Gabon : La nuit où tout a basculé
En l’espace d’une demi-heure, au milieu de la nuit finissante du mardi 29 au mercredi 30 août, les Gabonais ont vécu sans doute les heures les plus excitantes de leur histoire, après le coup d’état inattendu perpétré par un consortium de forces de défense et de sécurité. Une première dans ce pays.
La voix grave, martiale comme il se doit, le porte-parole de la junte lit un communiqué de cinq minutes, entouré de ses pairs issus de la police, la gendarmerie, l’armée de terre, la garde républicaine, les bérets rouges. Quelque part dans l’enceinte de la Présidence de la République où est logée la télévision publique Gabon 24, le décor surréaliste d’un putsch se prête au scénario inattendu d’une histoire en train de s’accélérer à la vitesse grand V. L’officier Manfoumbi Manfoumbi égrène un à un les griefs d’une « gouvernance irresponsable et imprévisible », qui ont amené les militaires à mettre fin au régime en place.
La veille, en fin d’après-midi, la rumeur insistante d’une annonce imminente des résultats de la présidentielle du samedi 26 août avait plongé les Gabonais dans une interminable attente bousculant leurs habitudes vespérales. La tension était d’autant palpable que les autorités gabonaises n’avaient pas jugé opportun, amplifiant le soupçon de manipulation, de préciser l’heure de la publication du verdict des urnes. Il aura fallu attendre deux heures du matin, pendant que le peuple était endormi, pour Michel Stéphane Bonda le très noctambule président du Centre Gabonais des Elections (CGE) vienne sacrifier à l’exercice. Au terme duquel Ali Bongo va être annoncé vainqueur avec 64, 27%, bénéficiant encore une fois de 98% des suffrages du Haut-Ogooué, avec une participation de 99,96%.
L’heure choisie se prêtait à une indignation assourdie, au vu de l’écart invraisemblable entre le président réélu et son challenger Albert Ondo Ossa, crédité de 30% des suffrages. Au grotesque des résultats s’ajoutant à la temporalité insolite est venue se superposer l’intervention échiquéenne d’une douzaine de militaires qui ont interrompu la diffusion des programmes de Gabon 24, pour annoncer qu’au vu des résultats tronqués, les élections générales étaient annulées. Mieux, pour préserver la paix dans le pays et lui éviter le chaos se profilant sur fond de dégradation de la cohésion sociale, les putschistes ont décidé de dissoudre toutes les institutions de la République.
Quelques tirs d’armes automatiques sporadiques ont suivi le speech de l’officier Manfoumbi Manfoumbi, faisant craindre un moment une déflagration de violence. Finalement, le calme est rapidement revenu et au petit matin, on a plutôt assisté à des scènes de joie des Librevillois, descendus dans les artères de la capitale pour acclamer leurs « libérateurs ». Quatorze ans après son arrivée au pouvoir en 2009, sur les brisées de son père qui occupa le fauteuil présidentiel quarante-deux ans durant, Ali Bongo était un président contesté, rejeté, vomi par les Gabonais à cause, entre autres, de son mépris pour les Gabonais.
Affaibli après un accident vasculaire cérébral en 2018, il n’avait jamais lancé le Gabon sur la rampe du développement, préférant s’enfermer dans une gouvernance monarchiste, clientéliste et népotique l’isolant de ses compatriotes.
Elzo Mvoula
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