Millot Lambert Mouvinde : « L’absence d’entretien, le trafic des grumiers et l’incivisme dégradent le réseau routier »

Par Nicolas NDONG ESSONO / 20 juil 2022 / 0 commentaire(s)

 

Depuis la fin de l’ère Zacharie Myboto, quand la circulation des véhicules se faisait encore en toutes saisons, les dépositaires de l’autorité de l’État se refusent souvent à l’explication technique des rouages et démembrements de leur domaine de compétence. Loin des clichés du fonctionnaire allergique aux médias libres, le directeur général de l’entretien routier a accepté de répondre à notre sollicitation. Dans cet entretien fleuve, Millot Lambert Mouvinde, carte routière en main, nous édifie sur le réseau routier national, alors que la période des vacances voit les Gabonais affluer sur les routes. Lecture !

Gabonclic.info : Sevrés d’une compagnie aérienne nationale, rebutés par les incessants retards de train, la majorité des voyageurs optent pour la voiture. Or, c’est tout sauf une partie de plaisir de se déplacer d’un coin à un autre au Gabon. Comment expliquer la dégradation du réseau routier, notamment entre Kango et Bifoun, Bifoun-Ndjolé, Ovan-Makokou, Makokou Okondja-Franceville, Lastoursville-La Lopé-Ndjolé, pour ne prendre que ces exemples-là ?

Millot Lambert Mouvinde : Les causes de dégradation des axes routiers précités sont multiples :

  • (Entre Kango et Bifoun, puis Bifoun-Ndjolé). Ces tronçons routiers ont été construits et livrés en 1996, et les chaussées ont été dimensionnées pour durer 15 ans. Nous notons donc que ces routes ont actuellement 26 ans, largement au-delà de l’âge requis. En outre, ces axes routiers n’ont pas connu des entretiens courants et périodiques de manière régulière et consistante, faute de programme mais surtout de budget pour exécuter les tâches des différents entretiens. Entre la mise en service (en 1996) et maintenant, le trafic poids lourds sur ces tronçons de route a augmenté de façon exponentielle. En somme, le vieillissement de la chaussée, le manque d’entretiens courants et périodiques réguliers, puis l’important trafic de poids lourds (grumiers et véhicules de transport de manganèse) dont les charges aux différents essieux des véhicules sont parfois très au-delà de celles autorisées, constituent les principales causes des dégradations observées sur la route (bitumée) partant de Kango jusqu’à Ndjolé.
  • Les tronçons de routes Ovan-Makokou, Makokou-Okondja-Franceville, Lastoursville-La Lopé-Alembé sont en terre. Le tronçon de route Ovan-Makokou particulièrement avait connu un début des travaux d’aménagement, mais qui se sont arrêtés en octobre 2015. La plupart des ouvrages hydrauliques construits sur ledit tronçon (ponts et buses) sont provisoires ou en bois, et n’ont plus été remplacés ou réfectionnés depuis plusieurs années.

Les travaux d’entretien routier courant ou de maintien d’UNI (Ensoleillement Mécanisé, Rechargement Général ou Partiel, Remise en Forme, Reprofilage Rapide, réparation des ouvrages provisoires, Ensoleillement Manuel) ne sont plus exécutés conformément aux procédures élaborées au moment de l’exécution du PTER (Programme Triennal de l’Entretien Routier) depuis 2010, lors de la création de l’ANGT.

La dernière acquisition des matériels et engins de Génie civil pour l’ensemble des équipes des Subdivisions et Directions Provinciales date de 2009. À ce jour, le taux de disponibilité des matériels (en marche) ne dépasse pas 50%.

En outre, ces tronçons de route enregistrent un fort trafic des grumiers et autres gros porteurs qui roulent parfois pendant ou juste après la pluie, occasionnant ainsi la formation de bourbiers.

Eu égard à ce qui précède, on peut expliquer la dégradation des tronçons de routes ci-dessus définis par : l’absence d’entretien routier courant par manque de matériels et engins de génie civil adéquats et suffisants ; le trafic important des grumiers et autres gros porteurs ; l’incivisme des conducteurs s’entêtant à rouler pendant ou après intempérie.

