Que reste-t-il de 1990 ?

Par Nicolas NDONG ESSONO / 19 mar 2021 / 0 commentaire(s)
Jean Valentin Leyama

La nouvelle génération ne le perçoit pas mais de 1968, date de l’abolition officielle du multipartisme et la fondation du PDG, puis son érection en parti unique, à 1990, le Gabon a vécu sous un régime totalitaire. Sauf si elles visaient à chanter les attributs divins du monarque, les libertés publiques et individuelles étaient sérieusement encadrées. Tous ceux qui ont osé braver le régime l’ont appris à leurs dépens : la potence, la liquidation ou la prison. Il existe encore des survivants de ces épisodes douloureux pour en témoigner. J’ai le souvenir d’un symbole marquant : l’autorisation de sortie du territoire en vue de voyager à l’étranger qu’il fallait solliciter dans des conditions humiliantes auprès des services du CEDOC, devenue aujourd’hui DGDI mais dont les missions sont demeurées immuables dans la surveillance et le flicage des citoyens.

En 1990, un mouvement d’étudiants à l’Université Omar Bongo a fortement contribué à faire sauter le couvercle de cette marmite d’eau bouillante trop longtemps comprimée. La Conférence nationale convoquée dans la foulée, réunissant toutes les forces vives de la Nation, a imposé au pouvoir l’adoption et le respect des normes universelles de la vie commune, résumées en un mot : démocratie.

S’en sont suivies des élections législatives au cours desquelles le PDG ne l’a emporté que d’une courte tête, instaurant un débat équilibré à l’Assemblée nationale, le gouvernement du Premier ministre Casimir Oyé Mba a survécu à plusieurs reprises, de justesse, à des motions de censure.

La « Paix des Braves ».

Puis vint, fin 1993, l’élection présidentielle, laquelle a inauguré la série des hold-up électoraux, marquée par des troubles qui ont ébranlé l’unité de la nation. Saisissant au bond, un appel à la « Paix des Braves » lancé par un opposant historique, Pierre-Louis Agondjo Okawé, le président de la République, Omar Bongo, consentit à convoquer, aux bords de la Seine, une concertation politique entre sa majorité et l’Opposition. Celle-ci a débouché, en 1994, aux « Accords de Paris », lesquels ont fixé, dans la Constitution et différents textes de loi, l’architecture institutionnelle actuelle, les conditions d’organisation des élections et réaffirmé le respect des libertés fondamentales telles qu’elles sont énoncées universellement, sans lesquelles la démocratie ne saurait exister.

Puis progressivement, comme si ces avancées n’avaient été concédées que sous la pression, le pouvoir a entrepris par l’argent et les nominations à affaiblir l’opposition. Ainsi, d’une élection à une autre, le PDG a renforcé sa majorité en usant des moyens financiers et administratifs de l’Etat.

L’arrivée à la magistrature suprême d’un acteur majeur de la démocratie en 1990, chef de file du courant dit des « Rénovateurs du PDG », ainsi appelés en opposition aux « Caciques du PDG », accusés par les premiers de vouloir maintenir l’ordre ancien, a suscité d’immenses espoirs. Le programme politique et économique du nouveau président – l’Emergence – a séduit au-delà du PDG.

Sur le plan de la démocratie, l’euphorie s’est vite transformée en désillusion.

Toutefois, sur le plan de la démocratie, l’euphorie s’est vite transformée en désillusion. Qu’il s’agisse de l’organisation des élections, des libertés publiques et des standards internationaux dans ces domaines, par rapport à 1990, le pays a enregistré un recul considérable. Tout est interdit, rien n’est autorisé. Toute velléité de contestation est durement réprimée. La Liberté d’expression reste désormais cantonnée sur les réseaux sociaux. Même la liberté de presse, une liberté emblématique, mesurée par Reporters Sans Frontières demeurent désormais une fiction, tant les sanctions qui frappent les journaux ou leurs éditeurs ont sérieusement contribué à la mort et la disparition de plusieurs titres.

L’arrestation et l’incarcération récentes des jeunes initiateurs du mouvement dit du « Concert des Casseroles », accusés, excusez du peu, d’atteinte à la sûreté de l’Etat (!), a achevé de convaincre définitivement que toute sonorité discordante est désormais interdite. Cette situation rappelle les cas du trio formé par Marc Ona Essangui, Georges Mpaga et feu Grégory Gbwa Mintsa, arrêtés en 2008 pour atteinte à la sûreté de l’Etat, accusés d’avoir détenu (!) une lettre ouverte écrite par Bruno ben Moubamba contre le président Omar Bongo, laquelle dénonçait la gouvernance du pays.

Fort heureusement, une rapide mobilisation intérieure – dont le rédacteur des présentes lignes avait pris la tête - et la pression internationale ont contribué à leur élargissement sans jugement. Pour mémoire, atteinte à la sûreté de l’Etat, c’est une cour spéciale et ça va chercher entre 15 et 20 ans. Pour avoir appelé à taper sur une casserole chez soi en vue de protester contre les effets mortifères du couvre-feu sur le quotidien des populations les plus vulnérables, c’est cher payé. Sauf sursaut des magistrats qui ont souvent une inclinaison à oublier qu’ils rendent la justice au nom du peuple.

 

La Chronique de Jean Valentin Leyama

Article du 19 mars 2021 - 6:35pm
Article vu "en cours dév"

Nombre de Commentaires (0)

Faites un commentaire !