Pourquoi le torchon brûle entre le FMI et le Gabon ?

Par Nicolas NDONG ESSONO / 08 juin 2021 / 0 commentaire(s)
Willy ONTSIA

Pour décrypter la relation orageuse et les négociations le Fonds monétaire international (FMI) et le Gabon, nous avons interrogé un spécialiste de l’économie gabonaise, Willy Ontsia, expert-financier et ancien directeur général de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC). Lecture !

Propos recueillis par Nicolas Ndong Essono.

Gabonclic.info. Quel est le rôle du Fonds monétaire international ?

Willy Ontsia : A l’origine, le Fonds monétaire international (FMI) est un organisme international multilatéral dont la mission consistait à assurer la stabilité du système monétaire et financier international. Cependant, avec l’abandon du mécanisme de change fixe et la généralisation du système de change flexible (libre fluctuation des monnaies), le FMI a réorienté ses activités, notamment vers l’assistance technique et le financement des pays en développement. Pour ce faire, le FMI accorde des prêts aux pays tiers en contrepartie de l’adoption d’une série de réformes dites d’ajustement structurel, qui visent à rétablir les grands équilibres macro-économiques et financier des Etats qui sollicitent son intervention.

Pourquoi le FMI freine-t-il la signature d’un nouvel un accord de financement avec le Gabon ?

En dépit des satisfécits adressés en public par le Fonds monétaire international au Gabon pour les ambitions affichées dans le PSGE (Plan stratégique Gabon émergent), le P.R.E (Plan de relance économique) ou, dernièrement, le PAT (Plan d’accélération de la transformation), il y a de l’eau dans le gaz dans la relation que le Gabon entretient avec le FMI. Il en est ainsi en raison, notamment, des cas de mauvaise gestion des finances publiques, du risque d’insoutenabilité de la dette extérieure de l’Etat, de la problématique de la dette intérieure qui persiste, des dégrèvements fiscaux qui nuisent à l’optimisation des recettes publiques, de la prolifération des marchés de gré à gré en violation du Code des marchés publics, de l’importance des opérations financières hors budget, de l’accroissement des aléas budgétaires liés aux établissements publics, etc.

Tenant compte de ce qui précède, le FMI souhaite s’entourer du maximum de précaution avant de signer un nouvel accord de prêt avec l’Etat gabonais, jugé peu respectueux de l’orthodoxie financière, de l’éthique et de la déontologie professionnelle.

Quels sont les griefs que le FMI fait au Gabon ?

Primo, le manque de sincérité et de rigueur de l’Etat gabonais dans l’exécution du Programme d’ajustement structurel signé avec le FMI. Autrement dit, l’Etat gabonais reçoit les financements du FMI, mais il ne respecte que très partiellement les engagements pris en contrepartie.

Deuxio, le FMI constate que l’Etat gabonais n’affecte pas toujours les fonds alloués, tels que prévu, dans le plan de financement initial, c’est-à-dire le cadrage macro-économique et budgétaire.

Tertio, lorsque le FMI identifie des cas flagrants de dysfonctionnement, de non-conformité ou de mal-gouvernance dans la conduite des affaires publiques, et qu’il propose des mesures curatives, l’Etat gabonais fait souvent la sourde d’oreille ou botte en touche.

Quarto, les données et informations transmises par le gouvernement gabonais au FMI sont parfois erronées par rapport à la réalité observée lors des missions de contrôle du FMI au Gabon.

Pouvez-vous nous décrire quelques exemples concrets qui ont contribué à empoisonner la relation entre le FMI et le Gabon ?

Concernant le programme d’ajustement structurel 2017-2020, qui avait fait l’objet d’un accord de prêt de 345 milliards Fcfa (642 millions US dollars) du FMI au profit de l’Etat gabonais, le FMI avait interpellé le gouvernement gabonais sur les anomalies constatées dans la gestion et les comptes du Fonds gabonais d’investissement stratégiques (FGIS).

Consterné, le FMI était allé jusqu’à demander un audit approfondi, ainsi que le limogeage de l’ex-DG du FGIS car, il jugeait anormal que les caisses de cet établissement public soient presque vides, au regard des énormes ressources affectées par l’Etat au FGIS.

Comme souvent, l’Etat gabonais n’a jamais donné une suite complète à cette requête du FMI. Le gouvernement s’est juste contenté de muter l’ex-DG du FGIS comme ambassadeur, pour le remplacer par son adjoint. Ce dossier, parmi d’autres, avait aussi contribué à tendre les relations entre le FMI et l’Etat gabonais.

Bis repetita, en 2020, le FMI accorde au Gabon deux nouveaux financements dits prêt d’urgence anti-Covid-19, d’un montant total de 165 milliards Fcfa. Par la suite, lors de ses missions de suivi, le FMI soupçonne de très graves irrégularités dans la gestion des fonds allouées à la crise sanitaire. Ce qui laissait présager d’éventuels détournements de fonds qui scandalisent le FMI. Par conséquent, le FMI a exigé des explications à l’Etat gabonais. Ce qui a créé des tensions supplémentaires.

En guise de cerise sur le gâteau, en déroulant le fil des contrôles dans les secteurs de la Santé et des Affaires sociales, le FMI va également découvrir l’existence d’un important déficit de trésorerie dans les comptes de la CNAMGS (Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale, ndlr) débités pour un montant de 12,4 milliards Fcfa, soustraits des caisses par l’entreprise de divers artifices comptables et montages financiers présumés. Estomaqué, le FMI a, une fois de plus, exprimé son mécontentement à l’Etat gabonais. Ce qui a contribué à déliter un peu plus le lien de confiance entre les deux parties.

