Gabon: Mays Mouissi : « Il nous faut construire un Etat-nation où se reconnaîtront tous les Gabonais, et pas un Etat du clan où seul se reconnait un petit groupe »
Ainsi souhaite, avec force et détermination, cet économiste de renom. Co-auteur, avec Harold Leckat, du rapport sur le bilan du second septennat d’Ali Bongo, il revient, dans l’interview qu’il a bien voulu nous accorder, sur ce document très commenté, répond au SG du Parti démocratique gabonais (PDG), « disqualifié pour porter un jugement sérieux sur notre rapport » et fait des propositions pour sortir du marasme actuel, le Gabon, notre pays dont il se dit fier et « pour lequel nous nous battons ». Lecture !
Gabonclic.info : Allons-y droit au but. Il y a un contraste entre votre sérénité et la précaution que vous prenez à ne pas dévoiler les noms des bénévoles qui vous ont aidés à réaliser ce rapport « pour leur éviter des représailles ». Mays Mouissi, le Gabon est-il si dangereux que ça ?
Mays Mouissi : je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’opportunité que vous m’offrez de nous exprimer dans vos colonnes. Quand Harold Leckat et moi-même avons décidé de réaliser le bilan du second septennat du président sortant, il y a maintenant plusieurs mois. Nous avons souhaité y associer toutes les intelligences susceptibles de mener à bien ce projet avec rigueur, professionnalisme et patriotisme. Une trentaine de personnes ont participé à ce projet dans les 9 provinces de notre pays. Celles-ci ont travaillé de façon bénévole. En retour, notre responsabilité était de nous assurer que ces compatriotes ne subissent ni menace, ni représailles, ni intimidations de quiconque, en raison de leur participation à ce projet. C’est ce qui nous a conduits à préserver leur identité. C’était une mesure nécessaire dans le contexte actuel dans notre pays.
A la suite de la publication de votre rapport, Steeve Nzegho Dieko, le Secrétaire général du PDG, a, au cours d’une conférence de presse, qualifié le bilan d’Ali Bongo de « globalement positif », et votre rapport de « propagande mensongère », que répondez-vous ?
La question du bilan du président de la République est si importante qu’elle doit être traitée avec rigueur, méthode et en ayant le souci permanent de la vérité. Si M. Steeve Nzegho Dieko possédait, ne serait-ce qu’une seule de ces vertus, ça se saurait, y compris dans son propre parti.
Surpris par la qualité du bilan qu’Harold Leckat et moi-même avons produit, lequel a séduit au-delà de nos frontières par sa méthode scientifique, ses nombreuses sources et son côté factuel, le Secrétaire général du PDG, pressé de réagir pour sauver la face, a répondu par un publi-reportage insipide. Il conclut que le bilan du président de la République sortant est positif en s’appuyant sur un document dont la méthodologie de travail n’a pas été définie, qui ne cite aucune source et dont le référentiel n’est ni le programme du premier mandat d’Ali Bongo, ni celui du second. A l’issue de cet exercice et en dépit des moyens déployés pour apporter une réponse à notre rapport-bilan, le Secrétaire général du PDG s’est montré incapable de donner un chiffre pour fixer le taux de succès de la mandature du président, au regard des engagements pris devant le peuple gabonais. Dans ce contexte, M. Steeve Nzegho Dieko est disqualifié pour porter un jugement sérieux sur notre rapport. Un chef d’Etat a besoin d’hommes et de femmes d’Etat autour de lui pour réussir et non de zélateurs prêts aux pires mensonges, y compris aux populations, pour conserver une position sociale avantageuse.
Revenons à votre rapport sur le dernier septennat d’Ali Bongo au pouvoir. Sur 105 promesses, il n’y a que 13 réalisations. Si on parle de tragédie, est-ce exagéré ?
C’est une tragédie pour les gouvernements successifs qui, en dépit d’importantes ressources budgétaires dont ils ont disposé, ont péniblement réalisé 12 % des promesses du programme du président de la République en 7 ans. Dans d’autres pays, chaque membre du gouvernement ainsi que chaque responsable de l’administration présidentielle devraient être mis face à leurs responsabilités et rendre compte de leur gestion.
C’est également une tragédie pour le président de la République sortant qui postule pour un autre mandat en ayant le fardeau de son bilan. Comment fera-t-il pour convaincre les Gabonais qu’il réalisera les promesses de son nouveau programme quand il n’est parvenu qu’à réaliser 13 promesses sur les 105 de son programme précédent ?
C’est, enfin, une tragédie pour les Gabonais à qui on a promis un Gabon émergent dès 2025 et de meilleures conditions de vie, mais qui expérimentent chaque jour la hausse du chômage, de la pauvreté, l’absence d’eau dans les robinets, la décrépitude de nos universités, les défaillances de notre système de santé, le mal logement ou encore la piètre qualité de notre réseau routier.
Citez-nous quelques promesses non réalisées !
Les promesses non réalisées sont si nombreuses qu’on ne peut pas toutes les citer, en effet. Cependant, la non-réalisation de ces promesses a un impact direct sur la vie des Gabonais. Ainsi, les habitants du Grand-Libreville, qui n’ont plus accès à l’eau courante de façon continue depuis plusieurs mois, doivent savoir que c’est une conséquence de la non-réalisation intégrale des promesses 87 et 88 du programme d’Ali Bongo. Le président s’était, en effet, engagé à alimenter l’agglomération de Libreville de 140 000 m3 d’eau supplémentaires par jour, et à connecter au réseau 100 000 personnes supplémentaires. Ne l’ayant pas fait, Libreville et sa périphérie doivent faire face à un intense stress hydrique, qui occasionne les coupures d’eau.
