Me Jean Paul Moumbembé : « Me Raymond Obame Sima ne peut plaider ni devant la Cour de cassation, ni devant la Cour Constitutionnelle »
Ce sont les principaux arguments mis en avant par cet avocat inscrit au Barreau du Gabon depuis 33 ans qui dit avoir saisi le Conseil d’Etat en contestation, entre autres, de l’élection du successeur de Me Lubin Ntoutoume. C’est du moins ce que l’on peut retenir de l’entretien que nous avons eu ce dimanche à son cabinet en face du lieu-dit « Oyo » avec celui que l’on surnomme « le Vergès du Gabon » en raison de sa prestance et les qualités de ses plaidoiries. Très soucieux et dépité des conditions dans lesquelles exercent les magistrats, il dit ne rien comprendre à ce mépris affiché par le gouvernement envers ceux dont la mission est de rendre justice pour une société équitable et harmonieuse. En off, celui qui n’avait cessé de s’en prendre à l’ancien bâtonnier Me Akoumbou, affirme et soutient, la main sur le cœur, que sa démarche n’a rien de personnel contre Me Raymond Obame Sima mais répond tout simplement à un devoir existentiel de défendre les principes en tout lieu et en toutes circonstances. Lecture !
Gabonclic.info : Allons-y droit au but. Vous êtes à l’origine de la saisine du Conseil d’Etat pour les invalidations de tous les actes issus de l’assemblée générale de l’Ordre des avocats tenue le vendredi 6 janvier dernier à Libreville. Notamment l’élection de Me Raymond Obame Sima comme bâtonnier. Quelles en sont les raisons ?
Me Jean Paul Moumbembé : je suis avocat, inscrit au Barreau du Gabon depuis 33 ans. Je suis un homme de loi et notre loi des avocats nous exige d'être respectueux des lois de la République. Nous avons la loi des avocats de 2015 traitant justement de l’élection du bâtonnier et des membres du Conseil de l'Ordre. Aujourd’hui, ce qui nous intéresse c'est l'élection du bâtonnier. A ce sujet, lorsque le bâtonnier sortant a lancé la procédure de renouvellement du bureau du Barreau du Gabon, en demandant aux avocats de s'inscrire et, pour ceux qui voulaient être bâtonnier, de présenter leurs candidatures, Me Lubin Ntoutoume n'a jamais publié, avant le jour de l'élection, la liste des candidats à sa propre succession. Toutefois, ici et là, il se disait que parmi les éventuels postulants, il y aurait la candidature de Me Raymond Obame Sima, mon jeune confrère.
Que s’est-il passé lorsque vous avez eu confirmation de cette candidature ?
Immédiatement, je me suis opposé à la candidature de Me Raymond Obame Sima au poste de bâtonnier de l’Ordre des avocats du Gabon. Je précise qu’il n’y a rien de personnel entre ce jeune confrère et moi. Ma démarche est motivée par des raisons juridiques. La loi des avocats pose un principe et également des exceptions, ou plutôt une exception. Cette loi s'applique dans le cas de l'exercice de la profession éponyme. Mais la même loi pose le principe sous réserve des autres lois de la République. Notamment le fait qu’un avocat, pour plaider devant la Cour de cassation, doit avoir été inscrit (non pas simplement exercer la fonction d’avocat) au grand tableau depuis au moins 10 ans, et avoir prêté serment devant cette juridiction.
Me Raymond Obame Sima n’a-t-il jamais prêté serment devant la Cour de cassation ?
Il a totalisé, de fraîche date, 10 ans d’ancienneté au grand tableau. Cependant, ce jeune confrère n'a jamais prêté serment devant la Cour de cassation. Conséquence immédiate de cette situation, Me Raymond Obame Sima ne peut pas devenir bâtonnier, puisqu’il ne peut pas défendre le Barreau et aller plaider devant la Cour de cassation. A partir de ce moment-là, et c’est une évidence, sa candidature doit être déclarée irrecevable.
Est-ce le seul grief fait à cette candidature ?
Non. Il y a aussi le fait que pour qu’un avocat plaide devant la Cour constitutionnelle, l’homme en robe noire doit totaliser 15 ans d’ancienneté inscrit au grand tableau (non pas d'exercice de la profession d’avocat). Dans son cas, mon confrère n'ayant pas encore fait 15 ans d’inscription au grand tableau, mais plutôt 10 ans, ne peut pas plaider devant la Cour constitutionnelle. Du coup, comme précédemment, ne pouvant représenter le Barreau devant cette haute juridiction, sa candidature doit être jugée irrecevable.
Simplement expliqué, cela veut dire quoi ?
Me Raymond Obame Sima, pour les raisons citées plus haut, ne peut pas devenir bâtonnier. Il ne peut pas nous représenter devant ces juridictions, et notre règlement intérieur des avocats dit que le bâtonnier représente le Barreau devant toutes les juridictions. C'est pourquoi j'ai saisi le Conseil d'Etat pour solliciter l’annulation des actes issus de l’Assemblée générale de l’Ordre des avocats du début du mois de janvier dernier.
Entre prestation de serment de 32 nouveaux avocats aux parcours tortueux pour certains, les suspensions par le Barreau et les réhabilitations par le Conseil d’Etat de plusieurs avocats dont vous, l’emprisonnement d’un avocat pour détournement de fonds…, le règne de Me Lubin Ntoutoume à la tête du Barreau du Gabon n’a pas été reluisant.
