Au cœur de la Ngounié Sud : Voyage dans la nuit de Dibwangui

Par Nicolas NDONG ESSONO / 25 aoû 2022 / 0 commentaire(s)
Le temps s'est figé ici. Et dire que le Gabon est un pays pétrolier.

Entre des routes dégradées, manque d’eau potable et d’électricité, infrastructures collectives vétustes…vivre dans cette zone relève d’un défi quotidien. Escapade dans une zone où des « oubliés » de la République. Prenez vos mouchoirs !

Tout touriste arrivant à Dibwangui, dans le département de la Boumi-Louétsi, marque inévitablement une halte devant l’imposante Église catholique Notre Dame de Lourdes. Il apprécie l’architecture, la solidité de l’édifice et renouvelle, s’il est chrétien, sa foi en Jésus Christ. A gauche de ce patrimoine, se dresse une tombe, celle du frère Michel Pierre, assassiné en 1977 par Albert Bouyiki, père de l’ancien ministre de la République récemment décédé Jean-Rémy Pendy Bouyiki.

L’histoire raconte que, dans les années 1970, Albert Bouyiki travaillait dans cette mission gérée par des prêtres français. Il attendait son salaire depuis plusieurs mois. Son employeur, le frère Michel (qui assurait la gestion de la paroisse en l’absence du curé Raymond Giraud, malade) semblait le faire tourner en rond. Impatient, l’employé chargea son arme, attendit son patron, le cribla de balles pour mettre fin à la vie de ce dernier. Un drame qui sonna le début du déclin de la mission Notre Dame de Lourdes.

Aujourd’hui, Dibwangui n’est plus qu’un lieu chargé d’histoires, comme beaucoup d’autres endroits du Gabon.

A droite de l’église, on aperçoit un bâtiment plutôt bien entretenu, puis une bâtisse à étage dont la partie faciale est détruite, qui servait autrefois de logement aux missionnaires.

En se rapprochant de ces ruines, le visiteur aperçoit des maisons complètement noyées sous la végétation. Celles-ci abritaient par le passé les domiciles des enseignants.

A gauche, des toitures qui n’ont plus la force de résister à l’envahissement des hautes herbes. Le grand domaine, c’est l’ancien collège Saint Félicien de Dibwanga, délocalisé désormais à Lébamba, à 25 km de là, dans le département de la Louétsi-Wano. Depuis lors, l’herbe a remplacé les élèves.

A l’intérieur du bâtiment en ruines, c’est un spectacle de désolation : des bulletins de notes qui jonchent le sol et racontent la triste histoire des lieux.

Construits en brique de terre cuite, les bâtiments ne mourront pas d’ici à demain. Mais que vont-ils devenir ? Sans doute de simples vestiges du passé rappelant le collègue de la mission catholique de Dibwangui.

Tout ceci peut-il signifier le recul du christianisme après qu’il a fait reculer les cultes et coutumes traditionnels ?

Il y a cinq ans, les autorités cléricales ont décidé de fermer l’établissement et d’abandonner les lieux. En cause, la baisse continue des effectifs. Le collège ne recevant plus beaucoup d’élèves, il devenait difficile d’entretenir l’établissement. La dernière année n’avait enregistré que quarante-cinq élèves pour l’ensemble du cycle. Pourquoi les élèves ont-ils déserté le collège ?

La faute n’incombe pas aux missionnaires, mais aux défaillances de l’Etat. Le village s’était dépeuplé, victime de l’exode rural. Lébamba attire plus de monde. Dibwangui n’a pas d’électricité. Il n’a que deux maigres pompes d’hydraulique villageoise. La route n’est pas bitumée, il faut donc quotidiennement inhaler la poussière. Le village n’était plus attractif, pas même pour les missionnaires qui avaient déménagé, à la fin des années 70, à cause du crime de Bouyiki. Elèves et enseignants souffraient donc souvent de faim. Monseigneur Mathieu Madéga, évêque de Mouila concéda donc le déplacement de l’établissement vers Lébamba.

