Casimir Oyé Mba : Hommage à un grand frère et à un authentique homme d’Etat

Par Nicolas NDONG ESSONO / 23 sep 2021 / 0 commentaire(s)
Le Gabon perd l'un de ses dignes fils.

Au moment où je commence à émerger du brouillard dans lequel je me suis trouvé plongé à l’annonce de la terrible nouvelle le jeudi 16 septembre dernier aux premières heures de la matinée, je voudrais rendre un hommage fraternel au grand frère et à l’homme d’Etat. Il ne s’agit ici, chacun le comprendra, ni d’une biographie, ni d’une hagiographie. Le temps du bilan n’est pas encore venu. Ce soin doit être laissé aux historiens. C’est à eux et à eux seuls qu’il reviendra d’octroyer à Casimir Oye Mba la place qui lui revient dans l’histoire politique du Gabon. Je me contenterais donc de dire quelques mots sur l’homme, tel qu’il m’est apparu, et sur les enseignements que je retiens au terme de notre compagnonnage de 11 ans.

Ecce Homo.

C’est dans le milieu des années 1970 que j’ai aperçu Casimir Oye Mba pour la première fois. Alors que je me trouvais à l’internat au Lycée Mba, Casimir Oye Mba et sa famille logeaient dans un immeuble à proximité du Lycée. Il était alors le directeur de l’agence nationale de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC). Son épouse Françoise, une pure beauté exotique, était professeur de sciences naturelles dans notre Lycée.  Ce qui frappa les lycéens que nous étions chez cet homme encore très jeune, outre son élégance raffinée et sa posture altière, c’est qu’il pratiquait le tennis, un sport peu connu des Gabonais en ces temps-là, et très souvent en compagnie d’expatriés européens. Nous étions tous en admiration devant ce Gabonais policé, premier banquier central gabonais. Dès lors, Casimir Oye Mba s’est imposé à moi, à nous, comme un modèle de réussite scolaire et professionnelle qu’il fallait imiter.

COM, un homme d'Etat.

  

La deuxième fois que je le vis, cette fois de plus près, c’est quand il devint Premier ministre du Gabon en 1990, à l’issue de la Conférence Nationale. Une réception à l’honneur de sa nomination fut organisée à l’initiative des cadres des deux communautés autochtones de la province de l’Estuaire au domicile du ministre d’Etat Henri Minko. J’eus l’honneur et le privilège d’être désigné par les autres, sans doute parce que je débarquais tout émoulu de l’ENA française, pour préparer et prononcer l’allocution de circonstance, dans laquelle nous présentâmes quelques doléances. Dans sa réponse, tout en nous remerciant de notre fraternel accueil, et en nous assurant de sa pleine disponibilité, il souligna le fait qu’il était d’abord le Premier ministre de la République, ce qui a dû refroidir quelques ardeurs dans nos rangs et laissé transparaître un esprit étranger aux pratiques politiques en vigueur dans le pays.

Mais c’est à partir de l’élection présidentielle anticipée de 2009 que j’ai véritablement appris à connaître et à apprécier cet aîné exemplaire à tous égards. Lorsque l’annonce de sa candidature fut rendue publique, je me précipitai spontanément à sa résidence de Batterie IV et lui fis part de mon souhait d’intégrer son équipe de campagne, ce qu’il accepta avec un plaisir non dissimulé. Nous mesurâmes tous les deux à cette occasion les risques politiques d’un choix qui me conduisait à mettre en péril la position de confort matériel qui était la mienne au sein de la haute administration gabonaise. Mais mon choix n’avait rien d’émotionnel ni d’irrationnel. Il s’appuyait sur des considérations objectives et rationnellement évaluées, en rapport avec la situation générale du pays. A mes yeux, Oye Mba incarnait la compétence, la probité morale et l’intégrité intellectuelle.

 

i- La compétence d’abord.

 Casimir Oye Mba a excellé partout où il est passé. Il fut un excellent élève du grand collège Bessieux où il eut pour condisciple Michel Essongue qu’il considérait comme son frère, et dont il n’avait de cesse de vanter la grande intelligence. Il a brillé de mille feux à la faculté de droit et des sciences économiques de Rennes, puis au Panthéon Sorbonne où il obtînt un doctorat d’Etat en droit public avec la plus haute des distinctions, avant d’intégrer le Centre des Études Financières et bancaires (CEFEB) dont il sortit diplômé.

