Vyckos Ekondo et le Tandima : Vivre et communiquer la pulsion universelle « Le Bwété est un code de déchiffrement du monde »

Par Nicolas NDONG ESSONO / 22 mar 2022 / 0 commentaire(s)

Ainsi parle Vyckos Ekondo. Artiste musicien, auteur-compositeur gabonais, il est un porte-fanion de la culture gabonaise à travers le monde. Né en 1951, le chanteur du Tandima est issu des peuples de la forêt où l’homme et la nature vivent en parfaite harmonie, de Mimongo au Sud du Gabon, berceau d’une société secrète très répandue dans notre pays, le bwété ou bwiti. Il s’est ouvert à nous dans une dense interview exclusive. Dans celle-ci, il explique le début de sa vie d’artiste, ses rencontres, ses inspirateurs, et surtout emmène dans les profondeurs du Tandima, véritable lieu profond de la culture gabonaise et de sa mystique, C’est à lire sans modération !

Gabonclic.info : Bonjour M. Vyckos. D’où vous vient cet amour pour la culture que vous ne cessez de traduire par vos œuvres et vos prestations ?

Vyckos Ekondo: Merci de me permettre de m’exprimer dans vos colonnes pour parler de moi et de mes activités culturelles. Pour répondre à votre question, je dirai simplement que, très jeune, j’avais pris l’habitude d’écouter mon grand-oncle qui était un grand initié, et qui jouait merveilleusement de la cithare et de l’arc musical. C’était une musique mystique qui est restée en moi à travers le temps, qui m’a suivi jusqu’en ville pendant mes études.

Comment entrez-vous, vous-même dans le monde musical, au point d’en faire un élément de promotion de la culture gabonaise ?

C’est au Lycée Léon Mba de Libreville que s’opère mon premier contact avec les instruments de musique occidentaux (piano, flûte, contrebasse, harmonica, batterie, cuivres), en suivant une méthode d’apprentissage stricte, une expérience enrichissante. Pendant les cours de musique, j’ai découvert la musique classique et ses grands compositeurs tels que Mozart, Beethoven, Sébastien Bach, etc. Puis le jazz et le rythm and blues. J’écoutais Louis Armstrong, James Brown et surtout Ray Charles.

En 1969, alors que j’ai 18 ans, je fonde le groupe « Vyckos et ses Vyckossettes » qui se taille un grand succès au Gabon. Lors de l’inauguration du gymnase du Lycée Léon Mba en présence du Président Omar Bongo Ondimba, nous passons à la télévision. C’est là que la carrière était lancée. J’ai créé l’orchestre « les Atom’s », puis « les phantom’s », orchestres composés des jeunes musiciens modernes. Notamment Degomard, excellent bassiste, Sonny Mayombo (guitare solo), Bouté Pashtut batteur. Ensuite je rejoins l’orchestre « les satellites » où je rencontre le célèbre chanteur camerounais Elvis Kemayo, ainsi que Tomos et Johny Polo.

En 1975, je vais aller étudier au Canada, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au module d’Animation Culturelle. C’est en ce moment qu’un déclic s’est opéré dans ma manière d’appréhender la chose culturelle.

En 1977, je signe mon premier disque chez Pathé-Marconi EMI, avec les titres « Mbéa » et « Dibenga » (l’incrédule). Le succès de disque m’ouvre des portes. Ainsi, je signe chez « Fiesta Decca », pour laquelle travaillent notamment les grands musiciens camerounais Manu Dibango et Elvis Kemayo et ceux du célèbre groupe « Kassav », Claude Vamur et Naimero. Je me fais alors une place une scène gabonaise dominée par les artistes congolais.

En 1985, je crée le « TANDIMA » qui sort en 33 tours aux Editions « Safari ambiance ».

Mais on vous a vu marquer les beaux jours de la télévision gabonaise !

En effet. Parallèlement à la musique, j’animais des émissions pour enfants, notamment « L’idole du Dimanche », « l’Univers des petits », et aussi de musique telles que « Mbolo musique » et « Vyckos Show » où j’invitais des artistes. Ces émissions ont longtemps été le creuset du lancement de la plupart des jeunes artistes gabonais en vogue aujourd’hui.

M. Vyckos, ceux qui vous ont connu dans le milieu de l’ancienne RTG disent que vous étiez également Producteur et Réalisateur. Le confirmez-vous ?

