée de manière plus équitable même si elle est encore jugée insuffisante par les acteurs du secteur, et le retour au pays d'un certain nombre de journalistes qui ne se sentaient pas en sécurité, il y a encore quelques années. Mais les défis restent nombreux pour que puisse s'établir durablement l'accès à une information de qualité sans ingérence et interférence des autorités.

 

Selon vous, que doivent faire les autorités de Libreville pour améliorer davantage la liberté de la presse au Gabon ?

Plusieurs réformes pourraient être entreprises afin d'améliorer l’environnement des médias et contribuer à l'émergence d'un journalisme de qualité. Quelques amendements à la loi régissant les activités de la Haute autorité de la communication (HAC) permettraient, par exemple, d'inscrire son action de régulation, par ailleurs légitime et nécessaire, dans un cadre où l'arbitraire et la sauvegarde d'intérêts politiques ou particuliers n'ont plus leur place. La HAC a besoin de plus d'indépendance et de plus de collégialité. Elle doit pouvoir rendre ses décisions sans avoir à se préoccuper de la réaction des autorités et sans une trop grande concentration de ses pouvoirs de décision. Cela contribuerait à rendre ses décisions plus justes et à les faire mieux accepter par les acteurs des médias. Une liberté mieux protégée, une régulation plus efficace, et des médias responsabilisés. L'implication de responsables politiques parfois directement rattachés à l'exécutif dans la création ou le soutien de médias propagandistes constitue également une source de préoccupation alors même que les médias d'Etat manquent déjà cruellement d'indépendance.

 

Propos recueillis par Elzo Mvoula

Article du 11 mai 2022 - 11:53am
Article vu "en cours dév"

Nombre de Commentaires (0)

Faites un commentaire !