Alexandre Barro Chambrier : « Oui, pour le Gabon je rêve grand. Mais cela ne m’empêche pas d’être réaliste, contrairement à Ali Bongo Ondimba qui se mue en marchand de rêves »
La voix est posée, le ton sûr et le geste mesuré. Quand il nous reçoit chez lui, dimanche dernier, avant de se rendre à l’église pour implorer le Tout-puissant. Quoi de plus normal, pour un homme qui aspire à diriger le peuple, que de constamment demander à la Divinité de l’inspirer, comme ce fut le cas avec Salomon, lorsque Dieu s’est révélé à lui pour le bénir selon ses désirs. C’est donc dans son bureau tapissé de livres, que le président du RPM nous met tout de suite à l’aise et installe, avec une rare courtoisie, ses interlocuteurs. Avant de dérouler la très riche actualité, notamment la rentrée politique de son parti, la prochaine rentrée des classes. L’ancien député nous fait admirer quelques pièces de sa collection d’art, en amateur éclairé qui sait juger des choses de l’esprit. Après une boutade sur le discours du chef de l’État, ABC se laisse aller au jeu des questions-réponses. Lecture !
Gabonclic.info : Lors de son adresse à la Nation, du 17 août passé, le président de la République, Ali Bongo Ondimba, a conclu en disant : « Je ne vous abandonnerai jamais ». Votre commentaire ?
Alexandre Barro Chambrier : Oui, j’ai entendu cela, avec la même réaction de stupéfaction et d’indignation que la majorité des Gabonais. Ali Bongo nous a habitués aux envolées lyriques et aux slogans creux, car aussi bien ses actes que ses paroles défient la réalité. Ce ne sont pas les annonces démagogiques répétées qui changeront quelque chose à cette réalité. En treize ans de magistrature, Ali Bongo Ondimba n’a pas su répondre aux attentes de nos compatriotes, victimes par milliers d’un régime insensible aux préoccupations du peuple.
Il prétend, au niveau de l’éducation nationale, fournir vingt mille (20.000) nouvelles places, dont dix mille (10.000) lors de la rentrée scolaire 2022. Sa volonté de tromper l’opinion est telle qu’au lieu de parler de salles de classe, il parle plutôt de places, voulant faire prendre des vessies pour des lanternes. Les problèmes de l’éducation sont récurrents et vont au-delà de simples places. Il porte également sur de nombreux autres aspects, telle la situation des enseignants et des outils didactiques qu’il est incapable de résoudre depuis plus de dix ans.
Depuis des années, plusieurs quartiers de Libreville sont privés d’eau courante, sans explication, pendant que le Palais organise des feux d’artifice coûtant des milliards de FCFA. Je reviens de l’intérieur du pays, et croyez-moi, le sentiment d’abandon des zones rurales est plus que jamais omniprésent.
Pourtant, Ali Bongo Ondimba se dit fier du travail accompli. Qu’en dites-vous ?
L’autosatisfaction d’Ali Bongo ne change rien à la situation réelle vécue par les Gabonais. C’est triste d’entendre des propos tels que : « Notre pays a énormément progressé ». Aucun indicateur fiable ne peut venir en appui du tableau fantaisiste qu’Ali Bongo Ondimba dresse de ses treize années à la tête du Gabon. A moins qu’il n’exprime carrément sa méconnaissance du Gabon et de sa population. Il doit être confronté à son bilan qui est négatif. Ou mieux, il n’a aucun bilan. La situation du pays s’est énormément dégradée dans tous les domaines : santé, routes, emplois, les soldes des retraités, la cherté de la vie. À la veille de chaque élection, il nous ressort le même vieux dossier de Belinga pour séduire les Gabonais, en faisant miroiter la création de milliers d’emplois.
Aujourd’hui, Ali Bongo se satisfait de son prétendu leadership en matière d’environnement, pour faire croire à un rayonnement au niveau international, alors qu’il est absent des grands rendez-vous aux niveaux régional et sous régional. Qu’a-t-il fait pour le climat, pour en être le leader ? Une démagogie de plus.
N’êtes-vous pas de ceux qui aiment « rêver grand » ?
Oui, pour le Gabon je rêve grand. Mais cela ne m’empêche pas d’être réaliste, contrairement à Ali Bongo Ondimba qui se mue en marchand de rêves. Ce qui est gravissime, car il finit par ressembler à un publicitaire qui voudrait « vendre » son image aux Gabonais. Or, ce n’est pas dans ce rôle qu’il est attendu, mais dans celui d’un dirigeant courageux qui assume les imperfections et les limites de son œuvre, et trace la suite à donner à celle-ci.
Dans votre discours du 17 août, vous projetez d’engager le Gabon dans la voie des réformes.