Les travaux de la Transgabonaise ont été lancés en septembre 2020 sur le tronçon allant du PK 50 au PK 75. Comprenez-vous le scepticisme des Gabonais qui doutent de l’inauguration de ce projet en 2023, comme initialement convenu ? Autrement dit, concrètement, à quel niveau se situe l’avancement des travaux ?

Les Directeurs Généraux des Études des Infrastructures, et des Grands Travaux d’Infrastructures se feront une joie de vous répondre. Toutefois, je note que les travaux avancent et les délais seront respectés.

Les Gabonais, habitués à explorer le curieux et l’insolite de chaque décision gouvernementale, se demandent comment peut-on réhabiliter les aéroports plutôt que les routes qui sont le canal de transport le plus emprunté.

Je ne saurais répondre.

Le 13 octobre 2016, parmi les mesures prioritaires des 100 premiers jours du gouvernement de feu Issoze Ngondet, figurait la finalisation des travaux de l’axe Ovan-Makokou (98km). Pourquoi ce tronçon ne connaît-il aucune amélioration ?

La réponse à cette question peut être apportée par le Directeur Général des Grands Travaux d’Infrastructures.

Existerait-il un programme directeur définissant les priorités en matière d’infrastructures ? Et quels en sont, éventuellement, les critères de définition des priorités ?

Au niveau de la Direction Générale de l’Entretien des Routes et Aérodromes (DGERA) nous élaborons des programmes d’entretien des routes en terre. Ces programmes peuvent être pluriannuels, annuels ou d’urgence.

Les principaux critères de l’élaboration de ces programmes sont définis dans les procédures de l’entretien routier (fréquences d’exécution des tâches de l’entretien courant, les disponibilités des matériels et engins, des ressources humaines puis des moyens budgétaires, etc.).

Les priorités prises en compte dans les programmes sont l’entretien des routes classées (Nationales, Provinciales et Départementales) et la réalisation des travaux de traitement des interruptions de trafic et résorption des points noirs.

En 2021 un programme dit Programme d’Entretien Routier d’Urgence en Régie (PERUR 2021) a été élaboré et s’est exécuté. Pour l’année 2022 un programme est en cours d’exécution.

Depuis votre nomination le 23 mars 2021 à la tête de la Direction Générale de l’Entretien routier et des aérodromes, sur quels axes routiers avez-vous assuré l’entretien ? Et qu’est-ce que cela représente en distance ?

Les missions de la Direction Générale de l’Entretien des Routes et Aérodromes sont, entre autres, l’exécution des travaux d’entretien à travers les équipes des Subdivisions et Directions Provinciales (la Régie Administrative) et le suivi des marchés des travaux attribués aux entreprises, à l’issue d’un appel d’offres lancé par le Ministère des Travaux Publics, de l’Équipement et des Infrastructures.

Depuis ma prise de fonction les équipes de la Régie exécutent les différents travaux d’entretien courant sur plusieurs axes routiers (la liste des axes est longue) dans les neuf Directions Provinciales.

Actuellement, faute de moyens matériels et engins de génie civil adéquats et suffisants, ces équipes n’exécutent que des travaux de Remise en Forme ou de Reprofilage Rapide. Ces travaux représenteraient un peu plus de 1000 kilomètres.

Concernant les chantiers confiés aux entreprises privées, je fais poursuivre l’exécution des travaux de Rechargement Général (RG) qui représentent plus de 500 kilomètres. Les chantiers sont localisés dans les Directions Provinciales de l’Estuaire, du Haut-Ogooué, du Moyen-Ogooué, de l’Ogooué-Ivindo, de l’Ogooué-Lolo et du Woleu-Ntem.

Trouvez-vous acceptable qu’un voyageur ou un automobiliste gabonais quittant Libreville pour Makokou, Mimongo ou Mouila, rencontre des ponts instables et autres dangers fréquents sur certains axes routiers sans panneaux de signalisation ni garde-fous ?

