Drame national à la CNSS au Gabon : État de nature ou État sauvage ?

Par Nicolas NDONG ESSONO / 18 juin 2022 / 0 commentaire(s)
Ces deux ministres, après avoir fait violenter la présidente de l'Anareg, au milieu, et ses pairs, dorment-ils du sommeil du juste?

Au regard de la violente répression subie par les retraités dernièrement, il est manifeste que l’État s’est mis hors-jeu quant à la loi et au droit. Non seulement il accapare les pensions vieillesses, de surcroît il livre ses citoyens les plus fragiles à la matraque d’une horde de policiers déchaînés. La société gabonaise régresse dangereusement vers l’animalité.

« Le poids des mots, le choc des images ». Cette séduisante devise d’un hebdomadaire français au milieu des années quatre-vingt avait marqué les esprits. Le gouvernement gabonais lui a récemment redonné vie par la gestion inhumaine de la crise à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). En effet, la réaction des forces de l’ordre au mécontentement – pacifique – de retraités inoffensifs a produit des images choquantes qui remuent encore l’opinion publique. Des personnes du troisième âge tabassées et pourchassées au gaz lacrymogène, impuissantes et implorantes, ahuries de se voir ainsi malmenées pour avoir réclamé leur dû. Voilà comment, d’un côté, Lambert-Noël Matha gère l’ordre public ! et de l’autre, Guy Patrick Obiang Ndong s’occupe des peurs de ces mères et pères de famille.

Aucun communiqué d’excuse

Que valent dès lors les vains mots d’Alain-Claude Bilie Bi Nze, le Porte-parole du gouvernement qui aime afficher un légalisme outrancier et imaginaire ? Quel poids leur reconnaître ? Ce déferlement de violence ne vient-il pas plutôt corroborer les inquiétudes des Gabonais sur les violations des droits dans notre pays ? Les « droits inviolables et prescriptibles de l’Homme, qui lient obligatoirement les pouvoirs publics » (titre préliminaire de la Constitution) sont fréquemment jetés aux orties, et plus personne dans la sphère dirigeante ne semble s’en émouvoir. Il dira sans doute que la justice ne se fait pas dans les journaux, et l’on constatera qu’elle ne se fait pas non plus dans la rue, ni dans le vestibule d’un établissement de prestations sociales.

Mais quel est donc ce gouvernement qui refuse à ses citoyens l’exercice des libertés élémentaires, dont celle de s’exprimer ? Après avoir naguère violenté des commerçantes dénudées et des élèves en colère, la puissance publique a abandonné la politique d’intimidation qu’elle réserve habituellement à l’opposition et aux prisonniers politiques (Laccruche Alihanga, Yama, Zibi Abeghe), pour s’en prendre à la vieillesse gabonaise. Ni sous Antoine de Padoue Mboumbou Miyakou, ni même à l’époque de Jean-François Ndongou les forces de l’ordre ne s’étaient abattues sur une cible aussi sacrée. Sans remords, ni regrets puisque ni la direction de la Cnss, ni le ministère de l’Intérieur n’ont publié de communiqué pour s’excuser de la dérive scandaleuse des événements.

La Maternité allaitant a cessé de nourrir ses enfants

Et c’est, en effet, une dérive à laquelle nous assistons. Une dislocation dangereuse des points d’appui sur lesquels reposait jadis la société gabonaise. L’esprit de dialogue permanent cher à Omar Bongo, mais aussi aux anciens comme Paul Mba Abessole, Fidèle Magnagna ou Louis-Gaston Mayila, est en train de s’évanouir. De même que le respect dû aux aînés – au père et à la mère d’abord – n’est plus suffisamment inculqué dans une République nourrie de violence, où un État sauvage s’est substitué à l’état de la nature, tout en le surpassant. Puisque si le monde animal admet que le fort écrase le faible, entre individus de la même espèce on n’a jamais vu un lion en dévorer un autre.

Si le cannibalisme du dieu Cronos dévorant ses enfants doit s’entendre de manière symbolique, force est de constater qu’au Gabon la Maternité allaitant a cessé de nourrir ses enfants. Pire, littéralement les enfants laissent mourir leurs parents : en les privant du seul maigre revenu constituant « le seul rempart contre la précarité » (dixit Odette Jeanine Taty Koumba), et en leur faisant subir des violences physiques susceptibles de précipiter leur mort. Nos dirigeants ont-ils (eu) des parents ? Ou bien ayant tous été élevés dans des orphelinats, ils ont perdu la notion de dévotion réservée à ceux qui leur ont donné le jour ?

