Wongo : un guerrier face à la France coloniale.

Par Nicolas NDONG ESSONO / 10 nov 2021 / 0 commentaire(s)
Portrait du guerrier Wongo en personne, vu par les Français en 1929.

Alors que la situation actuelle du Gabon – où personne ne sait dans quelle direction ce pays se dirige – le journaliste, l’ancien animateur vedette de l’émission « Les Dossiers de la RTG » invite les enfants de cette Nation à un plongeon dans leur histoire. Celle des temps immémoriaux où il y avait « encore » des courageux. Ceux qui savaient dire non à l’envahisseur ; ceux qui aimaient profondément leurs terres ; ceux qui, pour rien au monde, ne voulaient se soumettre ; ceux qui n’abdiquaient jamais. Allô Wongo !!! Voici son parcours conté par un fils du bord de l’Ogooué. Lecture !

Par Jacques Litona Loumbi

Peut-on encore parler de Wongo et de ses attaques guerrières contre la présence coloniale au Gabon, 92 ans après ? Le souvenir des années 1928-1929 est douloureux pour la France, forcément. Est-ce la raison pour laquelle elle n'a pas laissé de traces de cette guerre dans les livres de son histoire au Gabon ? Car ce nom est indissociable des mots sans éclat et d'images funestes de son passé colonial. Quelle est sa version des faits, leur cohérence, et l'opinion qu’elle exprime en reconstituant la trame sombre de ce passé dans la région des Aduma? Aucune. Mulundu peut attendre encore, et encore... Car, se dit-elle, à quoi bon agiter les consciences et noircir l'âme des populations auxquelles la France a donné pour héritage d'avoir la tête pleine de la grande dénomination qui les ouvre au monde : Lastoursville. Mais on l'oublie souvent, fondée officiellement en 1882, Mulundu la millénaire terre des Duma du grand chef Ndomba, existait déjà avant l'arrivée des Européens.

La crise des pirogues

Lastoursville, Salon de coiffure Adouma

Dans le Sud-Est gabonais aux peuples multiples, l'histoire ne regarde pas seulement passer l’Ogooué, fleuve capricieux. Les Duma qui l'habitent et les Wanji des plaines, se répartissent les rôles. Les Duma excellent dans le nolisement des pirogues et la pêche. Tandis qu’au plateau leurs frères de même patois les Wanji, sont les meilleurs planteurs et chasseurs. Ici, c’est la forêt équatoriale qui dépeint la gravure d'une image d'Epinal par la simplicité des peuples qui la composent. Il y a là des mâles très forts, et aussi de fort belles femmes. Les mariages et les échanges de produits rythment la vie quotidienne sous les palmiers à huile. L’activité dans les palmeraies devenue réputée, Mulundu est débaptisée en Madiville, signifiant la ville de l'huile. Dans ce tableau se dessine en filigrane la figure de l'explorateur Pierre Savorgnan de Brazza et celle non moins notoire de son ombre l'ingénieur François Rigal de Lastours, qui donna son nom à la ville où il mourra du paludisme. Malgré leur disparition ils marquent de leur empreinte ce qui se passe sur la scène des horreurs qui leur succèdent.

Il faut revoir en pensée le long-métrage des images insoutenables de ce triste cinéma d'une France formidable... Elle plante son drapeau et s'installe à la montée du village. C'est un camp retranché au milieu d'une place forte où ses "sinigali" pratiquent un sinistre cachot d'isolement sur un marécage. C'est là que finissent ceux qui ne s'accommodent pas du système de travail de corvée contrainte et de l'impôt.

