Jean-Pierre Akombi : « La déculturation des élites est à l’origine de certaines dérives observées dans la gestion de la chose publique »
Auteur du Livre « Conter le monde », paru aux Editions Symhonia (Abidjan, 2022), cet originaire de la Sébé-Brikolo, qui revendique une connaissance de la tradition Obamba affirmée, dans ce premier tome de son ouvrage, de sauvegarder par le conte certaines de nos valeurs ancestrales menacées de disparition par la déculturation accélérée de nos villes et villages. Lecture !
Gabonclic.info : M. Akombi, pourquoi ce livre ?
Jean-Pierre Akombi : « Conter le monde », mon livre de 11 contes n’est pas né ex nihilo. C’est le fruit d’une réflexion personnelle et d’une commande de ceux qui ont pris l’habitude de suivre mes émissions radiophoniques sur les contes gabonais, altogovéens particulièrement. M’étant engagé dans la conservation et la vulgarisation des us et coutumes de mon terroir, la problématique qui m’a toujours taraudé l’esprit était de trouver le moyen le plus idoine susceptible de fixer sur un support à longue durée de vie, les savoirs ancestraux acquis au contact des traditionalistes chevronnés. La solution du livre m’est venue grâce à ma rencontre avec un homme de culture : Maurice Okoumba-Nkoghe, qui a révélé l’esprit littéraire qui sommeillait en moi.
Quels thèmes y sont développés ?
Tout d’abord, ce livre doit être, pour le lecteur, un cheminement qui conduit vers la vertu, en ce qu’il le ramène à la source primordiale de la connaissance. Les contes étant un condensé des leçons des choses vécues ou potentielles, les thèmes abordés sont soit de l’ordre ontologique, soit de l’ordre de la vie quotidienne : la vie, la mort et leur sens, pour le premier ; l’idéal de l’amour, l’importance de l’initiation pour un homme, la divinité de l’homme, l’importance du pardon, de l’indulgence, de l’humilité, de la modestie, de la reconnaissance comme fondements de la socialisation de l’individu, pour le second.
En observant le fonctionnement de la société altogovéenne aujourd’hui, les valeurs d’antan sont-elles préservées ?
Vous mettez le point sur l’engrenage. Le Haut-Ogooué est au même diapason que les autres provinces du Gabon. En contexte rural, où, les valeurs ancestrales sont encore de mise, mais pour combien de temps, au regard de l’accélération de l’urbanisation et de la déculturation des villages ? En ville, la réponse est non. La modernité a tout emporté. D’où les tentatives, comme les nôtres, de sauver ce qui peut encore l’être. Le réveil du Musée des arts et traditions est un bon signe.
Concrètement, comment transmettre les traditions altogovéennes aux futures générations ?
L’action doit être multiforme, permanente et convergente ; à commencer par une prise de conscience globale. Les langues gabonaises doivent redevenir des langues maternelles. Ensuite, il urge d’introduire les aspects de la culture nationale dans le système éducatif national. Le rôle des traditionalistes au sein des chefferies réhabilitées doit être rehaussé et, surtout, les villages préservés d’une mort qui paraît inéluctable. En ville, l’encadrement des associations culturelles et des pratiques ancestrales comme le mariage coutumier sont à encourager.
Ceux qui disent que la culture devrait impacter le comportement au quotidien de chaque individu, même responsable politique ou administratif devenu, ont-ils tort ?
Non, ils n’ont pas tort. Dans toutes les sociétés humaines, la culture est le socle du comportement social. Chacune de nos ethnies dispose d’une charte de valeur, des rites, de lois non écrites, mais qui ont révélé leur efficacité dans la préservation de la rectitude morale de l’individu. Par exemple, un adepte du Ndjobi, Byéri, Mouiri, Bwiti, Ndembè…ne sera jamais tenté par les détournements des deniers publics ou par tout autre comportement asocial. Pour moi, la déculturation des élites politiques et administratives est à l’origine de certaines dérives observées dans la gestion de la chose publique.
Sur quoi l’exercice du pouvoir s’appuie-t-il dans le Haut-Ogooué ?
Dans chaque ethnie du Gabon, il existe un rite de pouvoir. Dans le Haut-Ogooué, c’est Onkani, le rite des seigneurs. Mais, à vous dire s’il est utilisé dans l’exercice du pouvoir d’Etat, j’en suis incapable. Un autre rite est fréquemment évoqué : le Ndjobi. Celui-là a démontré ses accointances avec l’exercice du pouvoir d’Etat, notamment sous le règne du président Omar Bongo Ondimba ; mais avec quelle incidence ? Je n’en sais rien non plus.
Etes-vous satisfait de la gouvernance du Gabon ?
En tant que traditionaliste, il me préoccupe, au plus haut point, le peu de cas qui est fait à la gouvernance culturelle, à la préservation des us, coutumes et traditions du Gabon, en dépit de quelques résultats engrangés par certaines institutions. Les autres secteurs de la vie sociale connaissent des difficultés et des reculs qui inquiètent tout homme doté d’un minimum de bon sens.
Comment faire pour inscrire sur le marbre une société où il fait bon vivre pour tout le monde ?
Je crois en la puissance rédemptrice de la démocratie véritable, à l’africaine de préférence ; je pense à une société plus équitable, plus sociale ; je pense que le leitmotiv du président Léon Mba : « Gabon d’abord » est le meilleur socle pour un Gabon où il fait bon vivre pour tous.
A vous le clavier pour votre mot de fin.
Primo, je m’incline très bas devant l’esprit citoyen de votre journal, qui a pensé à m’ouvrir ses colonnes. Deuxio, pour accélérer la sortie du tome II de mon livre, « Conter le monde », j’invite les Gabonais à s’approprier celui qui leur est proposé actuellement. Mon rêve est de le voir inséré dans les programmes officiels d’enseignement au Gabon.
Propos recueillis par Carole Moussavou
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