Vous voulez me pousser à juger le travail de l'ancien bâtonnier et de l'ancien conseil de l'Ordre des avocats. Vous comprendrez que je ne peux pas le faire.
Tout de même, certains avocats prennent des libertés avec les fonds de leurs clients. Est-ce noble de tels comportements pour des personnes qui doivent être irréprochables ?
On m'a accusé, fait passer en Conseil de discipline, parce que j'ai dit que nous, les avocats, sommes des voleurs. Chez nous au village, même si je n'ai pas vécu au village, on dit que lorsqu'une dent est pourrie, c'est toute la bouche qui sent vraiment mauvais. J'estime que mes confrères qui portent la même robe que moi, dès lors que je dérobe, je suis un voleur, puisque je généralise, même si je ne le suis pas au fond. Nous avons vu le cas de l’un de mes amis (Me Mezui, Ndlr), qui est en prison en ce moment à Port-Gentil. J'ai été son avocat, j'étais le premier à descendre à Port-Gentil pour le défendre. Je suis allé avec mon jeune confrère, qui était mon stagiaire à l'époque. Comme aujourd'hui, je suis allé avec Me Anges Kévin, pour défendre notre confrère. Je suis revenu et on m'a fait la guerre. Je ne comprends pas ce jeu-là. Ou nous défendons sincèrement notre confrère, nous partons et nous nous battons jusqu'au bout. Ou on ne le fait pas. Pourquoi vouloir me régler les comptes parce que je suis allé défendre un confrère, alors que vous-même vous faites le nécessaire pour défendre ce confrère-là ? Ce double jeu, je ne le supporte pas. Les avocats ont des problèmes avec leurs clients et qui tournent autour de l'argent, de l'abus de confiance. Pourquoi chercher à faire du mal à tel avocat parce qu'il dit la vérité ?
Ce lundi s’ouvre à Libreville le dialogue politique. Un avocat est membre de la société civile, donc concerné par tout ce qui se passe sur le plan politique, socio-politique. Quel est votre avis, comment voyez-vous l’issue de cette concertation ?
J'étais l'avocat d'Omar Bongo et de la République gabonaise, donc je maîtrisais toutes ces questions. A mon avis, la voie choisie par le chef de l'État pour pouvoir créer un climat d'apaisement, afin que chacun s'exprime, est une bonne chose. Je souhaiterais qu’après cette rencontre, que des résolutions soient adoptées et appliquées par la suite. Les Gabonais doivent se retrouver pour se parler, et que lorsqu’ils se retrouvent, qu’ils prennent des décisions qui doivent être respectées par tous et appliquées. C'est une bonne chose pour la paix. Mais si c'est pour aller s'attendre à recevoir de l’argent, je dis non.
Voilà plus de deux mois que les magistrats sont en grève. Ils réclament à l’Etat de meilleures conditions de travail et de vie. Qu’en dites-vous ?
Les magistrats n'ont-ils pas raison ? Ils n’exercent pas dans de meilleures conditions. Je suis l’avocat dans beaucoup d'affaires économiques, de détournements des deniers publics. Lorsque vous entendez les sommes qu’une seule personne détourne ou encore qu’ils se partagent, je crois que ce n’est pas seulement ceux qui volent qui doivent être jugés. Mais ceux qui ne le sont pas sont tellement puissants. Le Gabon a de l'argent. Il peut donc faire des efforts pour satisfaire les doléances des magistrats. Que demandent-ils pour le transport ? Des véhicules (Un premier lot de 36 voitures a été remis aux chefs de juridictions de l’intérieur du pays vendredi 10 février 2023 par la ministre de la Justice, Ndlr). Ce qui est normal. Il y a l'argent. Au lieu de se satisfaire des détourneurs de deniers publics, on doit satisfaire, pas seulement les magistrats, mais aussi les greffiers qui, même sous la pluie, viennent faire correctement leur travail. Leur milieu professionnel doit être satisfaisant, parce qu’une décision de justice est la clé de toutes les portes de sortie pour résoudre les crises socio-politiques, professionnelles et autres. Donc, on doit aider les magistrats et les greffiers. Ils ont des familles. Ils ont besoin de vivre décemment.
Pour terminer, en tant qu’homme spirituel, quelle peut être, selon vous, la porte de sortie de toutes les crises que traverse notre pays ?
Ce qui m'intéresserait déjà, c’est une porte de sortie sur le plan politique. La rencontre ce lundi de tous ces hommes politiques est déjà une porte de sortie. On ne peut pas faire "du neuf avec du vieux" est un mauvais langage, un mauvais principe. On ne peut pas venir prendre la place du vieux, sans aucune expérience. Même si vous êtes le savant des savants, la pratique c'est autre chose. Ce que nous apprenons à l'école, c'est autre chose. Vous pensez que nous, les avocats, fonctionnons tous de la même manière ? Tu peux avoir préparé ton dossier, mais après toi, des choses se passent. C'est pourquoi les jeunes doivent apprendre. Chez nous, tu peux être plus intelligent que le vieux, mais comme me disait Omar Bongo, « j'ai toujours le dernier nœud à dénouer ».
Entretien réalisé par Elzo Mvoula
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