Nul n’a jamais compris pourquoi le mini-barrage hydro-électrique qui se trouve à Mandji, à 1 km de Dibwangui, n’a jamais fonctionné. On raconte dans la contrée que Pendy Bouyiki semblait le mettre en marche uniquement lors des différentes campagnes électorales.

Personne n’a jamais compris non plus pourquoi le barrage de Bongolo n’alimente pas toute la zone comprenant les villages Kanda, Moukoundou, Mandji, Dibwangui, Bilala, Ndoubi et Makongonio, alors qu’il éclaire des contrées lointaines comme Ndendé et… Tchibanga.

De toute façon, il a fallu des mouvements d’humeur des populations pour que le barrage de Bongolo fournisse l’électricité à la commune de Lébamba. De la pure sorcellerie !

Poursuivant sa randonnée, le visiteur a déjà éprouvé son véhicule sur une route serpentée, ressemblant à des pistes d’éléphant. Il arrive à Makongonio, le village de feu Pendy Bouyiki et de Narcisse Massala Tsamba, un ancien Pédégiste passé dans l’opposition. Les maisons sont faites de bric et de broc. Ce qui n’empêche pas d’être heureux ici. Enfin, être heureux est une notion relative. Mais passons !

L’arrivée du moindre véhicule suscite ici quelques curiosités. Les gens veulent savoir qui vient d’arriver. « Chez Madame Léon », c’est un bar, lieu de retrouvailles et du Kongossa aussi. Parmi les histoires qu’on y entend, il y a celle de l’exploitation illégale de l’or et de l’exploitation de la forêt. Deux ans plus tôt, les habitants de la bourgade ne pouvaient plus dissimuler leur colère devant des grumiers toujours plus chargés d’essences de bois divers.

Ces colères sporadiques ne sont pas nouvelles, elles se répètent comme ça parfois, mais ne changent rien à la réalité de Makongonio et ses habitants. Ils ne connaissent pas l’électricité, ni l’eau potable. L’école publique se vide, victime, là aussi de l’exode rural. La modernité tarde à venir depuis des années. Alors, on a cessé d’y croire et, c’est le sauve-qui-peut. Chacun va se chercher à Lébamba ou à Mouila, dans les plantations de palmiers d’Olam.

« Chez Madame Léon », on parle aussi de la dégradation de la route. Ainsi, par exemple, on ne peut joindre Malinga, ni Mimongo, en passant par Mbigou. Les routes sont en très mauvais état et, parfois, fermées.

Vivre dans la Ngounié Sud dans ces conditions est donc, assurément, un défi terrible. Comment alors apporter la modernité dans ces lieux sans la route, principal facteur de développement ? Presque la majorité de la population de la contrée croit en Jésus-Christ. Assurément, l’abandon des rites cultuels du terroir n’a pas eu une monnaie d’échange… La pauvreté est née dans ces conditions.

Et les députés, nouveaux prophètes des lieux, fouillent, à l’occasion d’une visite, leurs poches pour partager quelques billets de banque à ces laissés-pour-compte de la modernité. L’argent, c’est le nouveau fétiche. Il écrase le Bwiti, les liens claniques, la foi en la démocratie…

Le visiteur s’en retourne, empruntant les routes poussiéreuses et cahotantes, comme sur le rallye Paris-Dakar. Les ponts respirent les temps anciens. Il y a toujours de la désolation et de la frayeur à passer dessus. Comme si la Ngounié Sud n’existe pas pour le pouvoir d’Ali Bongo.

« C’est pourquoi en 2016, assure la main sur le cœur Joseph Antoine Mikala, un fils de la contrée, les habitants de la forêt ont voté Jean Ping, pour l’alternance. En 2023, la messe est déjà dite, ils voteront encore pour le candidat de l’opposition ».

Albert Ndong Mba, envoyé spécial.

Article du 25 août 2022 - 10:41am
Article vu "en cours dév"

Nombre de Commentaires (0)

Faites un commentaire !