C’est exact. Producteur et réalisateur à la télévision gabonaise, je participais aux tournages de plusieurs émissions consacrées aux musiques traditionnelles du Gabon. Ce qui, d’ailleurs, a accentué mon intuition sur la beauté et la richesse de notre patrimoine culturel. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ce riche patrimoine pouvait être revalorisé dans les concerts publics, en mêlant nos différentes musiques traditionnelles en y ajoutant des instruments modernes.

Est-ce ce second déclic qui amène Vyckos Ekondo à s’enraciner dans la richesse de son terroir, à s’imprégner de la culture universelle et à nous entraîner dans la découverte du monde du Tandima ?

Tout à fait. Je vais vous dire, mais ne répétez à personne (rires), le Tandima est esprit et matière. C’est une école de la connaissance de l’humain, un lieu de rencontre des rites, croyances et danses du Gabon, d’Afrique et du monde. C’est la transcription fidèle des rites ancestraux perpétués à travers les générations et défiant le temps par le geste et le chant, par le corps et l’âme.

Ne croyez-vous pas que l’usage des instruments modernes dans votre musique dénature l’originalité de votre source d’inspiration ?

Absolument pas ! Vous parlez vous-même de source d’inspiration. Cela signifie que je m’inspire de ma culture pour l’adapter à un environnement musical de plus en plus universel. Je suis un homme de culture. Par conséquent, j’attache une importance particulière aux initiatives visant à sensibiliser le public à la notion de diversité culturelle, surtout musicale. « Ouverture et enracinement », ce leitmotiv du grand écrivain africain, Léopold Sédar Senghor, reste pour moi un élément catalyseur pour une prise de conscience accrue, afin de préserver notre musique traditionnelle, la promouvoir et s’ouvrir aux autres tout en traduisant une vision moderne.

Dans le contexte de la mondialisation basée sur la compétitivité, l’excellence, l’originalité, et qu’une certaine logique voit tendre vers l’uniformité, la recherche de nos spécificités musicales gabonaises est un élément important afin d’éviter l’extraversion des valeurs socioculturelles basées sur le mimétisme. C’est dans cet esprit que j’ai créé le « Tandima », un mélange de tradition et de modernité. C’est un pas vers l’ouverture de notre culture à d’autres, dans le but d’entraîner l’auditeur et le spectateur dans les arcanes de nos valeurs philosophiques traditionnelles et initiatiques. C’est aussi une expression culturelle contenant signes et symboles lyriques et chorégraphiques de la plupart des ethnies du Gabon, le Ndjembet des Myénès, le Ndjobi des Batékés, le Lingwala des Nzebis, l’élone des Fangs, l’Ikokou des Punus, le Wéyawéya des Kota, le Lissimbu des Adoumas, le Django des Bengas, le Bwété des Tsoghos, culte initiatique qui s’est largement répandu dans le pays et à travers le monde.

Des mauvaises langues disent que vous êtes un usurpateur du Bwété auquel vous ne vous êtes jamais initié. Que leur répondez-vous.

(Rires) Je l’ai déjà entendu, mais je ne m’intéresse pas à ce genre de débat. Ce que je sais, c’est que pour mieux comprendre le sens profond et les messages contenus dans les chansons du bwété, j’ai dû d’abord m’initier, ce qui m’a permis de manière graduelle d’avoir accès à tout. Ce qui a ouvert mon esprit à la compréhension de ce que dans le bwété, les chants, la musique et les figures chorégraphiques qui sont exécutées ne constituent pas un simple spectacle. Tout a un sens et une signification profonde. Le Bwété est donc un langage, un grand code de déchiffrement du monde, permettant de saisir l’Homme dans sa triple dimension cosmique, anthropologique et liturgique.

A quoi se résume votre production discographique après tant d’années dans la musique ?

Ma discographie est composée de quatre 45 Tours, cinq 33 Tours, cinq cassettes Audio et 13 albums CD. Plusieurs de mes œuvres musicales ont fait l’objet de clips vidéo tournés essentiellement au Gabon.

Près de trente (30) ans après avoir décidé de rechercher le moyen d’accoucher d’une forme originale de l’expression musicale gabonaise, un certain public reconnaît qu’il y a en Vyckos Ekondo, le ferment d’une synthèse réussie dans la mise en évidence des passerelles qui existent entre les différents peuples et ethnies du Gabon. Comment vous est-il venu cette idée et que visez-vous par un tel mixage ?