Casimir Oye Mba a été un grand gouverneur de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), le premier africain à occuper ce haut poste tout de suite après les blancs. A la tête de l’institut d’émission sous-régional pendant douze ans, il s’est illustré par une grande compétence alliant la rigueur technocratique, l’intégrité morale et le sérieux comportemental, ce qui lui valut la considération de tous les chefs d’Etats de la Sous-Région, le respect des institutions financières internationales, l’admiration des Gabonais et la confiance du président Omar Bongo qui en fit son Premier ministre après la Conférence Nationale en 1990, avec pour mission de sauver le pays d’une banqueroute annoncée.

Premier ministre de 1990 à 1994, il s’est attelé, avec ses différents gouvernements, à la mise en œuvre des grandes recommandations de la Conférence Nationale, traduites sur le plan politique et constitutionnel par l’adoption à l’unanimité de la constitution de mars 1991, puis par la mise en place des nouvelles institutions constitutionnelles: la Cour Constitutionnelle, le Conseil d’Etat, la Cour des comptes, le Conseil National de la Communication, et sur le plan financier par des mesures drastiques de réduction du train de vie de l’Etat telles que la suppression des soldes fonctionnelles, la suspension des baux administratifs qui plombaient les finances publiques, et une réduction significative de la dette publique. Si les réformes politiques ont été conduites dans une sorte de consensus national, il n’en fut pas de même pour les réformes financières qui lui valurent de fortes inimitiés, tant elles s’attaquaient à de gros intérêts locaux.

Ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire, il a conduit, avec le ministre des Finances Paul Toungui, l’élaboration du « Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté » (DSCRP). De l’avis de nombreux experts, ce document constitue jusqu’aujourd’hui la meilleure enquête en matière économique et sociale jamais menée sur le Gabon. Si les orientations prescrites dans ce document- fruit de l’expertise nationale- ne s’étaient pas heurtées à « des interférences diverses », notre pays aurait pu s’engager depuis longtemps dans la voie de la diversification de son économie, d’une croissance véritablement inclusive et de l’éradication de la pauvreté.

Lorsque Casimir Oye Mba fut nommé ministre des Affaires Étrangères, je fus partie de ceux qui n’ont pas compris l’intérêt d’accepter un poste ministériel immédiatement après avoir été chef du gouvernement.  Pourquoi ne pas avoir, à l’exemple de son homologue et ami Alassane Ouattara, sollicité un poste au FMI ou à la Banque Mondiale ? Il me répondit qu’après avoir refusé plusieurs ministères, y compris celui de l’Economie et des Finances, il lui était difficile de refuser les Affaires Étrangères, d’abord parce que cette position lui permettra de mieux comprendre les arcanes de la françafrique, ensuite parce qu’il avait bien compris que l’insistance du président Omar Bongo signifiait qu’il souhaitait l’avoir à portée de main. Cette explication codée m’a permis de comprendre a posteriori pourquoi sa candidature à tête de la Banque Africaine de Développement (BAD) s’est soldée par un échec.

 

II- L’intégrité morale ensuite.

La moralité de Casimir Oye Mba n’est plus à démontrer. Elle est connue et reconnue, tant au niveau de la gestion de la chose publique, qu’en ce qui concerne ses rapports avec les autres. En matière de gestion publique, son nom n’a jamais été associé à un quelconque scandale, ni politique, ni financier, ni mystico rituel, dans un régime caractérisé par la prédation, la corruption, la concussion, et qui s’illustre par des pratiques fétichistes maintes fois dénoncées mais toujours en œuvre. Casimir Oye Mba apparaissait donc à beaucoup de Gabonais en 2009 comme l’homme de la situation, une personnalité relativement neuve capable d’impulser le processus de redressement que le pays attendait après des décennies de gabegie et de mauvaise gouvernance. Mais certains esprits malsains mus par un tribalisme primaire, une cabale de dévots impénitents, se sont ligués contre cette perspective, préférant se résoudre à une continuité patrimoniale aventureuse. Le pays a ainsi manqué son rendez-vous avec l’histoire. Nous en payons tous le prix aujourd’hui. S’agissant de ses rapports avec les autres, pendant les 11 années où je l’ai assidûment fréquenté, je n’ai jamais entendu Casimir Oye Mba dire du mal de qui que ce soit. Il exécrait les ragots, la calomnie, la médisance, la médiocrité. Il recherchait la compétence et exaltait l’excellence. S’il pouvait se montrer inflexible sur les principes et les convictions, il acceptait la contradiction et respectait l’altérité. Il reconnaissait la valeur des autres, même quand il ne partageait pas leur point de vue. En cela, Casimir Oye Mba était un homme modéré recherchant sans cesse la discussion, le dialogue, les convergences, ce qui lui a souvent valu les critiques et les incompréhensions des extrémistes de tous acabits.