Effectivement, il faut de toute urgence sortir de l’immobilisme et des incantations dont nous a gorgés le pouvoir actuel. Ce régime sans inventivité s’est rapidement sclérosé, au point de se répéter d’année en année sans jamais matérialiser en investissements concrets la manne financière issue de la vente de nos précieuses ressources. Pour sortir de cette inertie pesant sur l’ensemble des leviers politiques, institutionnels, économiques et financiers, je ne vois pas d’autre voie que celle des réformes, audacieuses et indispensables. Le bon sens et les circonstances l’imposent d’ailleurs.
Vous estimez également que le bonheur et la prospérité des Gabonais passent par la rupture avec le système actuel.
C’est l’évidence même ! Sauf à se complaire dans le déni total, les Gabonais n’ont jamais été autant malheureux de toute leur histoire. Ali Bongo Ondimba n’a plus rien à proposer. Avec du recul, il n’a d’ailleurs jamais eu de réelle ambition pour le Gabon, depuis sa prise de pouvoir en 2009. Tant que l’amateurisme qu’il incarne et l’improvisation qu’il pratique mèneront le Gabon, la désolation et la misère sont certaines de perdurer. Les Gabonais en sont conscients, je l’ai vérifié en sillonnant le territoire et par les lamentations de nombreuses personnalités proches du pouvoir, aujourd’hui désabusées. Il est du devoir de tous ceux qui aiment ce pays de faire en sorte de briser le joug de cette machinerie rouillée.
Que retenez-vous de vos rencontres avec vos compatriotes dans la Ngounié, la Nyanga et l’Ogooué-Lolo ?
Je voudrais d’abord remercier les populations pour l’accueil chaleureux reçu. Je me suis senti chez moi partout où je suis passé, et cela réjouit le Républicain que je suis. De ce tour du Gabon, entamé il y a déjà un an, je retiens pour les étapes de la Ngounié, la Nyanga, de Gamba et de l’Ogooué-Lolo une grande aspiration au changement, comme partout ailleurs. Elle se traduit par la lassitude de nos compatriotes, fatigués par les mêmes rengaines du PDG, et l’incrédulité générale face à l’impuissance du pouvoir en place, incapable de répondre aux besoins les plus élémentaires des Gabonais. Au cours des échanges francs que j’ai eus, j’ai pu mesurer la désillusion ambiante et le rejet du régime en place. Je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur en me rappelant les sordides conditions de vie dans lesquelles vivent ces Gabonais. Ce qui me fait dire que le Gabon a besoin, d’urgence, d’un nouveau départ.
La mobilisation a-t-elle été à la hauteur de vos attentes ?
J’ai été plutôt surpris de voir combien mes concitoyens étaient impatients de me rencontrer, au vu de leur ferveur et de leur mobilisation. Je peux même dire que je me suis senti privilégié par l’hommage renouvelé que j’ai reçu à chaque étape. En communiant avec mes compatriotes de l’arrière-pays, j’ai pu prendre la mesure de l’espérance et de l’optimisme qui habitent les cœurs, en dépit de la sinistrose entretenue par le pouvoir. Dans les villages, même les personnes du troisième âge ont bien voulu assister à mes causeries. J’ai été touché et honoré.
Il n’y a pas eu d’incidents cette fois…
Je vois où vous voulez en venir. Non, cela s’est bien passé, nous n’avons pas enregistré de guet-apens ou de coupure de route. Vous savez, ce qui s’est passé à Okondja il y a un an, devrait être l’exception. Pour ma part, j’ai tiré un trait sur ces événements malheureux et j’appelle leurs auteurs et leurs commanditaires, d’ailleurs bien connus, à faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Ce qui est certain, c’est que jamais, si je suis aux affaires, je ne laisserai stigmatiser quiconque en raison de ses opinions ou convictions, qu’elles soient philosophiques, politiques ou religieuses. Au nom de mon éducation et en raison de la vision de la société qui est la mienne, je ne saurais tolérer de telles dérives.
On a le sentiment que la violence s’est institutionnalisée.
Hélas, le constat ne vous aura pas échappé. Les Gabonais subissent la violence sous de multiples formes, et l’État ferme les yeux, quand il n’est pas lui-même à la manœuvre comme en témoigne le sort réservé aux retraités. Cela est inadmissible. Tout comme je condamne les procédures arbitraires qui maintiennent injustement Jean-Rémy Yama ou Bertrand Zibi Abeghé en prison. Tout cela démontre que notre République vit désormais sous la loi du plus fort et donc de l’arbitraire.
Cette violence n’est-elle pas aussi politique, quand on voit la guerre des chefs au sein de l’Union nationale, les querelles de leadership avec Jean Ping, etc. ?