Merci pour cette question importante. Vous me donnez là l’occasion de faire comprendre à ceux qui ont cru que cet enchaînement des chorégraphies issues des différentes cultures de notre pays n’avait pour seul but, que de m’attirer la sympathie de l’ensemble des communautés linguistiques qui composent le Gabon. Ce qui est très loin de ma vision. Car, ces passerelles enjambent une enrichissante diversité qui, mal comprise, pourrait ressembler à une différence fondamentale, un antagonisme culturel. Bien au contraire, ce travail qui provient de plusieurs années de recherche traduit un constat et aura abouti à réhabiliter l’unicité et la complémentarité en faisant la litière de cette chère civilisation de l’Universel, elle-même célébrée par maints philosophes, grands initiés et mystiques. C’est aussi ma manière d’appeler les Gabonais à l’unité dans la diversité, sans laquelle aucun peuple ne peut bâtir quoi que ce soit ensemble.

C’est quoi le Tandima ?

C’est normal, vous n’êtes sûrement pas initié comme moi (rires). Mais pour faire simple, comprenez que le « Tandima » est une manière de vivre et de communiquer, tout en conservant le caractère ludique et apollinien de la musique. Il se veut également musique d’élévation, tremplin de l’ascension vers les hauteurs de la connaissance intégrale, qui fait de l’homme le centre de l’existence. Mysticisme, transcendance, exaltation de nos valeurs de civilisation, par le geste et le chant par le corps et l’âme. J’ai forgé le Tandima aux confluents des musiques africaines et je le projette désormais vers l’infini à la croisée des chemins de la culture noire.

C’est juste une simple ambition de projeter le Tandima vers l’infini à la croisée des chemins de la culture noire ou un fait ?

Vous avez raison de vous poser cette question. Mais, en toute modestie, depuis 1992, en tant qu’artiste Gabonais, je fais de mon mieux pour porter très haut et de manière tout à fait exceptionnelle la diversité musicale et la promotion de nos traditions et identités culturelles avec une vision moderne dans les plus grands évènements culturels. Pour cela, je suis allé présenter notre culture en Martinique lors du la 5ème édition du festival « Jazz à la Plantation » à Basse Pointe en 1992, en Espagne à la Foire Universelle de Séville 1992, en Belgique lors de la Soirée culturelle gabonaise au Centre Culturel Français de Bruxelles, et en Allemagne pendant les Premières Journées culturelles du Gabon à Bonn, Hambourg et Berlin organisées par l’ancien ambassadeur du Gabon en Allemagne en 1993, en Côte d’Ivoire à l’occasion de la soirée culturelle de la Banque africaine de Développement (BAD) à Abidjan la même année, en France aux 2ème jeux de la Francophonie à Paris en 1994, au Canada, au Festival Mondial de Folklore de Drummondville et Folko-Fête de Chicoutimi en 1995, en France, à la 8ème édition du Festival des Cultures du Monde de Martigues 1996. Je peux encore vous citer les multiples occasions pendant lesquelles j’ai porté notre culture. France : Festival Folklorique du Rouergue 1997, Espagne : Festival d’Abanilla 1997, Corée du Sud : International Travel Expo Kangwon à Sokch’o 1999, Allemagne : Exposition Universelle d’Hanovre 2000, Japon : Participation au Forum Economique et Culturel de Tokyo et de l’African Fiesta Festival 2002, Suisse : Montreux Jazz Festival off 2003, Guinée-Equatoriale : Fête de la Santa Isabel à Malabo 2004, Emirats Arabes Unis : Dubaï Shopping Festival 2005, USA : Folkmoot Caroline du Nord 2006, France : Manifestation Les Nuits Gabonaises Paris 2011, Guinée-Equatoriale : Coupe d’Afrique des Nations 2012, France : Célébration du 53ème Anniversaire de l’Indépendance du Gabon Paris 2013, Italie : Exposition Universelle de Milan 2015, 2019 spectacle pour la lutte contre les violences xénophobes en Afrique du Sud au Sandton Nelson Mandela Square le 12/10/2019. Maroc : Spectacle organisé par le Chœur gabonais du Maroc pour la promotion de la culture gabonaise au Royaume Chérifien le 06/11/2021 à Casablanca.

Les nombreuses distinctions obtenues témoignent sûrement de l’impact du Tandima à travers le Prix Saint Exupéry du Meilleur Musicien Ngombi National en 1987, le Prix de la Meilleure Musique de Film (Le Singe Fou) 1987, au Festival du Film Africain (Carthage) Tunisie, l’Oscar pour l’Enfance, Meilleure musique de sensibilisation UNICEF 1988, le Trophée de la Meilleure musique traditionnelle, Africa Music Awards en 1995, la Gloire Musicale Nationale 2021 de l’Université Omar BONGO consacrée comme Producteur de Savoirs utiles pour l’épanouissement de la Communauté, Cinquantenaire de l’U.O.B (1971-2021).