Casimir Oyé Mba

 

III- L’honnêteté intellectuelle enfin.

Bien que doté d’une intelligence et d’une compétence peu communes, Casimir Oye Mba savait écouter. Lorsqu’un désaccord survenait sur tel ou tel sujet, il ne faisait jamais preuve d’autoritarisme. Il appréciait que chacun donnât son avis et il tranchait en tenant compte des différents avis exprimés, ce qui dénotait une grande capacité de synthèse. Chez lui, la prise de décision n’était pas un processus solitaire mais le résultat d’une rigoureuse confrontation d’idées et de points de vue. Ceux qui le voyaient de loin et ne le connaissaient que superficiellement pouvaient le considérer comme hautain, suffisant ou condescendant. Je puis affirmer qu’il s’agit là d’une grossière illusion d’optique. Casimir Oye Mba était un homme bien élevé, subtil, avenant, généreux et soucieux des autres. A défaut d’avoir été un politicien roublard et obséquieux, il était direct, franc, un authentique homme d’Etat, celui dont la perspective n’est pas limitée aux prochaines élections, mais à la prochaine génération.

Casimir Oye Mba aimait profondément son pays et son Parti politique l’Union Nationale, pour lesquels il vient de donner sa vie. Alors qu’il aurait pu jouir tranquillement de sa retraite d’ancien gouverneur de la BEAC et d’ancien Premier ministre, se contenter, comme certains, de suivre l’évolution de ses petits enfants dans un confort douillet, il a dépensé sans compter son énergie et son argent dans notre lutte pour le redressement du Gabon, allant jusqu’à financer, parfois seul, les congrès du Parti, sans parler des aides multiformes qu’il apportait aux uns et aux autres au gré de nos contingences existentielles.

Casimir Oye Mba aurait pu se réclamer du célèbre vers de Terence « homo sum humani nihil a me alienum puto» (je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger).

 

La mort d’une personnalité de la trempe de Casimir Oye Mba doit être l’occasion d’une réflexion renouvelée sur le phénomène de la mort. La mort est, à la fois l’événement le plus attendu du fait de son inéluctabilité, mais aussi celui qui nous trouve toujours en état d’impréparation. Elle est, à la fois le phénomène le plus banal, mais aussi le plus extraordinaire. Seuls ceux qui n’ont pas encore suffisamment réfléchi à la condition humaine, à la finitude de notre être, peuvent se réjouir sous cape de la mort du prochain, car nous sommes tous sur une longue liste d’attente. Dès lors que nous sommes nés, nous sommes condamnés à mourir. La finalité de toute vie étant la mort, nul n’est ni trop jeune, ni trop vieux, pour mourir. Seule la mémoire transcende la mort. Casimir Oye Mba continuera d’être présent dans le souvenir de ceux qui l’ont connu et aimé, par-delà son absence métrique ou spatiale. Car, comme le dit Vladimir Janklevich, « Il est des absences plus présentes que la présence du présent, et des présences plus absentes que l’absence elle-même ».

Je présente mes condoléances les plus attristées à la famille de l’illustre disparu et partage sa grande peine. Qu’il repose en paix et que la terre lui soit légère.

Tu me manques cher aîné.

Emmanuel Ntoutoume Ndong (cadre de l’Union nationale)

Article du 23 septembre 2021 - 10:16am
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