Gabon : Christian Kerangall constate l’échec des Bongo au pouvoir

Par Nicolas NDONG ESSONO / 14 juin 2022 / 0 commentaire(s)
Kerangall a fait un constat accablant de la gouvernance actuelle.

L’homme d’affaires, crédité de la plus grosse fortune du Gabon selon Forbes, et occasionnellement collaborateur des Bongo de père en fils, dresse un bilan sans concession du Plan Stratégique Gabon Émergent. Un échec, dit-il. Mais à qui la faute ? Pas qu’aux mousquetaires…Tentatives d’explications.

L’interview que l’ancien patron de Sogafric a accordée au quotidien L’Union, le 31 mai dernier, est un brûlot. Assumant sans complexe sa réussite dans le monde des affaires, il botte en touche quand on fait de lui l’homme le plus riche du Gabon. Suivant donc sa liberté, il avoue être actionnaire à Sogafric, à la compagnie du Komo, à BGFI Bank... Les actions rapportent gros en chiffres bruts, mais là n’est pas l’essentiel.

L'homme le plus riche du Gabon pointe la prodada des mousquetaires
autour d'Ali Bongo.

Ali Bongo à l’image d’Omar Bongo. C’est à la faveur de la promotion de son livre Mémoires en noir et blanc (2022), que le natif de Levallois-Perret (France) a accordé cette interview qui fait grand bruit à Libreville, particulièrement au Bord de mer et dans les arcanes du pouvoir. En effet, d’aucuns se demandent comment Lin Joël Ndembet, directeur de publication de L’Union, dont le propriétaire n’est autre qu’Ali Bongo, a pu y faire passer des mots aussi crus affirmant l’échec du pouvoir de Libreville. Un réquisitoire à peine voilé qui aura surpris plus d’un. Voici ce que Christian Kerangall écrit dans son livre : « Ali prend les rênes du pouvoir et veut innover. Il lance le Plan Stratégique Gabon Emergent (PSGE). Louable intention. Onze ans plus tard, comme au cours des onze dernières années d’Omar Bongo, rien de concret n’en est sorti ». Dis donc ! Alors là, on croirait Jean Ping faire ce constat.

Une chose est d’échouer, l’autre est d’échouer comme son père. En 2009, en effet, Ali Bongo considère, critiquant au passage son père, que le Gabon a beaucoup d’argent que le pays gaspille. Il tempête : « Il faut arrêter ça, il faut arrêter ça ! » Oui, mais on se rend compte avec agacement qu’il n’a pas « arrêté ça ». Même si la référence n’est pas explicite, Christian Kerangall fait allusion à la « Budgétisation par objectif de programme » (BOP), la réforme avortée de la gestion des finances publiques. Malgré l’argent dépensé en vrac, la BOP a été abandonnée en 2017, trahissant l’incapacité d’Ali Bongo à réformer les mentalités des Gabonais et à redresser le pays. En lui ne demeure qu’une brûlante ambition d’architecte aux compétences malheureusement limitées. « De 1998 à 2009, Omar Bongo n’a pas réussi à faire émerger le Gabon. De 2009 à 2020, Ali n’a pas fait mieux ». Et toc !

L’échec d’Ali Bongo

Malgré les richesses du Gabon, les Gabonais vivent dans des
conditions inhumaines.

Toutefois, par prudence ou par ruse, Christian Kerangall préfère mettre cet échec sur le dos des « Mousquetaires ». Ainsi désigne-t-il les collaborateurs du chef de l’Etat, lesquels ont attendu quatre mois pour signer le décret qui le faisait Haut-Commissaire chargé de diriger le Comité d’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football (Cocan) en 2010. Ce sont eux qui seraient à l’origine de l’échec d’Ali Bongo, notamment parce qu’ils auraient perdu le sens du bien collectif. Il répond ainsi à une question des journalistes : « Les mousquetaires doivent le servir, et servir le pays, et non se battre en eux. On a perdu le sens du bien collectif, du travail d’équipe, des valeurs. La politique et le miang y sont pour l’essentiel responsables. On est, de plus, déchiré entre plusieurs modèles institutionnels qui ne sont pas forcément le reflet de nos cultures. Il nous faut dessiner collectivement un modèle institutionnel qui corresponde à nos manières de bien vivre ensemble. Sans vouloir à tout prix, et bien souvent par pression extérieure, adopter un être hybride à nos conceptions ».

Christian Kerangall énumère ici les péchés capitaux des collaborateurs d’Ali Bongo, lui-même responsable de ses différents castings. Des disputes internes, l’idolâtrie de l’argent, l’instrumentalisation du chef de l’Etat, l’incohérence des modèles institutionnels, une porosité des cultures, des hybridations inconséquentes, un manque de souveraineté puisque le pays cède souvent aux pressions extérieures. En témoigne, la révision du Code civil où les législateurs dépénalisent l’homosexualité et débranchent l’homme de sa fonction de chef de famille. En témoignent aussi, au sujet du « miang », les détournements massifs des deniers publics.

Comment épargner Ali Bongo des fautes dont il est le premier – et pas le seul –  responsable ? Conscient de la gravité de ses propos, le milliardaire ajuste son raisonnement : « … ce ne sont pas nos deux présidents qui sont mis en accusation, mais les raisons pour lesquelles ils ne peuvent réussir à faire décoller le pays ». Et voilà ! « … ils ne peuvent réussir à faire décoller le pays ! ». Peut-on être plus clair que Kérangall ? Assurément non ! Pourtant, les journalistes, qui n’ont pas l’air de saisir la profondeur de la pensée de Kerangall, s’obstinent à demander : « Selon vous, que faut-il changer dans la gouvernance actuelle du pays pour espérer un véritable décollage économique ? ». Ils voient la nécessité d’un changement dans la gouvernance actuelle quand Kerangall dit que cette gouvernance ne peut pas faire décoller ce pays. C’est d’ailleurs en substance le contenu de son entretien : la magistrature de l’enfant-roi est celle des promesses en l’air.

Les Gabonais et tous ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour lire, se rappellent que peu après son « élection » en 2009, Ali Bongo avait promis un Gabon émergent à l’horizon 2025 ! L’an supposé de grâce 2025 se profile, mais comme le dit Kerangall, rien de concret n’est encore sorti de terre. Ce qui rend plus que pertinente la question d’une confiance reconduite au président sortant. Faut-il renouveler le mandat de quelqu’un qui n’a pas les compétences de ses envies, n’a rien fait en onze ans, ne sait pas choisir ses collaborateurs ? L’homme d’affaires ne peut s’exposer jusque-là mais, pour lui, la messe est dite.

Le seul succès que Kerangall partage allègrement, c’est celui des deux CAN (2012 et 2017). Ainsi donc, Kerangall réussit, tandis qu’Ali Bongo échoue. Qu’est-ce qu’il faut changer dans la gouvernance actuelle ? Réponse : l’homme, celui qui se dit chef actuel. Ceci est d’autant plus éloquent que c’est un homme d’affaires réputé ayant travaillé avec Ali Bongo qui le dit. Lorsqu’un opposant ou un leader de la société civile affirme de telles vérités, on le taxe immédiatement de mauvaise foi, d’aigreur, de frustration, etc. Est-ce le cas de Kérangall ? Aux émergents d’éclairer notre lanterne sans se disputer encore entre eux !

Vichanie Mamboundou

 

Article du 14 juin 2022 - 11:49am
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