La mise en œuvre d’une signalisation (verticale) sur les routes et la réfection ou le remplacement des dispositifs de sécurité d’un ouvrage définitif (pont en BA) est tributaire de l’élaboration d’un programme, mais surtout de la disponibilité d’un budget pour le financement des travaux.

Ensuite, pour les panneaux qui existent encore il faut les nettoyer. L’absence de ces dispositifs de signalisation sur les routes peut constituer naturellement une cause d’accident des usagers.

Des ingénieurs et techniciens des bases des Travaux publics sont abonnés au travail buissonnier, alors qu’ils sont régulièrement rémunérés. Êtes-vous informé que plusieurs parmi ces compatriotes se plaignent et voudraient donc retrouver un travail ?

 

Les Directions Provinciales et les Subdivisions des Travaux Publics emploient aussi bien les agents fonctionnaires (ingénieurs et techniciens) que les agents de la Main-d’œuvre Non Permanente qui sont plus nombreux. Outre les agents employés dans l’Administration, la majorité exerce les métiers de chauffeurs de camions, conducteurs d’engins, mécaniciens, électriciens, soudeurs, vulcanisateurs, manœuvres, etc. En l’absence de camions et d’engins dans certaines unités territoriales des Travaux Publics, certains opérateurs s’obstinent à se rendre régulièrement dans leurs bases respectives (lieux de travail) prétextant qu’il n’y a rien à faire. Malheureusement, d’autres travaux pour ces catégories d’employés n’existent pas.

Les grumiers avaient été indexés comme de véritables destructeurs des routes. Des mesures gouvernementales avaient été prises pour réglementer le transport du bois, surtout sur le tonnage et la fréquence des grumiers. Aujourd’hui, on voit les grumiers circuler au-delà de 18 heures. Votre commentaire ?

Comme nous l’avons démontré ci-dessus, les grumiers surchargés constituent l’une des causes de dégradation prématurée, ou d’aggravation des dégradations de chaussée. La circulation de ces mastodontes au-delà de 18 heures est à mon avis dangereuse pour nous autres, usagers de la route.

Un Gabonais prend la route le matin ou le soir pour se rendre à une quelconque destination. N’existe-t-il pas un service d’information en direction de ces usagers sur l’état du réseau et du trafic routier en temps réel ?

Des renseignements sur l’état du réseau routier en temps plus ou moins réel peuvent être obtenus auprès de la Direction Générale de l’Entretien des Routes et Aérodromes (DGERA), par les voyageurs qui les sollicitent.

En effet, chaque fin de semaine les Directions Provinciales transmettent à la DGERA la « Vacation » qui contient des informations sur l’état de l’ensemble du réseau routier (les points d’interruption de trafic, points noirs, les conditions de circulation, l’avancement des travaux en Régie et en Entreprise, etc.).

À l’époque de Zacharie Myboto, les routes étaient praticables en toutes saisons. Pourquoi avoir supprimé les services d’entretien routier qui étaient naguère commis à l’entretien régulier des routes à l’intérieur du pays ?

L’entretien routier est toujours assuré par les équipes mécanisées de la Régie et les opérateurs privés auxquels on attribue les marchés des travaux à l’issue d’un appel d’offres.

Toutefois, nous notons que plusieurs facteurs concourent actuellement aux dégradations surprenantes et spectaculaires de certains tronçons routiers, dont les capacités de traitement par la Régie particulièrement sont très minimes.

Peut-on s’attendre, sans complaisance, à une reprise réelle et imminente des travaux de construction des routes à travers le territoire national ?

Une fois de plus la réponse à cette question peut être apportée certainement par le Chef du Département ministériel. Néanmoins, c’est notre vœu ardent, nous les Responsables Techniques du Ministère des Travaux Publics, de l’Equipement et des Infrastructures, mettons tout en œuvre pour offrir aux usagers de la route les meilleures conditions de circulation.

Aimeriez-vous communiquer sur un sujet que nous n’avons pas évoqué ?

Je reste à votre disposition. Merci.

C’est nous qui vous remercions.

Propos recueillis par Brandy Mamboundou

Article du 20 juillet 2022 - 11:15am
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