Au regard de cette réalité, le FMI a fait une mise à jour de sa relation avec le Gabon en décidant de freiner la signature d’un nouvel accord de prêt avec l’Etat gabonais. En agissant ainsi, le FMI compte exercer une pression sur le gouvernement gabonais, afin de l’amener à accepter des conditions de prêt plus contraignantes et plus restrictives. D’où l’enlisement des négociations.

Le Gabon peut-il se passer des prêts du FMI pour la réalisation de son PAT à l’horizon 2020-2022 ?

Dans le contexte de crise économique et sanitaire actuel, compte tenu des tensions de trésorerie enregistrées par le trésor public gabonais, prenant en compte la pression de la masse salariale de l’administration sur les finances publiques, nonobstant l’endettement extérieur de la nation portant un risque de défaut de paiement, le Gabon peut difficilement se passer d’un financement du FMI.

A ce propos, il faut rappeler que l’Etat gabonais est lourdement endetté en devises étrangères (euro, dollar) sur les marchés financiers internationaux, où il doit rembourser en 2022 une échéance d’eurobonds d’un montant faramineux de près de 540 milliards Fcfa.

L’Etat gabonais n’ayant aucune épargne ou provision à la hauteur de 540 milliards Fcfa, il sera dans l’obligation de faire une opération de « roll-over », c’est-à-dire s’endetter à nouveau pour régler la partie de sa dette passée qui arrivera à maturité en 2022.

Et pour éviter un risque de défaut sur son eurobond à l’international, le gouvernement gabonais a absolument besoin de passer un accord de prêt avec le FMI, dont la signature agira également comme une garantie de « prêteur en dernier » sur le marché financier international.

Partant de ce postulat, vous comprenez bien que l’accord de prêt souhaité par l’Etat gabonais auprès du FMI doit non seulement permettre d’améliorer la solvabilité budgétaire du trésor public, mais également servir « d’assurance tout risque » pour rassurer les investisseurs internationaux sur le marché financier international.

Et de fait, le FMI sait parfaitement que l’Etat gabonais est en position de faiblesse dans la négociation actuelle, et il ne se gêne pas de faire patienter le gouvernement gabonais qu’il tient pour responsable de la mal-gouvernance des finances publiques nationales.

Que se passerait-il si le FMI refuse d’accorder un nouveau financement au Gabon ?

En cas de rejet du FMI, l’Etat gabonais serait dans l’obligation d’adopter un « plan d’austérité » qui pourrait déboucher sur une réduction des salaires des agents de la Fonction publique, la fermeture de plusieurs établissements publics, la réduction drastique des investissements publics, avec un effet néfaste sur la croissance, le développement et l’emploi.

Cependant, le FMI, qui est garant de la stabilité financière internationale, manquerait à son devoir s’il refusait d’intervenir au Gabon.

Il est donc peu probable que le FMI rejette la demande de prêt du Gabon car, cela pourrait briser la confiance et plomber les comptes des investisseurs occidentaux (banques européennes, fonds d’investissement, compagnies d’assurances, etc.) qui souscrivent aux emprunts eurobonds émis par les pays africains sur le marché financier international.

Le Gabon dispose-t-il d’une alternative de financement autre que le FMI ?

Comme palliatif, l’Etat gabonais tente de rééquilibrer ses comptes publics en recourant plus intensément au marché monétaire géré par la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale) et aux emprunts obligataires émis sur le marché financier de la zone CEMAC. Ce qui explique qu’actuellement, l’Etat gabonais ait lancé l’émission d’un emprunt obligataire sous-régional d’un montant de 175 milliards Fcfa au taux de 6% net pour une maturité de 5 ans.

Cette stratégie ne tiendra pas longtemps, pour deux raisons. Premièrement, les Etats de la CEMAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) dont le Gabon ont quasiment épuisé leurs droits de tirage à la BEAC.

Deuxièmement, en vertu du respect des règles prudentielles, les investisseurs institutionnels de la CEMAC (banques, compagnies d’assurances, grandes entreprises, etc.) ont presqu’atteint leurs limites d’investissement sur les titres publics.

Imprégné de cette réalité, l’ensemble des pays de la CEMAC ont presque tous sollicité le FMI pour un soutien financier. A ce titre, la RCA et le Tchad sont en passe de signer très prochainement un accord de prêt avec le FMI.

Par ailleurs, bien que non-négligeables, les interventions financières des autres bailleurs de fonds tel que l’Agence française de développement (AFD) ou la Banque africaine de développement (BAD) n’ont pas la même portée que celles du FMI.

Quels conseils alors pourriez-vous donner au gouvernement gabonais ?

Pour éviter de se retrouver dans une telle impasse financière, le gouvernement gabonais devrait constituer des réserves financières en période de croissance, pour stabiliser ses finances publiques en période de crise.

In fine, le gouvernement gabonais doit mener une lutte efficace contre la mal-gouvernance, la corruption et les détournements des deniers publics, et ceci dans le cadre d’un assainissement du climat des affaires, d’une optimisation de la chaîne des dépenses publiques et d’une gestion financière orthodoxe et innovante, en exploitant par exemple les marchés des contrats à terme et des produits optionnels pour couvrir ses différents risques ou pour maximiser ses revenus futurs.

Article du 8 juin 2021 - 10:59am
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