Les milliers de Gabonais qui font face à une insécurité foncière grandissante doivent également savoir que cette situation, ainsi que les spoliations de terrains qu’ils subissent, ont un lien avec la non-réalisation de la promesse 97 du programme d’Ali Bongo. Ce dernier s’était, en effet, engagé à délivrer 50 000 titres fonciers au cours de son septennat, mais l’ANUTTC (Agence nationale de l’urbanisme, des travaux topographiques et du cadastre, ndlr) n’en a même pas délivré 10 000.
Je pourrais continuer, mais je préfère m’arrêter là.
Pouvez-vous nous dire, par le détail, les raisons pour lesquelles finalement le président de la République n’a « rien fait » de significatif pour ses « chers » compatriotes ?
Le piètre bilan que nous déplorons résulte principalement d’un problème de gouvernance et d’une façon de gérer l’Etat, qui favorise le culte de la personnalité plutôt que la culture du résultat. Un modèle de gouvernance différent aurait permis d’obtenir de bien meilleurs résultats.
J’ai hésité de vous poser cette question. D’autant plus qu’elle a un lien avec les propos tenus par Frédéric Massavala Maboumba, le Haut-Commissaire et porte-parole du PDG aujourd’hui. Le même qui traitait, hier, Ali Bongo de « Biafrais » se retrouve à vous taxer d’« accusateurs, de procureurs (…) (qui) oublient volontairement ce qui a été fait ». Quelle est votre réaction ?
Il ne me semble pas utile de répondre à M. Frédéric Massavala Maboumba car, personne ne sait mieux répondre à M. Frédéric Massavala Maboumba que lui-même. Les propos qu’il a tenus sur le bilan et la personne d’Ali Bongo quand il émargeait dans l’opposition sont déjà assez explicites.
En revanche, je voudrais dire qu’en dépit des conclusions que je tire du second septennat d’Ali Bongo, je ne l’ai jamais considéré comme étant « Biafrais ». On peut avoir des contradictions avec ses semblables sans faire dans l’outrance, l’invective et se comporter dignement. Le président de la République est un citoyen gabonais avec des droits et des devoirs comme tous les autres. Il faut élever le débat public, sortir du débat des personnes et s’inscrire résolument dans le débat d’idées. C’est là toute la différence entre la démarche de M. Massavala Maboumba et la mienne.
Estimez-vous qu’il y a une forte corrélation entre la descente aux enfers du Gabon, à l’observation de la non-réalisation des promesses d’Ali Bongo, et l’instabilité du gouvernement ?
Absolument. Il est très difficile d’obtenir des résultats économiques structurants et durables dans un environnement instable. Notre Constitution dispose que le gouvernement conduit la politique de la nation sous l’autorité du président de la République. Si vous faites des remaniements ministériels tous les quatre matins, vous rendez difficile la construction d’un politique économique et sociale cohérente au bénéfice de la nation. Il faut donc définir une stratégie et s’y tenir. On peut, bien sûr, faire des ajustements à la marge sans pour autant le faire à une fréquence aussi élevée que celle qu’on a vu au cours du second septennat d’Ali Bongo. Notre pays a besoin de plus de stabilité dans l’Exécutif.
Au scanner de votre rapport, certains observateurs disent que vous avez omis d’évoquer le désastre moral de la Nation gabonaise. La haine, les limogeages, les règlements de compte rythment le fonctionnement de l’espace public au Gabon. La Fonction publique est fortement politisée. La construction de l’Etat-Nation est-elle donc une vue de l’esprit ?
Dans notre rapport, nous avons choisi d’évaluer le niveau de réalisation des engagements contenus dans le programme présenté par le candidat Ali Bongo à l’élection de 2016, et rien d’autre. Les aspects que vous évoquez n’étaient pas dans le scope en effet. Cependant, nous croyons fermement au Gabon des Valeurs et à la construction de l’Etat nation. C’est pourquoi, nous agissons par nos actions à faire évoluer positivement les mentalités dans notre pays.
Objectivement, que faire pour redresser le Gabon du marasme ambiant ?
Il y a évidemment plusieurs façons de procéder, en fonction des objectifs poursuivis. Pour ma part, je recommande de commencer par travailler sur des fondamentaux à savoir : restaurer l’autorité de l’Etat, mettre en place une gouvernance saine et démocratique orientée vers le résultat, établir une stratégie de développement cohérente et s’y tenir, mettre chacun face à ses responsabilités et sanctionner quand c’est nécessaire. Il nous faut construire un Etat-nation où se reconnaîtront tous les Gabonais et pas un Etat du clan où seul se reconnait un petit groupe.
Et pour conclure ?
Je voudrais, à nouveau, vous remercier et remercier les citoyens gabonais qui ont honoré notre travail sur le bilan du second septennat d’Ali Bongo, par des messages particulièrement bienveillants à notre endroit. Nous sommes fiers d’être Gabonais, fiers de notre pays auquel nous croyons et pour lequel nous nous battons.
Propos recueillis par Vichanie Mamboundou
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