N’exagérons rien. A mon sens, il n’existe pas de violence dans les rapports entre responsables de l’opposition. Bien que, par essence, la politique implique des rapports de compétitions, la force du combat politique réside avant tout dans les idées qu’on défend, ou qu’on voudrait faire accepter par le débat. Si nous importons la violence dans le champ politique, rien de bon n’en sortira, au contraire nous courrons vers le chaos. Pour ma part, j’ai toujours veillé à entretenir des relations de courtoisie avec les uns et les autres. Nous portons chacun une ambition élevée pour notre pays, à chacun de creuser son sillon et de faire valoir ses idées, dans le respect de l’autre et de l’image que nous devons renvoyer aux Gabonais qui nous regardent.
Revenons au discours d’Ali Bongo Ondimba. Au sujet de l’inflation, il annonce une série de mesures afin de freiner la hausse des prix et réduire le coût de la vie. En êtes-vous convaincu ?
Tout ceci manque de crédibilité, de visibilité et de réalité. Il ne suffit pas de dire que l’État a injecté des milliards ou subventionné tels produits, puisque les produits de grande consommation coûtent toujours cher et les Gabonais ne parviennent plus à faire face à cette inflation galopante. Au lieu des mesurettes annoncées, le gouvernement devrait s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, où de fermes mesures sont prises comme bouclier contre la vie chère.
L’État gabonais agit comme s’il était en faillite…
C’est une posture qui ne fait pas honneur à notre pays. Normalement, nos finances publiques devraient afficher une santé florissante. Depuis un an, le prix du baril de pétrole dépasse les 100 dollars US, ce qui induit que le Gabon a engrangé beaucoup d’argent, comme l’a confirmé la loi de finances rectificative. Il est difficile de comprendre que cette plus-value pétrolière n’ait pas d’effet sur notre économie, toujours aussi atone, avec un taux de croissance du PIB qui stagne autour de 2, 9%. En outre, notre pays continue d’emprunter auprès des bailleurs de fonds et des banques privées, ce qui n’est pas mauvais en soi, puisque les caisses de l’État sont ainsi renflouées. Cependant, cet endettement intensif – 74% du PIB, soit 4 points au-delà du seuil autorisé par les règles communautaires de la CEMAC – n’aurait de sens qu’en cas de retour sur investissement de ces fonds colossaux. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
D’une manière générale, l’état de notre économie laisse à penser que le gouvernement a perdu la maîtrise.
L’a-t-il jamais eue ? Comme un navire dépourvu de cap et sans capitaine, nos infrastructures économiques semblent subir de plein fouet une désagrégation qui fait perdre les repères. Nous avons parlé du surendettement tout à l’heure, en montrant sa stérilité quant à l’investissement. Que dire de la politique de l’emploi, cette Arlésienne que ressert Ali Bongo Ondimba à chaque fois qu’une occasion solennelle se présente ? Il n’est pas très sérieux, venant d’un président de la République, de promettre « le plein-emploi » et la création de « 100.000 auto-entrepreneurs », alors que les 10.000 emplois par an, promis il y a trois ans, ne sont pas effectifs ? Et d’abord, comment compte-t-il résorber les 110.000 pertes d’emploi causées par le Covid-19 ? Malgré la valse des ministres, le gouvernement peine à mener une vraie politique de l’emploi susceptible de dynamiser le marché du travail.
Lors de votre escale à Koula-Moutou, vous avez quelque peu refroidi vos sympathisants en affirmant n’être pas candidat. Vous y pensez quand même en vous rasant ?
Je pense qu’il est prématuré aujourd’hui de parler de candidature à la présidentielle. Non pas tant que la question soit taboue, ni même qu’elle soit gênante. Il faut faire les choses de manière méthodique, et ne pas donner la désagréable impression d’une obsession. Nous payons en ce moment le prix de cette manie obsessionnelle du pouvoir pour le pouvoir. Je suis un homme de parole, responsable de sa parole, sachant où il va et ce qu’il veut. En temps opportun, en responsable, je saurais faire la preuve de mon engagement auprès de mes compatriotes. Qu’ils ne doutent pas un seul instant de ma détermination. Et pour répondre au second volet de la question : je pense surtout à ne pas me couper (rires).
Libreville est privée d’eau courante depuis des semaines. N’est-ce pas un scandale ?
