Gabon : Malinga perdue dans la forêt
Au-delà des gesticulations de Manf 10, cette partie de notre pays est une zone complètement oubliée. Une réalité qui renvoie les thuriféraires de la Ngounié forte à leur propre conscience, car c’est un slogan qui ne veut rien dire pour les populations du cru. La Ngounié sud, c’est l’obscurité. Dans le carnet de route, ci-après, notre reporter convie les autres Gabonais à la découverte…d’un destin improbable, mais l’avenir ne meurt pas.
En ce temps de saison sèche, la route au gravier qui conduit à Malinga par Bongolo est praticable. A certains endroits, l’automobiliste peut se permettre de conduire à 90Km/heure. Ce n’est pas le cas en passant par Mbigou. Les cratères de la route serpentée font abandonner toute envie d’aventure en voiture, seuls les piétons ont les pieds tenaces pour affronter les sinuosités d’une route qui n’a pas cessé de se dégrader devant l’indifférence des Travaux publics. On arrive donc à Malinga, département de la Louetsi-Bibaka par deux voies et l’on peut croire que cette bourgade n’est pas enclavée. Quand on a dit cela, on croirait que Malinga est une ville exotique où le colonisateur trouverait quelques gens portant du cache-sexe en raphia ou en quelques matières naturelles, des gens qui bricolent la langue française, des gens qui prennent, au petit-déjeuner, du taro avec l’huile de palme épicée au sel… De tout cela, il n’en est rien. Malinga est dans la sauvagerie de la modernité, une ville dont aucune politique n’a réussi à installer les instruments de la modernité.
La carte postale.
La dénomination administrative est importante. Un département est une ville d’au moins 3000 habitants et qui appelle des infrastructures scolaires, hospitalières et des infrastructures ministérielles déconcentrées. Ce qui frappe au premier regard à Malinga, c’est l’état de dénuement général que renvoie la bourgade. Partout l’herbe cohabite avec les hommes, les habitations rappellent des jours de misère, les routes sont là sans bitume. La ville commence à la Place de l’Indépendance. La structure a l’air neuve. En face, la préfecture mérite une cure de jouvence tandis que la mairie l’a fière allure. Devant, dans cette continuité de la voie principale, à gauche, un marché. Il n’y a rien qui régale le regard et le ventre peut s’en retourner affamé. Dans cette allée, deux ou trois bars de gauche à droite, une alimentation générale. Et puis, plus rien. Derrière la préfecture, deux maisons d’allure moderne qui logent, à droite, le préfet, et à gauche, le député Philippe Nzengue Mayila.
La misère au cœur de la vie
Ravitaillés par le Congo, les Malinois mangent comme ils peuvent. S’il n’y a pas d’abondance, on ne meurt pas de faim ici. Mais la localité, qui devait être pourvue d’infrastructures administratives pour mériter le statut de « département », souffre de tellement de carences. Parmi elles, l’eau et l’électricité. Est-il seulement imaginable qu’une ville de plus de 3000 habitants puisse manquer d’eau potable alors que les eaux de la Louétsi et de Bibaka nourrissent des pans entiers de terres arables ? L’eau ne manque pas. C’est le circuit de distribution d’eau qui manque. Alors, des petits commerces de vente d’eau ont fleuri, les vendeurs allant puiser l’eau au bout de la ville. Question : pourquoi la SEEG ne sert pas l’eau aux Malinois ? Même l’électricité qui est quand même distribuée, l’est selon les variations d’humeur d’on ne sait quel sorcier de la ville.
Au collège bâti à l’entrée de la ville, entendez bien, il n’y a que trois enseignants affectés par l’Etat. Au temps du Coronavirus, alors que le gouvernement apportait la vaccination, les élèves avaient dit niet. Ils réclamaient les enseignants. Depuis lors, le principal du collège, Bango Pedi A., cherche des formules avec la municipalité pour trouver à l’établissement des enseignants manquants. Et que dire de l’hôpital ? Dissimulé derrière la Préfecture à l’extrême droite, le petit bâtiment qui se désigne « Centre de santé » est une vraie cabane. Autant dire que Malinga n’a pas d’hôpital. Pour les cas graves, les Malinois se rendent à l’hôpital de Bongolo ou à l’hôpital de Lébamba.
