Gabon : « Nous avons le devoir de retirer notre pays des mains inexpertes qui conduisent ses affaires »

Par Brandy MAMBOUNDOU / 15 juin 2023 / 0 commentaire(s)

 

Ainsi s’engage avec détermination le Pr Pierre-André Kombila. Aphone depuis la désignation de Jean Ping comme candidat unique de l’opposition dans des conditions qu’il jugeait alors inacceptables, le président du Rassemblement national des Bûcherons (RNB) donne de la voix ces derniers temps. A quelques mois de la tenue de l’hypothétique principal scrutin qui va décider de l’avenir du pays pour les cinq prochaines années, l’ancien bras droit de Paul Mba Abessole répond à nos questions sur certaines questions d’actualité de l’heure. Sans langue de bois. Lecture !

Gabonclic.info. Professeur, comment allez-vous ?

Pr Pierre-André Kombila : merci de me donner, vous aussi, l’opportunité de m’exprimer sur votre média, qui est certainement l’un des plus crédibles de la place. Je ne me porte pas si mal à mon âge avancé. Je vais physiquement bien. Mais pour le reste, vu la situation dans laquelle se trouve notre pays, j’ai mal et même très mal…

On pensait, vu le silence que vous observiez depuis un certain temps et la mise en veilleuse des activités de votre parti, que vous aviez finalement jeté l’éponge…

J’ai dit quelque part, en concluant des échanges que j’avais eus, je crois avec des militants et sympathisants du 5ème arrondissement de Libreville, que nous ne pouvions pas laisser le pays comme ça, dans l’état où il est depuis bientôt quatorze ans. Quand on aime ce beau pays, quand on en a la passion, il faut se battre jusqu’au bout pour l’aider à s’en sortir… J’ai cependant eu quelques raisons pour prendre un peu de recul.

Lesquelles ?

Il y a fondamentalement trois raisons qui ont motivé mon attitude de réserve et peuvent expliquer mon retrait, au dernier moment, du processus électoral chaotique de 2016 : le désaccord sur la désignation du candidat unique de l’opposition ; la manière unilatérale dont M. Jean Ping a été désigné par certains leaders de notre opposition ; l’incapacité du candidat et de ceux qui l’ont encouragé à aller à cette élection sans s’être donné les moyens de valider la victoire des urnes par un plan stratégique de prise effective du pouvoir d’Etat.

A vous entendre, vous doutiez de la capacité de vos pairs à faire gagner le candidat Ping, par les urnes lors de l’élection présidentielle de 2016 ?

Pas du tout. La question n’était pas celle-là à cette époque. Il fallait s’assurer, la victoire par les urnes ne faisant pas de doute dans notre esprit, de la prise effective du pouvoir. D’ailleurs, après le vote dont il est effectivement sorti vainqueur, je me suis empressé de féliciter Jean Ping, mais en lui rappelant que je réservais ma jubilation totale à son installation effective dans le fauteuil de président de la République du Gabon. Vous savez ce qu’il en est advenu…

Doutiez-vous donc à l’avance de cette victoire effective ?

Tout-à-fait. J’avais effectué une mission en France avant les élections, dans le cadre de mes activités médicales. Et là-bas, j’ai été informé de ce que la candidature de M. Ping ne devait servir qu’à dorer l’élection contestée de M. Ali Bongo Ondimba.

Aviez-vous alors un autre choix et une stratégie de prise effective du pouvoir à cette époque ?

Nous savions qu’il y avait beaucoup de chevaux de Troie dans nos rangs. D’où la mise en place d’un mode spécifique pour la désignation du candidat commun de l’opposition. Nous savions aussi qu’il ne nous suffirait pas de gagner l’élection présidentielle pour nous installer au palais de la présidence de la République. D’où l’élaboration d’un plan stratégique pour arriver à faire imposer notre victoire acquise par les urnes. Nous travaillions à l’aboutissement de ce plan, qui exigeait des moyens de tous ordres quand, nuitamment, je fus informé que c’est Jean Ping qui avait été retenu pour aller, dans ces conditions, à l’élection présidentielle de 2016.

Le Pr Albert Ondo Ossa est candidat à la candidature pour la future présidentielle. Le Pr Kombila serait-il également partant pour cette échéance au moment où Jean Ping vient de renoncer, et que Luc Bengone Nsi appelle quasiment au boycott ?