Les premiers problèmes sont justement ceux du travail obligatoire de fabrication des pirogues et de leur transit sur l'Ogooué, imposé aux Duma. Cette réquisition excessive les rebute. Le désaccord n'est plus masqué entre les habitants et la République française qui veut des marchandises, des sujets et des profits. Les coups de chicotte pleuvent. Supportant mal l'humiliation, les Duma retourneront leur colère contre Jésus de Nazareth. Un groupe bon enfant de jeunes piroguiers accepte de traverser des cantines de linge et divers objets du culte à la demande du prêtre, et en plus à la seule gloire de l'Église. C'est l'occasion rêvée qui se présente. Au beau milieu du fleuve la pirogue est coulée. Toutes les affaires religieuses sombrent... Esprit de Wongo, es-tu là ?

Les intrigues des colonisateurs.

Dans l'ère coloniale, le fonds national des populations recense 4 200 habitants à Lastoursville et sa zone forestière en 1885. Après son enterrement dans son petit cimetière à Mikatsia, de Lastours est remplacé par Fourneau. Il règne sur 150 chefs de pirogues et 2000 pagayeurs. Le culot de ses jeunes à l'appui, tout ne semble plus permis à Fourneau contre les Duma. Il veille à la circulation sans encombre des pirogues qui assurent les échanges fructueux depuis l'embarcadère. La mission coloniale se dégoûte parallèlement de christianiser le peuple qui a scandaleusement "renversé Dieu dans l'Ogooué ". Leur esclandre est vu comme un désaccord profond à reprendre le modèle de Jésus qui n'est pas Noir. Les abus des colonisateurs se heurtent aussi à la résistance croissante des Wanji. Mais ils sont pratiquement seuls sur leur ligne, les intrigues des colonisateurs qui cajolent les Duma piroguiers indispensables à la circulation des marchandises par voie fluviale, ont entraîné la rupture de l'entente entre les divers peuples. Les exactions se multiplient contre les cultivateurs Wanji pour s'accaparer leurs récoltes.

La révolte naît avec un chef Wanji nommé Bamba, ouvertement hostile au ravitaillement du poste de Lastoursville. Sur le fond de la question, il tente une coalition avec les populations Kélé pour nouer une alliance. Alors il est traqué, et au cours d'un simulacre de négociation, capturé. Le 26 mars 1886 il est tué en voulant s'évader dans le marigot du cachot.

Les Duma endurent ce décès avec sérénité. Fourneau et ses successeurs ne parviennent pas à apaiser le bouillonnement des Wanji. Le basculement vers la guerre est provoqué par les détestables méthodes du chef de poste Eckondorff, arrivé en 1928. Cette année-là un mauvais garçon fait l'unanimité des chefs de lignages Wanji, afin de le céder en asservissement auprès d'une famille alliée Duma. En cours de route à la descente du coteau de Limbenga, voyant passer un Blanc, il a le courage et l'audace de rejeter une plaine bouchée de crachats de cola remâchée sur ses pas. Pour le punir de cette effronterie, le jeune homme est fouetté à coups de chicotte. Dès lors, tout le monde entendra parler de ce garçon. Qui n'est autre que WONGO en personne...

La montée de tension

Région de Lastoursville (Haut-Ogooué) Chute_Doumé

Wongo a été puni pour un acte non délictueux : crachats de cola. Il a le ressentiment d'avoir subi une injustice de trop. Il se replie sur ses terres où il rumine sa vengeance. Le jeune homme de 35 ans ne manque pas d'en imposer par sa fougue. Il regroupe les chefs de tribus de Bembicani. Tous sont retournés par les procédés révoltants des Blancs. Les premiers d'entre eux sont Lissibi et Barimbi. Ce conseil extraordinaire décide la mobilisation : plus de marché du tout au poste. La nouvelle tombe comme un arrêt de mort aux oreilles du "commanda" Turenne le bras armé du chef de district. La nourriture va manquer à Lastoursville. Car c'est bien des produits de Bembicani que la mission coloniale en a besoin.