Triple peine

Dans ce drame national, l’injustice semble ne pas avoir de limite puisqu’on est face à une privation arbitraire d’un droit. Plusieurs personnalités – Alexandre Barro Chambrier, Mike Jocktane, Paulette Missambo - émues par le sort inqualifiable de nos pensionnaires, ont rappelé que ces derniers n’avaient « besoin ni de charité, ni de pitié de l’État » (Raymond Ndong Sima), étant donné que la retraite n’est pas une faveur. Fruit d’une longue épargne, la retraite « est un droit qui permet au salarié de cesser de travailler à partir d’un certain âge, et de percevoir une pension en fonction des droits qu’il a acquis par la durée de son travail et le montant des cotisations qu’il a versées aux caisses de retraite ». Les maîtres d’aujourd’hui devraient s’en souvenir et ne pas insulter l’avenir.

Au lieu donc d’envoyer la maréchaussée excitée tomber à bras raccourcis sur le troisième âge, l’État ne devrait-il pas tout mettre en œuvre afin de garantir « aux vieux travailleurs et aux personnes âgées, la protection de la santé, la sécurité sociale, un environnement naturel préservé, le repos et les loisirs » (alinéa 8 du titre préliminaire de la loi fondamentale) ? C’est sur ce terrain que sont attendus le ministre de la Santé et des Affaires sociales, Guy-Patrick Obiang Ndong, et l’administrateur provisoire de la Cnss, Christophe Éyi. En d’autres termes, comme le soulignait l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, « il faut sans délai que l’État paie ce qu’il doit à la Cnss ».

Le compte à rebours est, en effet, impitoyable pour les retraités. Dans la cruelle situation qu’ils vivent, ils sont victimes d’une double, voire d’une triple peine. En plus d’avoir été « gazés » et molestés, pour certains, tous ne peuvent actuellement subvenir à leurs besoins essentiels (se nourrir et se soigner) à l’heure où l’inflation et la suspension des prestations de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (Cnamgs) asphyxient les ménages. Pour d’autres, venus de l’arrière-pays dans l’espoir de percevoir leur argent, le séjour prolongé à Libreville, sans perspective de retour, se transforme en calvaire au sein de leurs familles déjà mordues par la précarité.

Barro Chambrier aurait fait mieux

C’est à ce moment que des questions d’éthique doivent être soulevées quant au fonctionnement de cet organisme de protection sociale, même si les réponses urgentes sont financières et structurelles. L’état actuel de la Cnss, tous les analystes s’y accordent, résulte de la gouvernance des gestionnaires successifs de cette structure, lesquels n’ont manifestement pas observé ni assimilé l’impératif de responsabilité qu’impose le service public. D’Antoine Yalanzèle à Patrick Ossi Okori, en passant par Marie-Thérèse Vané, Désiré Lassegue ou Nicole Assélé – tous millionnaires aujourd’hui – les mêmes dysfonctionnements ont été mis sur la place publique, sans qu’Ali Bongo et ses gouvernements successifs ne réagissent autrement que par le remplacement de Pierre par Paul.

Comme l’a fait remarquer Christian Kerangall lors de la promotion de son livre, il faut tout changer dans ce système, non pas les individus mais la clé de voûte qui maintient encore dans un fragile équilibre toutes les institutions politiques, administratives, juridiques, financières et sociales du pays. Les Gabonais observent et s’interrogent. Il n’est pas certain, jugent-ils, qu’Alexandre Barro Chambrier aurait fait mieux pour maintenir à flot la Cnss, même si un préjugé favorable incite à penser l’inverse, vu son back-ground universitaire et professionnel. Par contre, ce dont ils ne doutent pas, sachant la relation filiale privilégiée avec son père Éloi Rahandi, c’est qu’il n’aurait jamais fait pleuvoir des coups de matraque et des jets de lacrymogène sur de vieilles mamans en sandales et pagnes noués aux riens.

Finalement ce drame tropical n’illustre-t-il pas l’aboutissement final d’un modèle de société qui ne peut plus accomplir sa mission qui consistait à créer du lien ?

Virginie Lamiral

Article du 18 juin 2022 - 11:57am
Article vu "en cours dév"

Nombre de Commentaires (0)

Faites un commentaire !