Chômage
Ce n’est pas ici que peut prospérer le slogan « d’autoentrepreneur », les Malinois le sont presque naturellement, puisque nombreux vivent de leurs propres ressources, aussi infimes soient-elles. L’agriculture vivrière est donc la pratique la plus répandue. Depuis deux ans, une société d’exploitation aurifère creuse la terre malinoise pour empocher l’or. Des hommes en treillis sont là pour sécuriser l’exploitation car les Malinois avaient contesté cette exploitation. Ils sont nombreux à se demander à qui appartient cette société et qui « mange » donc l’or des Malinois. D’autant plus qu’elle n’emploie personne, pas plus qu’elle ne reverse à la mairie le moindre Fcfa issu de cette exploitation. Beaucoup de rumeurs à ce sujet. La société d’exploitation forestière n’abrège pas non plus le chômage des Malinois. De toute façon, de Lébamba à Malinga, il y a des villages qui fournissent la main-d’œuvre à ceux qui exploitent le bois. Seul bénéfice de la présence de cette société, la route qui a été reprofilée pour faire passer les grumiers.
Citoyenneté et état civil
Face à tous ces handicaps, la ville a basculé côté opposition en 2018 ; les populations ayant suivi Philippe Nzengue Mayila, démissionnaire du PDG quelques années plus tôt. Etait-ce le fait d’avoir trop attendu pour rien ? Des promesses jamais réalisées ? En tous les cas, les Malinois ne semblent plus être séduits par les discours du Parti au pouvoir. Ainsi, le député, le sénateur et le maire sont-ils de l’opposition, tous émargeant chez Les Démocrates. Là-bas, ils aspirent à l’alternance. Cette route est amorcée.
Or nombreux parmi eux, dans la contrée, n’ont pas d’acte de naissance pour multiples raisons. Un travail de collecte des situations a été fait par le maire à l’initiative du ministère des Affaires sociales. Mais, à ce jour, alors que les dossiers ont été convoyés à Mouila, le silence répond aux inquiétudes du maire. Des centaines de natifs gabonais n’ont pas d’identité gabonaise parce qu’il leur manque la pièce d’état-civil. C’est un drame social.
La Ngounié forte existe-t-elle ?
La Ngounié est sans doute, après le Haut-Ogooué la plus grande province administrative du Gabon. Elle est subdivisée en deux pôles : la Ngounié nord et la Ngounié Sud. Au Nord, elle comprend Mouila, Fougamou, Mandji, Sindara, Guiétsou. Au Sud, elle comprend Ndendé, Lébamba, Ndzendzélé, Mbigou, Malinga et Mimongo. Sous Ali Bongo, Manf 10, alors au ciel de sa puissance, avait annoncé avec tintamarre la « Ngounié forte ». Comme souvent au PDG, il s’agissait d’amorcer un mouvement d’union des fils et filles de la Ngounié pour soutenir la politique d’Ali Bongo et en tirer des dividendes en termes d’infrastructures du développement. Mais le résultat est celui que tout le monde voit : zéro pointé ou du moins seul Manf 10 et ses « sujets » peuvent se réjouir de l’amélioration de leurs conditions de vie. Mais bon, passons !
La route emmène le développement. La Route nationale passant par Fougamou, Mouila, Ndendé et Lébamba a été bitumée, une partie sous Omar Bongo et l’autre partie sous Ali Bongo, le fils ayant succédé au père en 2009. Mais les routes départementales conduisant à Sindara et à Mandji n’ont guère vu le bitume. Peut-être que l’arrivée prochaine dans la contrée en politique d’Urbain Yenault-Longa, actuellement cadre à la Comilog, changera quelque chose. Au sud, le bitume s’arrête à Lébamba, grâce à l’exploit de Flavien Nzengui Nzoundou, alors ministre des Travaux publics. Mais la ville n’est pas bitumée.
Au sud, le sous-développement est galopant tandis qu’au nord, le régime limite les dégâts. Alors, la Ngounié forte l’est au nord, là où l’on trouve la famille Maganga Moussavou, les Lucie Milebou et Léon Armel Bounda Balonzi, etc. Au Sud, seul Yves Fernand Manfoumbi existe. Serait-il, lui, la Ngounié Sud et la Ngounié forte ? Rien n’est moins sûr. Ministre du commerce et des PME, il est élu des populations de la Dola. Il s’arrête donc à Ndendé.
Au regard du sous-développement caractéristique de la Ngounié Sud, une zone complètement oubliée, nul ne peut parler de la Ngounié forte, car c’est un slogan qui ne veut rien dire pour les populations de cette partie du territoire national. La Ngounié sud, c’est l’obscurité. La lumière pourra-t-elle venir de Malinga ? C’est là aussi un destin improbable, mais l’avenir ne meurt pas. Attendons.
De notre envoyé spécial Dess Bombe
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