Puisque rien n'a été entrepris pour lutter sérieusement contre le fléau des actes de pillage commis sur son canton Poungui, Wongo veut frapper fort. Mais les Blancs se laisseront-ils ruiner par ce "sauvage " ? Il connaît la cruauté extrême de ses ennemis. Les Wanji demeurent effarés par le souvenir des basses besognes des chéchias rouges "sinigali" pendant le blocus de Bamba qui avait osé refuser le marché, ses contraintes, et l'impôt afin d'étrangler le poste. Ils avaient rasé des villages, effroyablement massacré les habitants, semé la terreur. Wongo est loin d'imaginer que sa révolte villageoise va tourner à l'affrontement armé avec la République française. Mais il ne redoute rien. Car lui aussi il n'est pas trop connu pour sa clémence.

Selon divers témoignages, il décrète que tout représentant de l'administration qui tentera de s'interposer et de s'aventurer à Bembicani sera abattu à coups de fusil à pierre.

La montée de tension se manifeste. La France décide d'en venir à bout. Mais elle ne veut pas de témoin. Elle ne doit pas se faire prendre. Pourquoi écrire dans son histoire une opération de salubrité en brousse ? Tandis que l'appel de Wongo au soulèvement se répand à travers la contrée comme une traînée de poudre. Ses émules grossissent les rangs de la résistance. L'effet de masse est dissuasif. Le "commanda" fait alors la paix avec le chef des Wanji.

La trahison de Tsamba

Les partisans de la sévérité à l'égard des Wanji n'ont pas dit leur  dernier mot. Pendant ce temps ces derniers s'adonnent à nouveau au ravitaillement hebdomadaire des miliciens et entourage de Turenne et du chef de district Eckondorff. Les terres de Wongo produisent des taros, de la banane et même des pommes de terre.

Son fils Mboundou sert peu ou prou au poste quand un coup d'éclat survient. Alors qu’il va de-ci et de-là, des miliciens veulent jouer les amuseurs publics avec lui. Ils le somment de regarder le fond d'une fosse vide. Déclaration surprise : "cette tombe est réservée au cadavre de ton père Wongo ". Cette pitrerie macabre lui est rapportée. La nouvelle éclate comme une bombe. Les chefs de terre alliés sont alertés. Ils se réunissent en état- major à Bembicani. Sur ses ordres les forgerons s'isolent dans les grottes camouflées à l'observation ennemie. Jour après jour ils fabriquent des lances et des fusils à pierre. Wongo est lui-même maître atelier. Des tranchées d'embuscades sont creusées aux abords des grandes pistes. Nuit et jour les habitants vident les villages pour s'enfoncer dans les abris des forêts lointaines détrempées et glissantes. L'arrêt du marché porte un coup d'autant plus sévère que les Duma ne se sentent pas concernés par cette corvée.

Le 8 mai 1928 Turenne fournit une escorte à Tsamba. Les premiers élèves qui fréquentent l'école française sont Duma. Ils se trouvent détenir quelques fonctions importantes. En tête de ces fonctionnaires il y a le moniteur Albert Tsamba devenu interprète salarié à 100 francs. Il doit aller décerner un mandat d'arrêt à Wongo. Il le trouve en plein conseil. C'est une mission dangereuse. Par chance le Duma est du même clan Bukondjo que Wongo le Wanji. Ce lien de parenté lui sauve la vie. Mais il est congédié avec l'avertissement de ne plus la risquer, car c'est un acte de trahison que vient de commettre le serviteur des "couillons"Blancs. Rentré de cette folle équipée Tsamba n'a pas le temps de souffler. Turenne lui fait reprendre la route avec les chéchias rouges pour s'acheminer en direction du chef de district qui attend son rapport à mille lieues de là.