Je prendrai le deuxième pan de la question. En disant quelque part que nous ne pouvions pas laisser le pays comme ça… Nous voulions souligner le devoir qui est le nôtre de le retirer des mains inexpertes qui conduisent ses affaires. Boycotter, c’est laisser le champ libre à ces gens pour faire de ce pays ce qu’ils sont en train d’en faire actuellement.

Pierre-André Kombila candidat ? Ce n’est là la priorité… La priorité pour l’opposition c’est de ne pas baisser les bras, de céder au découragement. Ces gens n’attendent que cela. Nous devons travailler à faire en sorte que l’opposition mette rapidement en place un plan stratégique pour parvenir à prendre le pouvoir que les urnes nous donnent toujours.

Il n’y aura pas que l’élection présidentielle cette année. Deux autres scrutins vont avoir lieu pratiquement au même moment : les législatives et les locales. Votre parti sera-t-il de la partie ?

Même si nous n’avons émis des réserves que sur le processus électoral en ce qui concerne la Présidentielle, nous ne sommes pas plus rassurés en ce qui concerne les deux autres élections. Néanmoins, nous avons la mission de rendre le RNB davantage visible après avoir mis nos activités en veilleuse ces derniers temps. Et quel meilleur moyen de juger de sa viabilité et de son ancrage dans la population qu’en allant nous faire évaluer dans les urnes ? Le Rassemblement national des bûcherons aura l’obligation d’aller au moins à ces deux scrutins prochainement.

Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique actuelle ?

Sur le plan social, le problème au Gabon, depuis plusieurs années, c’est la pauvreté rampante des nationaux, malgré les immenses richesses du pays. Au point que de l’extérieur, nous sommes considérés comme un pays riche à la population pauvre. Les affaires sont confisquées par une petite caste, de connivence avec des étrangers qui, ici, peuvent faire ce que bon leur semble. Nos terres appartiennent de moins en moins aux populations autochtones. Le coût de la vie renchérit tous les jours. Les parents doivent payer pour la participation de leurs enfants aux concours d’Etat …

Sur le plan politique, nous enregistrons un net recul démocratique. Les acquis des Accords de Paris ont été retirés méthodiquement. Le pouvoir politique est aux mains d’un même clan, d’une même famille. La Constitution du pays est constamment révisée pour la réajuster et la réaligner sur les intérêts de conservation d’un imperium occupé à satisfaire une petite poignée de compatriotes. Pendant ce temps, le petit peuple croupit dans la misère et est réduit à vivre de dons…

Quelle est votre position par rapport à la situation que vivent ces compatriotes, prisonniers et exilés politiques ici au Gabon et ailleurs ?

C’est une situation anormale dans un pays qui se dit démocratique, où la liberté d’opinion doit être reconnue à tous et où la justice doit être équitable pour tous. Or, qu’observons-nous, pour le dénoncer : certains sont en prison pour des faits qui impliquent d’autres laissés en liberté…D’autres compatriotes sont reclus à l’exil, alors qu’ils ont de l’expertise et de l’expérience dont le pays a besoin pour son développement.

Un mot sur les résolutions de la dernière concertation politique…

Du temps et de l’argent perdus pour notre pays. Qu’en est-il ressorti qui garantisse la transparence du prochain processus électoral ? Rien. L’alignement des mandats, le retour à un tour, un mandat ramené à cinq ans et renouvelable éternellement : où sont les avancées ?

S’agissant de l’élection présidentielle, les participants, parfois les mêmes qu’en 2016 lors de la conclusion des accords dits d’Angondjè, n’ont pas pu expliquer pourquoi cette option à deux tours a été remise en cause avant même d’avoir été expérimentée ? Quelle légitimité aurait un chef de l’Etat, de quelque bord qu’il soit, s’il n'est élu qu’avec la majorité simple des suffrages exprimés par l’électorat ? Nous restons, cependant, convaincus que le candidat du PDG ne peut sortir vainqueur, au terme d’un processus transparent, quelle que soit la configuration du vote, à un ou à deux tours.

Votre mot de fin Pr Pierre-André Kombila …

Naturellement vous remercier, une fois encore, pour cette invitation qui, je l’espère, ne sera pas la dernière. Et lancer à nouveau ce cri du cœur à nos compatriotes : Ayez pitié de votre pays, le Gabon. Reprenez-le… Mobilisez-vous pour le changement et l’alternance !

Propos recueillis par Vichanie Mamboundou

Article du 15 juin 2023 - 5:36pm
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