Dr Pierre Pyebi Oyoubi : « Les budgets inscrits sont sous-évalués et non disponibles »

Par Nicolas NDONG ESSONO / 29 mar 2022 / 0 commentaire(s)

C’est une véritable Lapalissade que de parler de la dégradation actuelle du système de santé au Gabon. Les bonnes œuvres ayant une existence éphémère, le suivi des carrières des personnels de santé, naguère une priorité pour les administratifs du rang de Pierre Pyebi Oyoubi, est désormais relégué au rang des souvenirs lointains. Il explique les raisons de cette dégradation. Regard d’un sexologue sur « le fonctionnement » normal ou anormal de la société gabonaise.

 

Gabonclic.info : Vous totalisez aujourd’hui plusieurs années d'observation du fonctionnement de notre société. D’après vous, évoluons-nous globalement, ou sommes-nous plutôt en régression

 ?

Dr Pierre Pyébi-Oyoubi : Effectivement je totalise bon nombre d'années d’expérience diverses, derrière moi. La réponse à votre question est toute simple. Toutes les personnes honnêtes, n'ayant pas d'autres intérêts à préserver, reconnaissent que nous régressons globalement.

À voir les transports aériens gabonais, les routes, les navires, les trains, les établissements scolaires, tous les secteurs de la vie sociale connaissent d'énormes difficultés. Surtout sur le plan sanitaire.

Peu avant l'accession de l’actuel président au pouvoir, plusieurs projets de santé ont été répertoriés et budgétisés. Nous avons vu la réhabilitation et la construction de plusieurs Centres hospitaliers universitaires et régionaux équipés. Mais en même temps, nous observions cette absence de formation du personnel devant y servir et s'en servir.

Parlons spécifiquement du système sanitaire. A l'époque d'Omar Bongo, lorsqu'il vous nommait directeur d'un centre hospitalier, que se passait-il ?

Parlant du système sanitaire, à l'époque du président Omar Bongo, lorsque j'ai été nommé directeur de l'hôpital, le ministre de la Santé, feu Dr Jean Pierre Okias, sur instruction du président, m'avait demandé de suivre des formations me permettant de bien gérer un établissement sanitaire.

Outre la formation d'organisation du travail en milieu hospitalier que j'ai reçu en Roumanie, j'ai finalement suivi des formations de directeur d'hôpital en France.

Quand je suis nommé Directeur général adjoint du Centre Hospitalier de Libreville, nous avions un conseiller technique français, qui se chargeait de regarder la conformité de tous les actes administratifs et de gestion que je prenais. C'est d'ailleurs ce conseiller français qui nous a aidés à mettre sous forme le projet, l’éclatement de la direction générale de la santé en trois directions générales centrales.

Grâce à cette formation, quand je suis devenu Directeur de l'hôpital de Franceville, j'ai signé avec Mme Mitterrand (Danielle Mitterrand, épouse de l’ancien président français, NDLR) un partenariat de jumelage de l'hôpital de Franceville avec le Centre hospitalier général de Vesoul en France. À cette occasion tout le personnel de Franceville allait en formation en France. J'en avais mis en formation à tous les niveaux. Les filles de ménage allaient apprendre à faire du ménage dans des services hospitaliers là-bas. Les infirmières etc...

Pourquoi ce jumelage n’a-t-il pas continué à fonctionner, puisqu’il présentait des effets bénéfiques pour la formation et le suivi de carrières du personnel médical, et par voie de conséquence, la bonne tenue de l’outil de travail ?

Au moment où je partais de Franceville pour Libreville, une équipe d'infirmiers et médecins attendaient leur tour pour partir en formation en France. Cela ne s’est plus fait, parce que mon remplaçant au poste ne savait pas gérer un jumelage. Il me l'avait dit lui-même.

Ce jumelage était pourtant une assistance durable. Cela concernait les équipements hospitaliers, l'assistance médicale et les formations horizontales et verticales. Quand je suis arrivé à Libreville j'en ai discuté un peu avec le Dr Duboze (Guy Lasséni Duboze, directeur général du CHL de l’époque, NDLR), qui prenait la direction générale du CHL. Lui est allé plutôt à Nîmes pour signer un jumelage avec cet hôpital français. La suite, là aussi, je n'en sais rien.

Ce manque de formation peut-il expliquer la dégradation actuelle du système sanitaire ?

La dégradation du système sanitaire actuel est due à deux causes essentielles. La première est l'absence de moyens financiers, les budgets inscrits n’étant pas toujours disponibles. Ils sont d'ailleurs sous-évalués. Et même le partenariat avec la CNAMGS (Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale, NDLR), ne tient pas ses engagements. D’où les multiples grèves observées... Les ressources humaines, en quantité insuffisante et de formation approximative sont aussi à déplorer. Celles-ci dépendent de la tutelle. Les autres lacunes observées dans l’accueil, la qualité des soins, l'organisation du travail en milieu hospitalier, l’hygiène, la diététique etc. dépendent du style de direction.

Dans les détails comment se manifeste cette situation ?

En ce moment, il est très préoccupant de constater que dans des établissements sanitaires publics, les sanitaires (toilettes) sont dans un état inqualifiable. Pour ce qui est de l'hôpital de Franceville, qui est à presque 700 km de Libreville, pour obtenir une poche de sang il faut demander une aide à Koula-Moutou. Le laboratoire fonctionne a minima… Même les divans d'examen sont dépourvus de rouleaux de papier. Il vous faut apporter un drap ou un pagne pour être consulté. Pour une piqûre ou une prise de sang le malade doit s'acheter une seringue. Mais quand vient le moment de l'hospitalisation, c'est encore plus grave. Le constat est globalement désastreux… Concrètement il y a deux manières de régler ces problèmes…

Concrètement, que doit-on faire pour avoir un système de santé de qualité ?

L'actuel président de l'Assemblée nationale fut ministre de la Santé sous Omar Bongo Ondimba. En son temps il organisait des états généraux de la santé pour remédier à certaines préoccupations nationales. Les budgets étant ce qu'ils sont, il est souhaitable que les politiques, ressortissants de provinces où la santé des populations est précaire, s'organisent pour remédier urgemment à cette situation.

Quel est le message particulier que vous lancez à l’endroit des Gabonais ?

Nous sommes tous des malades qui s’ignorent. La maladie comme la mort ne préviennent pas. Les Gabonais ne devraient pas s'amuser avec les problèmes de santé. Pour moi, les problèmes de santé viennent avant d'autres préoccupations. Le cas de Franceville, qui est la province, dit-on, présidentielle, est très désolant.

Article du 29 mars 2022 - 10:37am
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