La stratégie de Wongo le guerrier

Les corbeaux, les vautours et les toucans d'Afrique planent sur la route de Tsamba et son escorte terrestre. Car la marche pénible dure des mois et des mois. Un vieux conteur qui porte une chemise usée sur un pagne qui n'est pas de première qualité non plus, m'a raconté en riant : "en fait c'est le bon moment qu’attendent les guerriers en embuscade pour se débarrasser des miliciens dans la forêt sombre et silencieuse. Des essaims de mouches recouvrent les nombreux corps abandonnés". Les cases incendiées fument. C'est la stratégie de la terre brûlée et de l'insécurité. "Honte à toi Tsamba "crient les guerriers Wanji sur son chemin. La Grande Affaire commence. Elle durera 2 ans. Les renforts de la rébellion du guerrier WONGO arrivent des savanes du Haut-Ogooué méridional. Il est à la tête de 250 hommes qui ne supportent plus les prestations réclamées par les administrateurs français. Qui n'acceptent plus le mépris. Tsamba dont le village Ndoumbou prend feu est poussé à la démission, qu’il dépose chez le chef de district Eckondorff le 5 novembre 1928.

En mai 1929, encore une embuscade coûteuse en soldats tombés à Melassi entraîne l'éviction de Turenne, qui perd la bataille devant Wongo malgré son armée de professionnels parfaitement équipée avec derrière tout le système colonial. Parmi les 200 miliciens un bon nombre est tué en moins d'une heure. C'est la 1ère grande défaite dans une mission coloniale en Afrique Équatoriale Française.

La France ne pardonne rien

Une vue de Lastoursville aujourd'hui

Le lieutenant Cordier entre dans la bataille. C'est une affaire de souveraineté et la France ne tolère pas que la sienne soit disputée. Elle fait appel aux soldats de toutes les circonscriptions de Makokou, Boué, Mékambo, et Koulamoutou qui sont convoyés à Lastoursville. Ils sont armés de canons et de fusils à 2 coups. La guerre avec un ennemi invisible se durcit. Les buissons crachent des dizaines de flèches mortelles. La troupe est happée dans des tranchées hérissées de bambous taillés cachés sous les feuilles. Les fusils à pierre font mouche. Il y a de nombreux morts et des blessés. Les guerriers Wanji ont la cible facile. Ils tirent et s'évaporent dans la forêt en s'écriant dans leur patois "Wongo ndena yona "pour dire en quelque sorte : c'est signé Wongo.

Cordier se voit obligé de dicter un message à Brazzaville instamment. Il informe ses supérieurs de la situation critique à Lastoursville. La guerre le dépasse. Il faut tirer l'État colonial de l'impasse. Comment réagir ? D'abord une concertation de haut niveau se tient à Booué. Pour s'accorder sur un constat : il est impossible de faire la guerre à des dragons noirs insaisissables dans leur forêt à diable. C'est un guêpier. Il va falloir modifier radicalement l'action militaire. La France décide de répandre le sang et la terreur impitoyablement sur toute l'étendue de la région. Les troupes laissent dans leur sillage un long chapelet d'images cruelles. Il y a des prises d'otages. Des chefs de clans sont enterrés vivants. Des notables sont décapités dans leur cour. Les nourrissons sont transpercés à la baïonnette.

Wongo est contraint de mettre bas les armes pour arrêter ce bain de sang, afin de libérer les otages il décide de se rendre avec ses 2 fidèles compagnons d'armes : Lissibi et Barimbi. Le 24 juillet 1929, il renonce définitivement à la guerre. Et se livre à Cordier, le 29 juillet 1929, au poste de Lastoursville.

Mais la France ne pardonne rien. Elle a eu chaud. Elle n'oublie pas le camouflet et l'affront. Ses lieutenants sont embastillés à Makokou. Contre Wongo la France agira à l'inverse du pacte de la paix qu’il voulait conclure : le cessez-le-feu en échange des otages et de son retour sur ses terres enfin libérées. Mais comme les Anglais avec Napoléon, le vainqueur déportera son adversaire légendaire à Bangui. Wongo mourut en route dans des circonstances floues. Symboliquement la mort de Wongo est datable, le 2 novembre 1929, à l'âge de 36 ans.

 

 

 

Article du 10 novembre 2021 - 4:12pm
Article vu "en cours dév"

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