Permettez-moi de vous corriger. Non pas depuis des semaines mais depuis des années. Pour un pays d’une telle richesse et d’un potentiel inouï, de telles pénuries donnent un aperçu éloquent du niveau d’ambition du gouvernement, qui n’a besoin de personne pour faire la démonstration de sa médiocrité. Longtemps, on a rendu Veolia responsable des dysfonctionnements de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG). Depuis son départ, les choses vont de mal en pis, sans qu’on sache véritablement à quoi sert l’argent que les usagers déboursent pour la fourniture en eau et en électricité, plus calamiteuse que jamais. On parle là de la capitale du Gabon, sa vitrine ! Une ville d’environ 800.000 habitants confrontée aux mêmes difficultés d’eau, d’électricité, de voirie et de sécurité. J’apprends même que plusieurs fontaines publiques sont inopérantes : quelle calamité !
Vous pensez qu’il faudrait changer de gouvernement ?
Un énième gouvernement pour quoi faire ? Les Gabonais ne sont pas dupes, c’est le système qu’il faut changer. Peu importent les génies qu’on nommera au gouvernement, tant qu’ils ne seront que les rouages d’un système vicieux et vicié, le déclin de notre pays se poursuivra. Un regard lucide sur la gestion du Gabon montre que le sous-développement est entretenu par ce système. Du reste, Christian Kerangall a fait la preuve, en mai dernier, que l’échec d’Ali Bongo Ondimba était autant celui de ses « mousquetaires », que celui d’un système à bout de souffle. Une nouvelle équipe gouvernementale aux ordres d’Ali Bongo Ondimba ne fera pas mieux que les précédentes, quelles que soient les brillantes personnalités qui la composeront.
Si l’on comprend bien, tout va se jouer en 2023 ?
Tout se joue dès à présent. Je n’ai eu de cesse de rappeler que le rassemblement de toutes les forces, l’union et la mobilisation sont les ingrédients principaux pour terrasser le pouvoir. C’est tous ensemble que nous y parviendrons. Prendre conscience de cette exigence, chacun à son niveau, c’est accomplir la moitié du chemin. Les grandes victoires se préparent patiemment.
Justement, on ne sent pas l’opposition unie. Jean Ping fait figure d’épouvantail.
Là aussi, il serait prématuré d’affirmer que l’opposition n’est pas unie. Ne commettons pas l’erreur de tout ramener à 2016 : la donne sera autre. En ce moment, les écuries se préparent avec des stratégies propres, il existe des échanges qui ne se font pas forcément au vu de tous, des réflexions sont menées, des idées expérimentées. On va dire qu’un intense travail de laboratoire s’opère. Quant au président Ping, évitons de lui prêter telle ou telle intention, ou de le revêtir d’un costume contre son gré. Son autorité politique est indéniable, il garde mon estime et mon affection. En résumé, il est trop tôt pour juger la démarche de l’opposition, étant entendu que ses grandes figures ne se sont pas encore prononcées.
Les Gabonais vous reprochent souvent votre image. Trop lisse, selon certains, sans soutien selon d’autres.
Vous oubliez d’ajouter « fils de… » (rires). Le délit de faciès ou l’attaque ad personam existe en même temps qu’est née la politique. Il s’agit d’un procédé de déstabilisation pour discréditer un adversaire. Ceux qui me font ce procès ne me connaissent pas, ou ne m’ont jamais approché. Peut-être mon éducation a-t-elle laissé une trace durablement policée. Vais-je le regretter ? Je ne pense pas. Et puis mon parcours, scolaire, universitaire, professionnel ou politique plaide quand même en ma faveur, au sens où ma trajectoire suppose force de caractère, acharnement, abnégation et ambition. Rien ne m’a été donné gratuitement, c’est par le mérite et la détermination que je me suis construit. S’agissant du supposé déficit de soutiens à mes côtés, je trouve cela injuste vis-à-vis des nombreuses personnes de qualité que compte le Rassemblement pour la patrie et la Modernité (RPM).
Parlons de l’international, notamment la France. Boude-t-elle le Gabon ?
Je ne saurais le dire. Je note toutefois que lors de sa dernière tournée africaine, le président Emmanuel Macron ne s’est pas arrêté au Gabon. C’est un signe fort qui dépasse de loin un simple mécontentement de Paris. Depuis François Hollande, les présidents français évitent de fouler notre sol. On ne peut pas dire qu’ils aient tort, compte tenu de l’image dégradée véhiculée par Ali Bongo Ondimba. Pour ma part, j’espère que la France saura se tenir aux côtés du peuple gabonais quand il aura besoin d’elle.
Votre mot de fin ?
Je tiens à vous remercier de m’avoir ouvert les colonnes de votre journal. Mon message est un appel à l’espoir, à l’optimisme et à la fierté d’être Gabonais. Je l’adresse à l’ensemble de mes compatriotes à qui je demande de ne jamais avoir peur de demeurer debout et de croire que tout est possible si nous nous rassemblons et faisons preuve de détermination.
Propos recueillis par Vichanie Mamboundou
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