Gabon : Jean Ping à Paris et la nudité de la société gabonaise
Parti de Libreville hier soir par le vol Air France, l’homme d’Omboué est arrivé dans la capitale française très tôt ce matin. Outre les rendez-vous politiques, il a également promis de rencontrer les Gabonais de la Diaspora, celui qui a été privé de son passeport 5 ans durant, va y subir aussi quelques examens médicaux. Lecture !
« Il y a eu une fine rosée. C'est comme un signe de destin. Et Jean Ping sort de prison (par ce voyage) aujourd'hui, le jour où le Grand évangéliste Dag arrive au Gabon. Quelle coïncidence ! » Ainsi s’exclamait hier soir, à 21h10mn, à l’aéroport Léon Mba de Libreville, l’un des irréductibles soutiens de Jean Ping, venu l’accompagner lors de son départ à Paris.
C’est donc fait ! Privé de passeport par le régime d’Ali Bongo, depuis 5 ans, « le président élu de 2016 », comme ses nombreux partisans le surnomment, a fini par l’obtenir dernièrement et est désormais un homme libre. Il goûte, depuis ce matin à 05h55 mn, à son arrivée à Roissy-Charles de Gaulle à Paris, aux joies de respirer un autre air.
Selon une source digne de foi, son déplacement en France revêt deux volets. « Cette semaine du 12 est consacrée exclusivement aux examens médicaux, explique notre interlocuteur. Celle du 19 est réservée, quant à elle, aux rendez-vous politiques ». Justement, c’est au cours de cette dernière semaine-là qu’Ali Bongo est attendu à Paris. De quoi conforter la rumeur d’une probable rencontre, sous l’égide d’Emmanuel Macron, entre les deux protagonistes de la crise de la Présidentielle de 2016. Celle qui est à l’origine du blocage du Gabon actuellement.
Jean Ping face à Ali Bongo chez Emmanuel Macron : est-ce possible ?
Plusieurs Pdgistes interrogés sur la question sont formels : « À l'observation de la situation de notre pays que nous aimons tous, pourquoi pas ! Lorsque les positions se sont radicalisées, au nom des milliers de destins de nos compatriotes, personne ne peut faire l’économie d’une seconde, d’une minute, d’une heure…à dialoguer pour ouvrir les champs des possibles face à un problème donné à résoudre. Autrement dit, certains membres de ce bord politique ne trouveraient aucun inconvénient à ce que les deux hommes se retrouvent, peu importe le format, autour d’une table, même si c’est en présence de Sassou Nguesso, qui sera à Paris à la même période. « Ce serait là, souhaitent certains, l’affirmation de l’ADN des Pdgistes : Dialogue-Tolérance-Paix. Et le grand gagnant sera le Gabon. »
Toutefois, certains Pdgistes y voient une ingérence de l’ancienne puissance coloniale si une telle rencontre, entre les deux personnalités, avait lieu sous l’égide du président français. A ce niveau, cet argument reste spécieux. Pour une source diplomatique à Libreville, « on décore souvent les généraux qui gagnent les guerres, au prix du massacre de plusieurs êtres humains. En 2023, on devrait inverser cette logique barbare en honorant ceux qui évitent les guerres. Si deux personnes d’une maisonnée n’arrivent plus à s’entendre, à se dire bonjour, alors qu’elles ont en commun la maison, il faut une personne extérieure pour ramener la sérénité dans les cœurs des deux antagonistes. C’est à ce niveau que je pourrais situer l’action de la France, qui a une responsabilité historique pour la paix dans ses anciennes colonies. »
Dans le camp de Jean Ping, si on savoure la liberté de mouvement retrouvée par leur champion, après 5 ans d’interdiction de sortie du territoire, une question se pose : la Présidentielle ou la transition en 2023 ?
« Août 2023, nous y sommes bientôt, souligne un membre influent de la CNR. Alors que plusieurs Gabonais se posent des questions sur ce que leur réserve 2023, notamment à propos des évènements qui pourraient se produire en août, des regards se tournent vers Jean Ping Okoka. D'autres proposent, à cor et à cri, une transition politique susceptible de mieux préparer des élections apaisées et d'en finir avec les interminables crises postélectorales. »
A en croire notre interlocuteur, « à toutes ces interrogations qui taraudent les esprits des uns et des autres, ceux qui connaissent l’homme d’Omboué peuvent répondre, à sa place (…). Pour les Gabonais qui sont morts, sans voir la Terre promise, Jean Ping ne peut s'autoriser à faire n'importe quoi. Pour Anaclé Bissielo, Fabien Méré, André Mba Obame, Pierre Mamboundou, Pierre Louis Agondjo Okawe, Joseph Rendjambé et beaucoup d'autres, Jean Ping n'a pas d'autre choix que d'aller jusqu'au bout (…) Cette réflexion, commencée au Gabon, va nécessairement se poursuivre ailleurs, notamment en France. »
Pourquoi sauver le Gabon ?
Aujourd’hui, la situation du pays vire au cauchemar, avec des grèves dans presque tous les secteurs d’activité. Plusieurs ministères sont en tension permanente, notamment aux Affaires sociales, à la Fonction publique, aux Eaux et forêts, aux Affaires étrangères…
Signe des temps, depuis le mois de décembre 2022, un pan très important de la République, la Magistrature, est en quasi-cessation d’activités. Du jamais vu ! A croire que le monde s’est arrêté pour la société gabonaise. La population carcérale suffoque ; les avocats broient du noir et leurs cabinets sous le risque de mettre la clé sous le paillasson.