Quel parcours élogieux, mais presque inconnu des Gabonais ! Quelle est donc la recette secrète qui a propulsé Vyckos Ekondo à ce niveau de la scène internationale ?

D’abord la rigueur dans mon travail, ensuite la fierté d’appartenir à un pays doté d’un grand gisement culturel très peu exploité et qui mérite d’être promotionné. Je pense aussi que le fait d’avoir réussi à marier, dans une certaine harmonie, tradition et modernité.

Qu’est-ce qui, selon vous, fait l’originalité de votre musique ?

L’originalité de ma musique tient à l’utilisation rationnelle des instruments traditionnels tels que le mongongo (arc musical), le ngombi (cithare) ; le mendzang me yekaba (Xylophone), sanza (languettes pincées), tamtam, sokè et bisanza (hochets et sonnailles), tchéghé (cloche de bois à deux faces), djaga (calebasse hochet) dans des compositions musicales enrichies par des instruments modernes. De même la récupération du yodel (technique vocale) des pygmées Baka du Nord du Gabon Woleu-Ntem contribue à renforcer cette originalité. Dans certains de leurs chants, les Baka, hommes et femmes sont capables de donner un chant à dix parties ou plus. La trame musicale y a été comparée à une fugue de Jean Sébastien Bach où le thème serait encore plus et mieux développé que dans la propre musique de l’illustre compositeur européen. Le rythme et les sons variés des instruments locaux et modernes charment jusqu’à l’oreille la plus insensible.

Pour les nombreuses personnes qui ont assisté à vos prestations et regardé vos clips vidéo, vos chorégraphies, costumes, maquillages et gestes riment si parfaitement qu’ils ne laissent pas insensible.

Si vous me le dites, je ne peux que m’en réjouir et vous en remercier !

Traditionnaliste et moderne à la fois, on peut dire que c’est cela Vyckos, un symbole de la parfaite jonction de deux modes de culture. Mais pensez-vous que votre présence dans le milieu culturel gabonais a un impact sur la politique culturelle nationale ?

Ma musique comme celle de plusieurs artistes gabonais n’a peut-être pas d’impact direct sur la politique culturelle nationale, à en juger par le peu d’importance accordée à la culture et aux artistes dans notre pays. L’absence de statut juridique reconnaissant l’artiste comme une personne exerçant un travail et ayant des droits, la question des droits d’auteur qui, malgré la création du BUGADA, continue d’animer les débats, le décret fixant les quotas de diffusion en sont les illustrations. Cependant, je pense très humblement que ma musique a plutôt un impact sur la nécessaire préservation de notre culture par les acteurs du domaine, dans la mesure où elle donne de la visibilité aux aspects de la culture qui avaient tendance à disparaître. Ceci a donc permis de redonner du sens à des pans entiers de nos cultures et identités. Aussi suis-je heureux de constater que le Tandima a inspiré de nombreux jeunes qui se sont lancés dans le même style musical.

Votre mot de fin.

Comme mot de fin, je voudrais dire aux jeunes artistes qui souhaiteraient vivre une ascension dans le domaine des arts en général et de la musique en particulier, qu’on n’y parvient que par la rigueur au travail, la discipline et l’acception de la critique. Parce que je sais d’où je reviens et où je vais, j’ai pu faire ce que je fais depuis un bon moment. J’ai refusé d’être un artiste au sens vulgaire du terme et cela me vaut un minimum de respect qui m’encourage à mettre mon talent au service de ma culture et de mon pays.

Mon vœu est qu’un jour, ceux qui après moi voudraient perpétuer le Tandima disent : « Au commencement était Vyckos Ekondo. Puis, pendant plusieurs années, il axa son travail sur une série de combinaisons entre le profane et le sacré, entre le réel et le surréel, entre ici et ailleurs, Là-bas… Le jour de son départ, les cieux se fendirent, les forêts tremblèrent, la fièvre s’empara de la Terre, les animaux se terrèrent et une voix dit : QUE LE « TANDIMA SOIT ! Bouékayié !

Ayié ! Vyckos Ekondo, merci de nous avoir accordé cette interview. Nous vous souhaitons demeurer parmi nous pour plusieurs années encore !

C’est moi !

 

 

Article du 22 mars 2022 - 11:33am
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