Bien plus grave, les Gabonais se regardent en chiens de faïence. D’un côté, les Hommes d’Ali Bongo, leurs parents et leurs amis étrangers, ceux qui ont tout : nominations, privilèges, protection de l’Etat. De l’autre, les laissés-pour-compte. Ceux dont les cris de détresse indiffèrent la classe dirigeante.
L’existence de « ces deux-Gabon » est clairement perceptible lors de la tournée dite « républicaine » d’Ali Bongo. Combien de journaux de « la presse libre » accompagnent-ils le président de la République ? Pourtant, Gabonreview, Gabon Media Time, Echos du Nord, le Mbandja, La Loupe ,…pouvaient faire percevoir aux Gabonais « une autre réalité » de ces rencontres entre le chef de l’Etat et ses compatriotes. Comme on le voit, il y a urgence à changer le modèle de notre société.
5 ans d’interdiction de sortie du territoire, de privation du passeport : sur quelle base juridique ?
Nous sommes le 21 mars 2018. Ce jour-là, alors que Jean Ping s’apprêtait à remplir les formalités de voyage pour se rendre à l’étranger, il est interdit de sortie du territoire par une escouade d’agents des forces de sécurité à l’aéroport Léon Mba. Ce sera sa dernière tentative, après celles du 13 janvier et du 3 février de la même année. Et c’est le début d’une vie quasiment recluse pour le président de la Coalition pour la nouvelle République (CNR) dans sa demeure des Charbonnages.
Stoïque, il a vu le monde se mouvoir autour de lui. Si René Ndemezo’Obiang et son monde sont partis bien avant, ils ont été rejoints par Jean Eyeghe Ndong, Massavala Maboumba, Doukaga Kassa,…ses soutiens lors de la Présidentielle de 2016. Officiellement, il n’a nullement cédé aux appels à « la soupe » (dixit Agondjo Okawe) par le camp d’Ali Bongo. Avec des comptes bloqués, personne ne sait comment il honorait ses dépenses domestiques.
Ali Bongo : un homme finalement seul ?
Le cas Jean Ping montre que le président de la République n’a toujours pas fait le bon choix d’Hommes à ses côtés, comme il a reconnu lui-même. Victime de la conspiration du silence, personne ne lui souffle à l’oreille la dangerosité de certaines décisions. Conséquence, après 5 ans « d’emprisonnement chez-lui », l’ancien président de la Commission de l’Union Africaine (UA) est perçu sous la carapace d’une victime de son système qualifié d'unique. Parce que, à ce jour, personne ne sait pourquoi il avait été interdit de sortie du territoire, avec le retrait de son passeport. Et pire, les raisons pour lesquelles il lui a été établi « finalement » ce document de voyage.
Ceux qui ont pris cette décision n’ont pas percuté les conséquences à court, moyen et long terme d’un tel acte sur l’image du président de la République. Cela s’apparente, non pas à un Etat de droit, mais à la Cour du Roi Pétaud. C’est comme si son entourage a décidé de jouer contre lui. Car, au-delà du cas Jean Ping, l’instauration d’un visa d’opportunité à la présidence de la République est un frein aux actions de développement. Dès lors, il serait inconséquent d’imputer la faute des carences observées au Premier ministre et à ses ministres.
Quid des prochaines élections et le timing de l’établissement du passeport ?
Théoriquement, les élections auront lieu dans deux mois. Jean Ping est resté « cloîtré », malgré lui, 5 ans au bord de sa piscine aux Charbonnages. Pourquoi c’est à quelques jours de ces consultations que le pouvoir d’Ali Bongo décide de lui restituer son passeport ? La grande énigme se trouve au détour de cette interrogation. D’autant plus personne « ne pensait plus à lui » pour un éventuel rapport de force face à Ali Bongo.
Tout de même, curieusement – et là, seuls les initiés peuvent le décortiquer – Ali Bongo et Jean Ping, les deux protagonistes de l’élection de 2016, ont chacun fait 5 ans « d’emprisonnement ». Le 2 avril dernier, lors du 55ème anniversaire du Parti démocratique gabonais (PDG), le Distingué Camarade Président, mettant en avant le chapitre de l’émotion après son Accident vasculaire cérébral (AVC) de 2018, reconnaissait qu’il a eu « 5 ans d’absence » et était heureux de se retrouver parmi ses compatriotes. Jean Ping, de son côté, a été privé de son passeport et est resté 5 ans chez lui.
Moralité : par esprits interposés, ces deux se neutralisent et impactent le développement du Gabon. Ils doivent donc se parler !
Jean Ping doit-il durcir sa position ?
Sa qualité d’homme d’Etat se reconnaîtra à l’aune de sa capacité à s’élever. Aussi, plusieurs compatriotes ont-ils été tués à cause de son engagement politique. Un jour ou l’autre, il faudra leur rendre justice. Pour le reste, il est urgent de se parler avec tout le monde. C’est vrai, l’éventualité d’une rencontre entre Ali Bongo et lui crée la peur chez « ceux qui sont partis. »
Dans cette veine, un proche de Jean Eyeghe Ndong estime que « Jean Ping a été nourri, blanchi par Pascaline Mferri Bongo. Il doit laisser aussi les autres manger. Si JEN était encore dans l’opposition, il ne se serait pas remarié. Donc, nous sommes près du feu, on y reste. »
Aussi, pour l’intérêt supérieur du Gabon, Jean Ping devrait-il aider à trouver une solution, pour libérer le pays !
Elzo Mvoula
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